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Jeunes Africains face à Macron : Rebond inattendu de vieux débats

Indocilité

Quoi qu’il arrive dans les semaines qui viennent, la jeunesse africaine a mis la France sur le gril le 8 octobre 2021 à Montpellier. À l’aide d’un vocabulaire hautement combustible et une mise en perspective informée et plaisante à écouter, des jeunes Africains ont pu s’adresser à la France lors du récent sommet Afrique-France. De nombreux correspondants commis pour couvrir ces assises ont souligné combien l’élévation et l’audace de ces jeunes n’était que la juste expression du langage vrai trop longtemps laissé dans l’ombre de la diplomatie. De l’évocation des réalités de la coopération entre l’Hexagone et le continent africain aux déclarations enflammées, en passant par le simple échange de civilités, le ton des Africains est allé du plus léger au plus grave. « Cela s’appelle ouvrir l’avenir, ou encore de rebattre les cartes et chercher une nouvelle donne en pulvérisant celui qui, depuis toujours veut maintenir son hégémonie dans sa zone de nuisance et faire des affaires, et ce par tous les moyens nécessaires : coups d’États, assassinats de dirigeants politiques africains, intimidations, cooptation de dirigeants africains, chantages, pots-de-vin, interventions armées, campagnes médiatiques de désinformation, manipulations des opinions publiques », dit le politologue camerounais Belinga Zambo.

Discuter des thématiques bien connues en se servant d’un corpus langagier « sans filtre », voilà qui a permis d’exhumer ce qui a souvent été mis sous le boisseau diplomatique.

Le président français (ac) entouré de jeunes Africains à Montpellier

Rien ne sera plus comme avant. L’Afrique prend ses distances, et le cordon ombilical entre la France et l’Afrique est en passe d’être coupé. Les nouvelles générations n’y croient plus. Et les jeunes Africains l’ont dit à Emmanuel Macron lui-même: le temps des rapports dominant-dominé est révolu; il faut envisager des relations responsables, respectueuses, justes, pérennes et davantage constructives entre l’Afrique et la France. Pour le dire, la Burkinabé Ragnimwendé Eldaa Koama n’a pas eu besoin de «filtre» face à Emmanuel Macron. «Si la relation entre les pays d’Afrique et la France était une marmite, sachez qu’elle est très sale, cette marmite. Elle est sale de reconnaissance légère des exactions commises, elle est sale de corruption, de non transparence, de vocabulaire dévalorisant, elle est sale, monsieur le Président! Je vous invite à la récurer», a émis la jeune dame, avant de s’en prendre au terme «aide au développement […] Cela fait près d’un siècle que votre aide au développement se balade en Afrique. Ça ne marche pas. Sachez que l’Afrique se développera par elle-même, par le potentiel local et celui de la diaspora et certainement dans l’interdépendance avec les autres nations de la planète, mais surtout à travers des collaborations saines, transparentes, constructives. Il y a des têtes bien faites, il y a des investisseurs aussi en Afrique. Nous innovons déjà en Afrique. Et si ce n’est pas constructif dans cette relation qu’on imagine, on n’en veut pas», a pesté Ragnimwendé Eldaa Koama.

Sahel
L’activiste malienne Adam Dicko axe son discours sur la responsabilité de la France au Sahel dénonçant un discours «paternaliste». «Monsieur le Président, vous dites tout le temps que sans l’intervention de la France, il n’y aurait pas de gouvernement au Mali. Sachez bien que sans l’Afrique, la France n’existerait pas. Nous sommes liés par l’histoire et vous devez cesser de faire croire que vous voulez aider les Africains. Nous devons plutôt parler de partenariat. L’Afrique n’est pas un continent de misère ou de chômage, mais un continent jeune, optimiste, enthousiaste», a-t-elle asséné.
Sur la question de l’intervention française au Mali, elle dit: «la présence de la France au Sahel est la conséquence de l’intervention de la France en Libye qui à l’époque a ignoré l’Union africaine».

«Troisième mandat»
Leader du Mouvement démocratique libéral (Model), un parti politique guinéen, Aliou Bah aborde la question du troisième mandat dans les pays francophones d’Afrique. «Je ne vous demande pas de vous occuper de nos dictateurs. Nous le faisons et continuerons de le faire. Moi je viens d’un pays, la République de Guinée, qui vient de se débarrasser de quelqu’un qui voulait mourir au pouvoir», a dit le Guinéen. Il appelle Macron à ne pas «collaborer et considérer comme étant un interlocuteur quelqu’un qui utilise des manières subversives, les tripatouillages constitutionnels pour rester au pouvoir, n’en faites pas un partenaire». Selon lui, aussi longtemps qu’on va continuer à traiter cette question au cas par cas, on ne s’en sortira pas.

Réponses
Emmanuel Macron reconnait «la responsabilité immense de la France, car elle a organisé le commerce triangulaire et la colonisation». Mais il se refuse à demander pardon, privilégiant «un travail de vérité» et non de «honte de soi et de repentance». «Nous avons une dette envers l’Afrique», «un continent qui fascine le monde entier, qui parfois en effraie d’autres», a-t-il dit.

En ce qui concerne le Mali, il réitère une position déjà exprimée par les autorités françaises relative au retrait de la force militaire Barkhane. «La France n’a pas vocation à rester dans la durée au Mali. C’est pour ça que nous sommes en train de fermer des bases. À Tessalit ou à Kidal (nord du Mali), notre travail n’est pas d’avoir des bases militaires. Ce que je veux, c’est qu’on retire les bases militaires le plus vite possible, mais ça suppose un retour d’un État fort et des projets d’investissement, pour que les jeunes ne se tournent pas, dès que les groupes terroristes reviennent, vers le pire», précise le président français.

Sur la question du troisième mandat, le chef d’Etat français interpelle directement le représentant de la Guinée. «Le troisième mandat dans votre pays, je l’avais condamné avant, au moment et après des élections. Je l’avais condamné publiquement dans toutes mes déclarations», avance-t-il.

Et d’ajouter: «qu’est-ce je pouvais faire d’autre ? Nous ne pouvions pas faire d’intervention ou d’ingérence. On a réduit beaucoup la coopération gouvernement-gouvernement pour la remettre vers des ONG, des associations et autres. Sur le coup d’Etat, on a soutenu la position de la CEDEAO».

Jean-René Meva’a Amougou
Source : BBC News Afrique

Leçons de choses à Montpellier

Regards sur un discours et sa méthode

À Montpellier le 8 octobre 2021, Emmanuel Macron s’est assis face à une dizaine de jeunes Africains avec un ascendant psychologique. Fort de son image de président de la République à l’élocution facile, le chef de l’État français a certainement pensé gagner haut la main. Mais il se vit poussé au ballottage par une jeunesse qui brille par sa méthode. «Avant de faire l’inventaire des plaies ouvertes par la France en Afrique, les jeunes interlocuteurs du président français ont exposé leur totem aux yeux du monde: la politesse», scande François Bingono Bingono. L’anthropologue camerounais fait remarquer la durée et la somme des mots employés par la Burkinabé Ragnimwendé Eldaa Koama. «Cette jeune dame a voulu faire comprendre à l’ensemble de la planète qu’en Afrique, on parle mieux à son vis-à-vis après l’avoir longuement salué ; c’est cela qui fonde la pleine humanité de l’Africain», rappelle l’universitaire.

Structuration langagière
Ici, l’on pense par exemple au stock de formules ayant permis aux jeunes Africains d’introduire ou conclure leurs différentes propos. «À Montpellier, c’est comme si ces jeunes s’étaient passés le mot. Utilisé par tous, le procédé langagiers a charrié un ensemble cohérent, interprétable uniquement par la superposition de multiples strates d’analyse; un feuilleté fabriqué selon des modes de production répétitifs et uniques à la fois», décrypte Pauline Nzekeng. Du point de vue de la linguiste camerounaise, «ils ont montré par leurs différentes prises de parole que le contenu aborde des problèmes de politique et de géopolitique». Pour étayer ce qui précède, l’enseignante dit tenir «une analyse du sens des prédicats verbaux». «Ceux-ci, argumente-t-elle, nous montrent que les verbes les plus utilisés pendant cette causerie sont les verbes d’opinions qui ont servi principalement à présenter un ensemble de croyances liées à des convictions et/ou à des réflexions personnelles, pour souligner qu’ils ont réfléchi à la relation Afrique-France et qu’ils ont des solutions à proposer».

JRMA

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