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Le parlé Ekang : miroir et âme des jeunes

En l’espace d’un siècle, de nombreux mots Ekang se sont envolés vers d’autres horizons pour être remplacés par des emprunts anglais ou français.

Les jeunes ekang, véhicules des variantes

«Comme toute vérité n’est pas forcément bonne à dire, on va ici la redire avec un mégaphone: avec leurs enfants, les Ekang parlent de moins en moins leur langue». De la tribune officielle du Festival Mvet Oyeng, l’on entend des voix qui grommellent, d’autres qui spéculent ou qui s’étonnent à côté de quelques réactions parfois proches de l’hystérie. En tout cas, ici à Ambam ce 22 juillet 2019, le Pr Jean-Brice Okeen a fait le constat. Si la réflexion du linguiste congolais a surtout un ancrage autobiographique, c’est qu’elle s’appuie sur l’expérience qu’il fit dans son enfance. «À mes frères et à moi, mon père enseignait le Fang en insistant sur le rejet des mots étrangers», affirme-t-il. Aujourd’hui, l’enseignant de l’Université Marien Ngouabi de Brazzaville se vante d’exprimer certaines choses mieux que des jeunes de moins de 30 ans.

Transformations
Aux yeux et aux oreilles du Pr Jean-Brice Oke, «cela est risible, ridicule, en tout point condamnable». Mieux, «c’est un échec générationnel». Ce qui alimente son discours, c’est qu’en l’espace d’un siècle, de nombreux mots Ekang se sont envolés vers d’autres horizons, pour être remplacés par des emprunts anglais ou français. Il en est ainsi de plusieurs prononciations d’origine. Par le truchement d’une approche historique, établit l’universitaire congolais, «il est clair que le problème des langues Ekang (dans toutes leurs variantes) vient surtout de l’intrusion coloniale». Dans les développements qui suivent, Pr Jean-Brice Oke soutient qu’il existe une histoire de la langue Ekang. Selon lui, celle-ci prouve que les règles ont changé, et aussi qu’on en a forgé en dépit de son fonctionnement structurel, en dépit des usages les mieux installés. «Au lendemain de la colonisation, ce phénomène a pris une importance croissante chez les jeunes, dessinant ainsi le visage d’une langue dépouillée de son élégance», fait savoir le linguiste.

Pour mesurer la situation, l’orateur invite le public à un tour chez les Boulou du Sud-Cameroun et les Fang de Guinée Équatoriale. Là-bas, apprend-on, les mots «accident», «lame», «mèches» et bien d’autres n’existent pas. D’après des études de terrain qu’il dit avoir menées, là-bas, les gens n’ont plus besoin de mots justes et nombreux pour communiquer ensemble. Ils n’ont pas besoin de mettre en mots précis et soigneusement organisés leur pensée, parce que, partageant tellement de choses, subissant tellement de contraintes de langues européennes. Là-bas, l’imprécision est devenue la règle d’un jeu linguistique socialement perverti; parce que les mots utilisés toujours ne sont plus porteurs d’un sens et par conséquent d’une information d’autant plus imprécise. «Parce qu’ils alimentent ou génèrent un vocabulaire exsangue et une organisation approximative des phrases, ces mots sont devenus ceux de la communion plutôt que de la communication, condamnant les Ekang qui les utilisent à renoncer à imposer leur propre pensée à l’intelligence des autres», atteste Pr Jean-Brice Oke.

Dans le fond, il s’agirait d’un problème d’emprunts linguistiques globalement vécu par les Ekang. Et cela découle d’une situation: l’usage de nouveaux mots très marqués par l’actualité politique, économique et sociale. «Ces nouveautés imposent des idiomes de référence acceptés partout en zone Ekang», théorise Pr Jean-Brice Oke. Et de désigner un danger autrement plus périlleux pour toutes les variantes des langues utilisées dans cette aire culturelle: «la mort de la langue Ekang et donc celle d’une mémoire, d’une histoire et d’une manière de penser».

Prochain article: Post-scriptum

Jean-René Meva’a Amougou, à Ambam

Pr Jean-Brice Oke

«L’actualité a autorisé l’évolution des variantes»

Pour l’universitaire congolais, le parlé Ekang est sous le coup des influences portées par les nouvelles générations.

Pouvez-vous nous décrire le phrasé Ekang?
Généralement, l’Ekang articule les consonnes nasales par l’abaissement du voile du palais; il ignore donc la plupart des consonnes lettres qui les représentent dans l’orthographe, correspondant à des articulations qui sont plutôt orales et qui ne produisent souvent qu’un léger abaissement du voile du palais d’où le terme de nasalisation ouverte.

Les Ekang ne valorisent pas assez leurs langues, avez-vous dit. Pouvez-vous être plus précis sur cette affirmation?
L’actualité semble avoir autorisé l’évolution des variantes Ekang en imposant aux jeunes surtout l’emploi de certaines dénominations étrangères pour décrire une ou plusieurs réalités. Pour moi, c’est dû au fait que les Ekang sont en retard d’une stratégie, faute de vision entraînante. Il y a en effet quelque chose d’incompréhensible à discourir sur la défense de leurs langues et à étaler chez soi des slogans en d’autres.

Vous vous êtes montré particulièrement nostalgique. Pourquoi?
Là n’est pas le propos. Ce qui m’a guidé dans mon exposé, c’est le souci de donner corps à une politique résolue en faveur des variantes de la langue Ekang, car cet espace, fort de plusieurs millions de locuteurs, bénéficie d’un potentiel de cohésion fondé.

Et que dire des variantes?
Comme toute langue, la variation d’ordre linguistique génère des variantes qui touchent le lexique, la phonologie/phonétique et la syntaxe/morphosyntaxe. Cependant, la variation linguistique et ses variantes sont influencées par un deuxième type de variations: les variations sociales. Celles-ci sont la géographie, la situation de communication, le temps et la position socioéconomique des locuteurs. La variation d’ordre géographique, par exemple, explique que «la même langue peut être prononcée différemment ou avoir un lexique différent en différents points du territoire».

L’exemple qui a été donné précédemment sur les différentes façons d’exprimer le concept d’accident s’applique à la variable géographique. C’est pour cela que les Ewondo et les Boulou du Cameroun n’ont pas la même signification que les Fang du Gabon, les Ntoumou de Guinée Équatoriale. Donc, les locuteurs Ekang utilisent un certain langage selon leur rang social. Entrent aussi en ligne de compte, dans cette variation, certains facteurs sociaux comme les caractéristiques sociales du locuteur, par exemple sa classe sociale, mais aussi son âge et son sexe. En ce qui concerne l’âge, chaque génération a sa façon de parler.

Propos recueillis à Ambam par JRMA

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