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Vente de gibier à Yaoundé : au marché noir des espèces protégées

Dans les dédales d’un commerce illicite en plein coeur de la capitale camerounaise.

Les points de vente ont déjà une bonne réputation

L’adresse est nichée dans le 4e arrondissement de la capitale, précisément au quartier Nkolndongo. L’on trouve dans cet endroit toutes sortes de gibiers, même les plus insoupçonnés. Ce marché est divisé en deux espaces, dont un à proximité de la station-service TotalEnergies et l’autre juste en face de celle-ci.

Ce marché de «viandes de brousse» se déroule dans les cours, les vérandas, des arrières de maisons, des domiciles des particuliers et les bars. Ces espaces se louent à prix d’or. Pour ne placer qu’une petite table de 50 cm², il faut débourser 30.000 FCFA le mois. Bien plus, les caprices des bailleurs peuvent changer les règles quand bon leur semble, apprend-on auprès de nos sources. Le marché atypique s’auto- gère. Il ne reçoit les agents de la mairie que lors des prélèvements des taxes, témoigne papa John, l’un des bailleurs.

Dans cet endroit où la promiscuité a fait son lit, il se déroule la vente de plusieurs types de gibiers, surtout des espèces protégées et interdites par le gouvernement camerounais. Notamment dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre le braconnage et la criminalité faunique adoptée le 30 septembre 2020.

Il est divisé en deux. Dans la partie située en face de la station-service, les gibiers commercialisés sont boucanés (secs ou fumés). Parmi les espèces les plus vendues, l’on compte: éléphant, chimpanzé, gorille, singe, biche, antilope, hippopotame et rhinocéros. Mais vous ne voyez pas le «produit». Il se trouve à l’intérieur des bars, des maisons et magasins. Ce gibier interdit ne se vend qu’avec des codes, «parce que les agents du ministère des Forêts arrachent souvent la marchandise». Le visiteur-client ne voit que des espèces non protégées, à l’instar des antilopes, des biches… Du côté de la station TotalEnergies, le gibier vendu est dit frais. Ici l’on commercialise des espèces comme les crocodiles, les singes, les antilopes, les biches, les varans et surtout des pangolins. Le process de vente est le même que celui d’en face.

Approvisionnement
Les chargeurs des agences de voyages sont les acteurs incontournables dans la livraison des gibiers. «Ils sont au cœur du processus de transmission. Sans eux, la viande n’arrive pas à Yaoundé», assure Hervé, un grand fournisseur. En fait, les conducteurs possèdent des astuces de chargement qui permettent de dissimuler la viande. Ils sont appelés dans leur jargon des «10», des «maitres du jeu» en fait. «Ils mettent la marchandise au milieu de la soute, en s’assurant que le gibier est bien emballé. Afin qu’aucune odeur ne soit détectée, un produit la dissimulant est posé par les précieux paquets, même les chiens renifleurs n’y voient que du feu.

En ce qui concerne la marchandise dite fraîche, elle doit être bien congelée, surtout si la provenance est de plus de 200 km. La viande ne doit pas être avariée. Elle est emballée et à cela on ajoute les cartons pour que le gibier ne suinte pas», dévoile Hervé. Ce mercredi 12 juillet 2023, Mama Jeanne, très impatiente, est dans son comptoir situé juste à l’entrée du «secteur boucané». Yves, son livreur, en provenance de Gari Gombo dans la région de l’Est du Cameroun, devait être là depuis 14 heures. Rendu à 17 heures, il n’est toujours pas là. Vers 18h30, Yves prend langue avec sa cliente. «Tu connais bien le système, on a eu 15 contrôles, quand c’est compliqué, il faut payer les hommes en tenue», explique-t-il. Précision de taille: le paiement s’effectue sur place. «Au cas où la viande est saisie, je fais comment?» questionne la dame. Dame Ateba, propriétaire d’un restaurant, est non loin avec son gros sac contenant deux pangolins et une vipère. «C’est une commande d’un «deux zéro», des gens qui interdisent la vente», dit-elle.

Autres produits
Peaux de panthères, léopards ou de lions sont aussi vendues. Mais, c’est un autre cas de figure. Jean sort de Batouri à l’Est du pays et il veut vendre sa peau de panthère à 300.000 FCFA. Après s’être rendu à Douala où des propositions étaient très en-dessous de sa valeur (150.000 FCFA), il est obligé de confier le «produit» à un commerçant du marché moyennant un pourcentage de 10% sur la vente.

André Gromyko Balla

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