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Cemac : La Beac va limiter l’accès des États aux devises

Dans les prochains jours, la Banque centrale va soumettre à son Conseil d’administration un projet d’amendement de ses statuts. 

Le taux de couverture de la monnaie (la capacité des pays à couvrir leurs importations par leurs revenus d'exportations) a connu une évolution séquencée en zone Cemac tout au long de l’année.
Le siège de la BEAC

L’information est contenue dans un rapport du Fonds monétaire international, rendu public le 1er mars dernier. « La Beac (Banque des États de l’Afrique centrale), en étroite collaboration avec la France, élabore un projet d’amendement à ses statuts afin d’apporter de meilleurs mécanismes d’intervention en cas de détérioration des positions extérieures », lit-on, dans ce document qui fait le point sur la mise en œuvre de la politique commune à l’appui des programmes de réforme des pays membres de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac), pour faire face à la crise économique.

Ajustement forcé
Selon le FMI, « l’amendement envisagé prévoira notamment de plus fortes décotes sur les titres d’État utilisés en garanties des opérations monétaires. Il s’agit de réduire le refinancement par la Beac, lorsque les réserves tombent en deçà des seuils spécifiques aux niveaux national et régional ». Concrètement, ce projet d’amendement, qui devrait être soumis à l’approbation du Conseil d’administration de la Beac au cours de ce mois de mars, va donner les pouvoirs à la Banque centrale d’autoriser l’accès des États aux devises, en fonction de leurs avoirs extérieurs. Actuellement par exemple, un pays comme le Tchad, qui n’a plus des réserves de change, a accès aux devises au même titre que le Cameroun, propriétaire du plus grand volume d’avoirs extérieurs. C’est à ce système que la banque centrale veut mettre fin.

Pour les experts, cette réforme va pousser les États, plus gros consommateurs de devises, à plus de discipline. Ils seront désormais tenus d’adopter des budgets plus réalistes, en arrimant notamment leurs dépenses en devises (service de la dette, importations…) à leur niveau d’exportations (volumes des devises). Objectif, réduire le déficit courant afin de sauvegarder la parité de la monnaie communautaire (francs CFA). Il faut dire que si la Banque centrale en arrive là c’est que, malgré les programmes d’ajustement des États, la courbe de relèvement des avoirs extérieurs ne suit pas les objectifs fixés (voir page 7). La zone reste donc sous la menace d’une dévaluation de sa monnaie.

Pression sur  les banques
La situation est telle que, ces derniers mois, la Beac « a pris des mesures correctives en durcissant l’orientation de sa politique monétaire et en renforçant l’application de la règlementation des changes », se félicite le FMI. Face à la lenteur des banques commerciales à rétrocéder à la Banque centrale leurs avoirs extérieurs nets accumulés, l’application des plafonds de position de change a été renforcée en septembre; et onze banques ont été sanctionnées en infraction à ces plafonds. Sur cet aspect, les États, et même les sociétés extractives, sont également sous pression (voir colonne).

Pour le président de l’Union patronale d’Afrique centrale, la rationalisation de l’accès aux devises est même déjà imposée aux opérateurs économiques du secteur privé. Célestin Tawamba, par ailleurs président du Groupement inter patronal du Cameroun, l’a dit le 18 février dernier, lors de la Journée officielle du salon Promote. Depuis, le gouverneur de la Beac multiplie les sorties médiatiques pour démentir ce qu’il qualifie d’« informations infondées ». Abbas Mahamat Tolli assure que « la Beac dispose des avoirs en devises permettant de couvrir largement les besoins des économies de la Cemac ». Le Tchadien n’a pas dit exactement la même chose dans sa lettre adressée à la directrice générale du FMI, Christine Lagarde, le 5 décembre dernier (voir page 7).

 

Face à face

Abbas Mahamat Tolli, gouverneur de la Beac

«La Beac dispose des avoirs en devises»

« Au cours des dernières semaines, des informations, infondées et totalement inexactes relayées dans la presse, font état d’une rareté des devises dans la Cemac, en rapport avec une politique de rationnement qui serait entretenue par la Banque centrale. Ces rumeurs font état d’un rejet, systématique et sans motif, par la banque centrale, des demandes de transfert de fonds à l’étranger, soumises par les banques.

Je porte à la connaissance du grand public que ces informations sont totalement infondées. En effet, la Beac dispose des avoirs en devises permettant de couvrir largement les besoins des économies de la Cemac. La stabilité extérieure de notre monnaie est confortable, comme l’atteste son taux de couverture extérieure qui s’établit à plus de 62 %.

Au quotidien, la Beac met à la disposition des agents économiques, à travers les banques, les devises sollicitées, dès lors que les dossiers soumis sont conformes aux exigences de la règlementation des changes. Celle-ci prescrit aux banques, en son article 34, un délai de deux jours ouvrés pour l’exécution des ordres remis par la clientèle, sous réserve que toutes les conditions de conformité à la règlementation des changes et au dispositif de lutte anti-blanchiment soient réunies.»

Extrait du communiqué du 7 mars 2019

 

Célestin Tawamba, président de l’Union patronale d’Afrique centrale

«Les entreprises sont confrontées à une pénurie des devises»

 

« Les entreprises sont confrontées, depuis quelques temps, à une pénurie des devises. De fait, cette pénurie de devises ralentit les opérations des entreprises qui essaient d’importer équipements, intrants et matières premières. Elle met à mal la crédibilité des entreprises auprès des fournisseurs, dégrade les risques pays dans la sous-région et tend à discriminer l’exécution du crédit fournisseur, assureur-crédit de nos entreprises. Elle expose nos entreprises à des risques réels et importants, au regard de la protection de leurs actifs, du fait de la non-effectivité du paiement des primes dues aux compagnies des assurances et réassurances internationales.

C’est la raison pour laquelle nous lançons un appel pressant pour l’examen en urgence de la question des devises. Il importe en effet que soient prises des mesures établissant des priorités dans le choix des opérations en monnaie étrangère.
Aussi arbitraire qu’il puisse être, l’établissement de ces priorités est absolument stratégique et nécessaire pour passer le cap critique, afin d’éviter les difficultés de chaine, préjudiciable aux entreprises et à l’économie en général dans la sous-région. L’Unipace et ses membres (organisations patronales) sont disposés à s’associer à la réflexion.»

Extrait du discours prononcé lors de la Journée officielle de Promote 2019

 

Rapatriement des avoirs extérieurs

Le cahier de charges des États

 

« Les autorités nationales doivent soutenir les efforts que la Beac et la Cobac déploient pour assurer une application plus rigoureuse de la règlementation des changes. Compte tenu des montants encore élevés de dépôts détenus à l’étranger par des résidents de la Cemac, éventuellement en infraction à la règlementation des changes, la Beac et la Cobac ont convenu qu’il faut assurer une participation plus active au niveau national, faute de quoi, la règlementation des changes serait inopérante.
Les autorités nationales doivent notamment:

i) fournir, d’ici la fin de 2018, des exemplaires de tous les contrats/ conventions qu’elles ont signés avec des entreprises des secteurs extractifs ;

ii) contrôler rigoureusement la domiciliation de toutes les transactions d’exportation avec une banque commerciale résidente ;

iii) fournir à la BEAC des exemplaires de toutes les licences d’exportation ;

iv) assurer que toutes les entités publiques (notamment les entreprises publiques des secteurs extractifs) rapatrient et rétrocèdent toutes leurs recettes de change aux banques résidentes et ne détiennent pas de comptes de dépôts à l’étranger sans autorisation de la BEAC ;

v) remplacer, d’ici le milieu de l’année 2019, tous les comptes séquestres détenus à l’étranger dans le cadre d’accords de financement de projet avec des créanciers extérieurs par des comptes avec ces créanciers auprès de la BEAC ;

vi) réviser leurs codes miniers et pétroliers pour les harmoniser, d’ici la fin de 2019, avec la règlementation des changes ;

vii) s’engager à se porter candidates à l’ITIE si elles n’en sont pas déjà membres. De nouveaux engagements ont été pris dans ce sens par les autorités nationales bénéficiant de programmes appuyés par le FMI. La BEAC dressera également une liste des entreprises exemptées pour assurer un meilleur suivi du rapatriement des devises. »

Source : rapport du FMI
N° 19/1, février 2019

Le niveau des réserves de change préoccupe 

Dans une lettre adressée à la directrice du FMI, le gouverneur de la Beac avoue que «l’accumulation d’avoir extérieurs nets par la Beac n’a pas été à la hauteur des attentes». Abbas Mahamat Tolli expose par ailleurs les mesures prises et à prendre pour durcir la politique monétaire afin de rattraper la situation. Extrait.

« Madame la directrice générale,
À la suite des consultations régionales tenues du 23 octobre au 3 novembre par les services du Fonds monétaire international (FMI) avec les institutions de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), et dans le cadre de l’appui apporté par cette dernière aux programmes de redressement et de réformes économiques entrepris par les pays membres, j’ai le plaisir de vous tenir informée de l’état de la mise en œuvre des mesures auxquelles s’étaient engagées la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) et la Commission bancaire de l’Afrique centrale (COBAC), ainsi que des mesures qu’entendent prendre ces deux institutions au cours des mois à venir.

Dans l’ensemble, en dépit des efforts déployés, la situation de la Communauté demeure difficile. Malgré la reprise de la production pétrolière, la croissance reste faible et le niveau d’activité est insuffisant pour créer des emplois et générer des revenus pour une population qui augmente.

En outre, l’accumulation d’avoirs extérieurs nets par la BEAC n’a pas été à la hauteur des attentes ces derniers mois, puisque les avoirs extérieurs nets se sont chiffrés à 2,94 milliards d’euros à fin juin 2018, soit en deçà des projections de 3,10 milliards d’euros. Cette insuffisance peut s’expliquer par les facteurs suivants :

i) les retards dans les décaissements de l’appui budgétaire extérieur (50 millions d’euros) ;

ii) le non-rapatriement des dépôts détenus à l’étranger, estimés à 70 millions d’euros ;

iii) l’insuffisance de rapatriement et de rétrocession de devises par un certain nombre de banques commerciales ;

iv) l’ajournement des programmes avec le Congo et la Guinée équatoriale et de l’appui budgétaire qui en découle.
Cette insuffisance est d’autant plus préoccupante qu’elle survient à un moment où a été observée une hausse des cours du pétrole, et où les mesures de rééquilibrage budgétaire prises par les pays membres de la CEMAC ont été globalement conformes aux objectifs fixés par les programmes auxquels ils ont souscrit auprès du FMI.

Dans ce contexte, la BEAC et la COBAC ont fait tout leur possible pour favoriser la reconstitution d’un niveau approprié d’avoirs extérieurs nets. À cet égard, elles ont pris des mesures correctives qui témoignent de leur volonté indéfectible de contribuer, dans la limite de leurs mandats et des instruments à leur disposition, au redressement des réserves de change. Ces mesures correctives ont notamment consisté à:

• Renforcer l’application de la règlementation des changes. Cette mesure s’est notamment traduite par des sanctions disciplinaires prises par la COBAC à l’encontre de 11 banques n’ayant pas respecté les règles relatives à la rétrocession de leurs avoirs extérieurs nets et à leur position extérieure. La COBAC poursuivra ces mesures sans relâche afin de s’assurer que les banques améliorent la rétrocession de leurs avoirs. La BEAC a mis en place un mécanisme de suivi des transferts, de façon à répondre, dans les meilleurs délais, aux demandes justifiées de devises émises par les banques.

• Durcir la politique monétaire. Le Comité de politique monétaire de la BEAC, lors de sa réunion du 31 octobre 2018, a en effet relevé son taux directeur de 55 points de base, pour l’établir à 3,50 %. En outre, dans les mois à venir, la BEAC visera à réduire progressivement les montants de ses adjudications de liquidité, ce qui devrait contribuer au développement du marché interbancaire et améliorer l’efficacité de la politique monétaire.

« L’accumulation d’avoirs extérieurs nets par la BEAC n’a pas été à la hauteur des attentes ces derniers mois, puisque les avoirs extérieurs nets se sont chiffrés à 2,94 milliards d’euros à fin juin 2018, soit en deçà des projections de 3,10 milliards d’euros ».

Je tiens également à souligner une fois encore les considérables progrès accomplis pour réformer le cadre opérationnel et la mise en œuvre de la politique monétaire. Le nouveau mécanisme de la BEAC pour garantir les opérations de refinancement des banques, qui prévoit un système de décote sur les titres d’État pour mieux tenir compte des risques associés à chaque État, est aujourd’hui totalement opérationnel. Il en va de même du calibrage des opérations de politique monétaire en fonction des prévisions des facteurs autonomes de liquidité. Depuis juin 2018, l’offre de liquidité bancaire de la BEAC passe donc par un système d’adjudications/appels d’offres à taux multiples. Le corridor de taux d’intérêt, délimité par les guichets marginaux de dépôt et d’emprunt auxquels les banques ont librement accès, a été officiellement mis en place. Il ne nous reste donc plus qu’à adopter le nouveau système de comptabilisation des transactions monétaires. Les travaux ont bien avancé en ce sens et seront achevés, comme nous nous y étions engagés, d’ici la fin de l’année 2018.

Par ailleurs, la réforme de la règlementation des changes a nettement progressé. En vue de favoriser la reconstitution des réserves de change et d’éviter autant que possible toute transaction non légitime, la BEAC a révisé la règlementation existante pour renforcer les dispositions relatives au rapatriement des recettes d’exportation et aux pouvoirs de la BEAC et de la COBAC en matière de suivi et d’exécution du cadre de sanctions. Le projet de règlementation révisée a été soumis aux parties prenantes et à nos autres partenaires techniques et financiers, notamment au FMI.

Nous tiendrons compte de leurs observations avant de soumettre le texte révisé aux instances de la BEAC pour adoption, qui, conformément à nos engagements, devrait intervenir d’ici la fin de l’année. Pour être pleinement efficaces, ces mesures doivent être soutenues par les pays membres. Ceux-ci doivent à la fois mettre à disposition les contrats qu’ils ont signés avec les entreprises des secteurs minier et pétrolier, assurer le rapatriement des avoirs extérieurs par leurs entreprises publiques, et veiller à la stricte application des règles relatives à la domiciliation des exportations et à la centralisation des réserves de change auprès de la BEAC.

Ces mesures, conjuguées aux plans d’assainissement budgétaire des pays membres et à l’appui budgétaire des partenaires de développement, devraient permettre aux avoirs extérieurs nets de la BEAC d’atteindre, d’ici la fin de 2018, un niveau de 3,45 milliards d’euros. Cette accumulation, plus faible que prévu, est entièrement due à l’ajournement de nouveaux programmes pouvant être appuyés par le FMI avec le Congo et la Guinée équatoriale, et de l’appui budgétaire qui y est lié. Pour 2019, les avoirs extérieurs nets de la BEAC devraient se rétablir, puis retrouver les niveaux que nous avions projetés en juin dernier. Ils atteindraient alors 3,50 milliards d’euros à la fin juin 2019, puis 4,60 milliards d’euros à fin décembre 2019.

Comme je l’ai fait dans ma précédente lettre, je tiens à souligner que l’atteinte de ces objectifs ne dépend pas seulement des mesures prises par la BEAC, mais aussi de la mise en œuvre satisfaisante des plans d’assainissement budgétaire et de réformes structurelles par les pays membres de la CEMAC, ainsi que de l’appui budgétaire de nos partenaires extérieurs, notamment d’autres financements extérieurs (non liés à des projets) que nous attendons à hauteur de 0,89 milliard d’euros au cours du deuxième semestre 2018, de 0,63 milliard d’euros au cours du premier semestre 2019, et de 1,28 milliard d’euros sur l’ensemble de l’année 2019.

En outre, d’autres financements exceptionnels de la part de sources commerciales et bilatérales sont attendus pour couvrir une part non négligeable du service de la dette payable par le Congo en 2019 et les années suivantes. À cet égard, il me semble nécessaire de souligner une fois encore qu’il est fondamental que soit rapidement donnée l’approbation des programmes appuyés par le FMI dans tous les pays membres, et que soient élaborées et mises en œuvre des stratégies de remboursement des arriérés intérieurs, de façon à sauvegarder la stabilité des secteurs bancaire et financier, et de rester dans la droite ligne de l’objectif de reconstitution des réserves de change. »

 

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