INTÉGRATION RÉGIONALEMAIN COURANTE

Baltasar Engonga Edjo’o : ce que nous ferons de ce mandat

Le président de la Commission de la Cémac se découvre après sa prestation de serment le 2 juin 2023 à la Cour de justice communautaire basée à Ndjamena et sa prise de fonction le 5 juin dernier au siège de la Commission à Bangui. Au menu : nouvelle approche managériale, plan stratégique, libre-circulation, arrimage de la Cémac à la CEEAC, relations avec les États et les partenaires, etc. Lisez plutôt.

 

Vous venez de prêter serment et votre mandat démarre légalement. Quelles sont les priorités de ce mandat?
Les priorités sont déjà tracées. Les piliers de la Communauté sont la solidarité, la collégialité, l’égalité, la transparence et la justice. Ce sont les piliers que nous développerons en équipe. Parce que nous commençons notre mandat avec une équipe collégiale pour partager les mêmes idées.

Maintenant que vous tenez les rênes de la Commission, qu’est-ce que vous souhaitez améliorer ou changer pendant les cinq prochaines années?
Pour améliorer, il faut partir d’une base. Le plan d’amélioration va s’appuyer sur les textes existants. Parce que la réforme institutionnelle de la Cemac avait été couronnée par l’adoption de nouveaux textes. L’application de ces textes sera le début de notre travail, mais, dans la collégialité, la justice, l’égalité, la transparence et la solidarité. Il y a eu des doléances après l’adoption des textes. Nous allons voir comment améliorer et intégrer toutes ces doléances dans les structures d’exécution des actions qui seront prévues dans notre plan de stratégie.

Au sortir de cette prestation de serment, une nouvelle ère s’ouvre à vous. Quelles seront les attentes vis-à-vis de vos collaborateurs, ensuite vos attentes envers les chefs d’Etat, enfin vos attentes envers les différents et nombreux partenaires?
Notre travail sera un travail d’évaluation et d’exécution des projets. Ce que notre équipe prévoit de réaliser, c’est d’abord de rendre à la Commission sa crédibilité. Car cette crédibilité ne peut pas être acquise si nous ne sortons pas de l’opacité de gestion. Nous devons également sortir la Commission de l’anonymat. En effet, les structures de la Commission ont été créées afin de réaliser certaines actions au nom des États. De fait, les États ont cédé une partie de leur souveraineté aux structures communautaires. Et à partir de ce principe politique, les institutions communautaires doivent travailler en justifiant aux États et à la population, les actions exécutées. Nous allons imposer une gestion collégiale. Mais avant de le faire, nous prévoyons de gagner en crédibilité. Nous commençons d’abord par réaliser un audit financier et un audit des ressources humaines pour connaître la situation de la maison – Commission et celle des institutions spécialisées, avant d’élaborer notre plan stratégique. S’il n’y a pas cette visibilité, on ne peut pas apporter le changement que la population attend de cette équipe.

Qui dit Cemac parle forcément d’intégration. Qui dit intégration parle des projets intégrateurs. Avant d’être président de la Commission de la Cemac, vous êtes d’abord un citoyen de cette sous-région. En tant que citoyen, est-ce qu’on peut dire aujourd’hui que ces projets intégrateurs sont sur la bonne voie malgré les difficultés rencontrées, notamment la crise Covid-19?
C’est une question qui est liée à la passation de service. Parce que la passation de service va nous présenter un état assez lisible pour faciliter la lecture. Le document de la passation de service est une structure classique. Il doit prévoir les actions en cours et les actions exécutées. À partir de cette démonstration, l’équipe actuelle va élaborer son plan stratégique pour compléter les besoins de la Communauté. Lors de la réforme institutionnelle, on avait élaboré un certain nombre de projets, dans le cadre du Programme économique régional (PER). Il s’agit d’un programme qui peut servir de base pour développer l’activité économique. Il y avait la constitution des projets de construction des infrastructures d’interconnexion; des projets de construction de certains ponts; l’interconnexion électrique… Comme projets intégrateurs, il y avait la construction des chemins de fer, la construction des aéroports et ports, pour faciliter les échanges commerciaux entre nous et avec les pays tiers. Tous ces projets ont connu des difficultés de financement. La plupart de ces projets, après la passation de service, seront remis au goût du jour. Nous allons voir quels sont les projets que nos prédécesseurs ont pu exécuter dans le Programme économique régional, et ceux en cours d’exécution.

Vous avez évoqué les difficultés financières. Mais il y a aussi les défis sécuritaires. Tout ceci ne vous fait-il pas peur?
Et pourquoi pas. Nous travaillons dans une conjoncture économique dynamique. Les situations sécuritaires, sanitaires et autres peuvent impacter négativement l’activité économique. Ces situations préoccupent la Commission engagée dans la réussite de ses objectifs. La Taxe communautaire d’intégration (TCI) est perçue grâce à l’activité économique. Si toutes ces crises impactent négativement l’activité économique, nous aurons des difficultés d’avoir le financement pour pouvoir faire face à l’exécution de nos projets et des projets intégrateurs, indépendamment du financement que la Communauté peut avoir de nos partenaires. Raison pour laquelle l’équipe actuelle est prête à organiser un audit et inaugurer une nouvelle approche de fonctionnement.

Vous avez un mandat de cinq ans, et par expérience cinq ans, c’est très limité. Au soir de votre mandat, qu’est-ce que vous souhaitez qu’on retienne de vous?
Notre mandat va se focaliser sur un plan d’assainissement de la Commission et de ses institutions spécialisées. Parce que la plupart des textes adoptés en 2010 sont devenus obsolètes. Nous allons compléter ces textes et les intégrer à la nouvelle donne annoncée. Nous allons faire tout le nécessaire pour combler ce vide. Ça va donner un peu plus de crédibilité à la Commission, auprès de nos États et de nos partenaires. Ce sont les États et les partenaires qui donnent les moyens de financement à la Commission. À partir du moment où la crédibilité va s’installer, le financement sera là. Et à partir du moment où nous disposons des financements, les projets seront exécutés selon la disponibilité de ces financements.

Comment vous voyez la relation entre la Cémac et la CEEAC?
La Cemac a une communauté économique et une communauté monétaire. La CEEAC a une communauté économique des États de l’Afrique centrale. Dans la CEEAC, il n’y a pas une communauté monétaire. La rationalisation est une idée des chefs d’États pour renforcer les échanges dans notre région. Les difficultés que cette rationalisation peut rencontrer seraient l’aspect monétaire. Le Programme économique régional adopté pendant la réforme avait pour objectif de faciliter les échanges intracommunautaires. Si les échanges entre les six États à la monnaie commune éprouvent des difficultés, dynamiser les échanges dans une région avec une hétérogénéité monétaire serait plus difficile. Le sommet des chefs d’Etat, l’organe supérieure de la Cemac (comme d’ailleurs à la CEEAC), avait décidé de créer le Copil/Cers-AC à Yaoundé. La réforme de la CEEAC prévoit aussi la création des institutions monétaires, comme la banque centrale, la banque de développement, etc. Autant d’institutions dont dispose déjà la Cémac. S’il y avait une facilité d’aller à la réduction des accords de coopération monétaire de 1972 au niveau de la Cemac, pour avoir déjà une banque centrale crédible et capable d’actionner les États membres de la Cemac, la rationalisation serait facile.

«La réforme institutionnelle de la Cemac avait été couronnée par l’adoption de nouveaux textes. L’application de ces textes sera le début de notre travail, mais, dans la collégialité, la justice, l’égalité, la transparence et la solidarité»

Mais, nous constatons que le Copil – Cers et la CEEAC sont en train de faire un travail parallèle, pourtant le mandat est unique. Au niveau du Copil Cers, les textes sont déjà adoptés par le Conseil des ministres. Nous attendons le sommet des chefs d’Etat pour faire la lecture de ce qui est prévu par ce traité. Et le mandat et l’assistance des acteurs doivent être donnés aux chefs d’Etat. Au lieu d’aller parallèlement, ils ont une vision politique que nous allons matérialiser.

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La CEEAC a une dimension régionale et la Cemac une dimension sous-régionale. Mon arrimage à la CEEAC est un impératif nécessaire pour travailler en harmonie avec les mêmes idées. Les difficultés que nous connaissons à la Cemac seront plus importantes avec l’arrimage à la CEEAC. Dans les projets de transformation de la CEEAC, il est prévu la création d’une chambre de compensation. À partir du moment où nous prévoyons encore de créer une chambre de compensation pour échanger entre nos pays membres de la Cemac, je commence à rêver à une défaite. Mais, comme il y a une volonté politique, tout sera fait.

Dans votre propos liminaire, vous avez parlé des valeurs de votre institution: le partage, la justice, la solidarité… Ça nous rappelle que l’Afrique centrale est bâtie sur la solidarité. Est-ce que cette solidarité sera véritablement mise en œuvre pour que votre mandat soit celui attendu par beaucoup?
La solidarité est prévue par des textes et elle fait aussi partie des piliers de notre action. Si la solidarité n’est pas applicable à la Commission, c’est une violation systématique de nos principes. En 2008, on avait élaboré les conditionnalités de la libre-circulation à Yaoundé, avec tous les ministres chargés de l’intérieur et des sécurités de tous les États membres. On avait dit que, pour avoir une libre-circulation, il faut que tous les pays soient en possession du passeport biométrique Cemac. Pour la libre circulation, il faut une formation harmonisée des policiers de frontière. Afin qu’elle soit effective, il faut la construction des postes de contrôle frontaliers. Comme toutes ces actions méritaient un financement que la Commission n’avait pas, nous avions priorisé la libre-circulation des passeports diplomatiques et des fonctionnaires communautaires en possession de l’ordre de mission. Les acteurs économiques, sans visa et sans passeport diplomatique, déjà installés dans plusieurs pays de la sous-région, devraient avoir un agrément de la Cémac. Nous avions aussi priorisé des sociétés privées qui s’installent dans plusieurs pays. Parce que la Cemac, à l’époque, continuait de donner les agréments à des sociétés privées pour s’installer dans plusieurs pays. Les employés de ces sociétés agréées par la Cemac ont aussi l’avantage de pouvoir circuler librement. C’est à partir de là que la libre-circulation est un acquis. Alors, qu’est-ce que la population attend? Et qu’est-ce que nous attendons nous-même? Toute activité doit avoir des références.

«Nous commençons d’abord par réaliser un audit financier et un audit des ressources humaines pour connaître la situation de la maison – Commission et celle des institutions spécialisées, avant d’élaborer notre plan stratégique. S’il n’y a pas cette visibilité, on ne peut pas apporter le changement que la population attend de cette équipe»

Afin que la libre-circulation soit opérationnelle, nous devons avoir des postes de frontière construits, avoir des équipements, avoir le personnel déjà formé. Nous ne voulons pas de contrôles hétérogènes. Nous voulons harmoniser une structure de contrôle. Les chefs d’Etat ne veulent pas voir traîner les projets d’années en années. Pour avancer rapidement, notre équipe prévoit d’établir les délais de réalisation des études pour éviter que les études soient prolongées éternellement. Pour la construction des postes frontières, les cabinets d’étude doivent faire entre trois et six mois.

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Nous savons que la libre-circulation est une véritable épreuve pour la Communauté, et pour des personnes. Malgré l’institution du passeport biométrique, les hommes ont toujours des difficultés à circuler dans la sous-région. Quelle sera votre recette?
Ça ne serait pas une recette personnelle. Ça serait dans le respect des textes dont nous disposons. La Cemac ne peut pas appliquer la libre-circulation dans le cafouillage. Elle veut exécuter la libre-circulation dans les normes organisées. La Commission de la Cemac a prévu une campagne de sensibilisation dans tous les États et promet à la population l’application de certaines mesures sur la libre circulation. Tous les jours, nous allons organiser des conférences dans toutes les villes de la Cémac.

Vous héritez d’un environnement économique très difficile. Ce qui ne facilitera pas votre travail. Il y a cette difficulté légendaire de recouvrement de la Taxe communautaire d’intégration (TCI) qui devrait être la mamelle nourricière de la Commission. Comment contourner ces obstacles objectifs pour mener à bien votre feuille de route ?
Nous sommes en train de travailler pour assainir la gestion de la Commission, avec une gouvernance collégiale. Cette démarche va nous donner un peu plus de crédibilité auprès de nos partenaires et des États pour pouvoir recouvrer à temps la TCI. Nous sommes prêts à informer les États et nos partenaires de l’exécution de nos actions. C’est une illustration assez importante pour sortir de l’opacité. Nous devons montrer aux États et aux partenaires ce que nous faisons. Et là, les États seront motivés à payer la TCI et les partenaires disposés à débloquer les financements. Ils vont nous aider à exécuter certains projets qui peuvent relancer la Communauté.

Propos recueillis par
Thierry Ndong Owona,
envoyé spécial à Ndjamena

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