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Diversification économique : Le leadership fait défaut à l’Afrique centrale

Pour la célébration de ses 60 ans, la Commission des Nations unies pour l’Afrique (CEA) a voulu tenir en haleine les gouvernements africains sur les enjeux économiques actuels. A travers son Bureau régional pour l’Afrique centrale, la CEA insiste sur l’urgence de la diversification des économies des pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC). C’était au cours d’un colloque organisé le 12 décembre dernier à Yaoundé. 

Vulnérables aux chocs externes du fait d’une dépendance aux matières de base, les pays de la région sont quasiment tous en atonie économique. Sous ajustement budgétaire pour certains, ils sont contraints à une discipline financière et économique. Très peu parviennent à réaliser les réformes d’une diversification profonde adossée sur les ressources nationales. D’aucuns ne disposent toujours pas de stratégie nationale. Plusieurs facteurs se bousculent ici : la planification inadaptée, incapacité financière, leadership non agissant… 

Le panel lors du colloque

Malgré une prolifération d’études, de modèles de référence et de conseils, les Etats de la région peinent à franchir le pas.

Pour célébrer son 60e anniversaire, la Commission des Nations unies pour l’Afrique (CEA) a organisé un colloque sur la diversification économique en Afrique centrale. A l’occasion plusieurs constats ont été faits: en Afrique, les ressources naturelles contribuent jusqu’à 25% à la richesse nationale, contre 2% dans les pays développés ; pour 23 pays africains, 10% de la production annuelle et 50% des exportations annuelles proviennent de ressources extractives.

Ce degré élevé de concentration des exportations dans les produits primaires expose les économies aux fluctuations et à la tendance baissière des prix des produits de base. «Les variations des prix des produits de base affectent les recettes d’exportation, la balance des paiements, les finances publiques, l’inflation et les taux de change et entravent les capacités des pays à gérer leurs économies», explique Mamadou Malick Bal, économiste à la CEA. C’est la baisse du prix l’un de ces produits (pétrole) qui a d’ailleurs plongé la sous-région dans la crise économique qui secoue en ce moment la Communauté économique et monétaire des Etats de l’Afrique centrale (Cemac). Le problème est encore plus important en Afrique centrale qui est l’une des sous-régions les plus faiblement diversifiées du continent (voir graphique 1).

Pour passer du cercle vicieux au cercle vertueux, une seule solution : la diversification de l’économie et l’industrialisation, préconise la CEA qui a même fait adopter le consensus de Douala, une sorte de mémorandum pour l’industrialisation de l’Afrique centrale. Sauf que «beaucoup des choses qui ont été dites ici ont déjà été entendues.

Depuis qu’on parle en Afrique centrale, il n’y a pas de changement», fait remarquer le ministre camerounais des Finances indexant la méthode de travail de la CEA. «Est-ce que le véritable problème de la CEA n’est pas qu’il se transforme en bureau d’études?», s’interroge-t-il avant de proposer: «Je profite de la présence du représentant du président de la Commission de la Cemac pour dire que peut-être qu’il faut aller au-delà de ce rôle de producteur d’idées, pour voir comment amener les Etats de l’Afrique centrale à les implémenter. Et je crois que cela ne peut se faire qu’en introduisant vos idées dans le corpus législatif et réglementaire des Etats de la Cemac sans que ces pays aient à dire oui on fait ou non on ne fait pas». Pour Louis Paul Motaze, c’est parce que le Fonds monétaire international utilise cette méthode que les réformes qu’il apporte aboutissent.

Mais pour certains d’experts présents au colloque, ce discours met en exergue le déficit de volonté politique des Etats de la sous-région à diversifier et à industrialiser leurs économies. Pour eux, la clé de voute c’est le leadership. Celui qui impulse et oriente. A les en croire, pour résolument s’engager dans la diversification, il faut une conviction et une détermination fortement perceptible. «Est-ce la CEA qui a porté à bout de bras les pays africains considérés comme référence et modèle», s’interroge d’ailleurs l’ancien ministre camerounais Garga Haman Adji.

Zacharie Roger Mbarga

 

‘’Nous sommes dans la réflexion pour capitaliser l’économie digitale’’

Antonio Pedro 

Le Gabon est l’un des pays qui a réalisé de sérieuses avancées. Dans le secteur bois, le pays est déjà dans la troisième transformation. 

Avancées, défis et perspectives de la diversification en Afrique centrale… Le directeur du Bureau sous régional de la Commission des Nations unies pour l’Afrique fait le point. 

 

La CEA commémore ses 60 ans en Afrique. Le thème fédérateur choisi est celui de la diversification économique. Pourquoi ce choix ?
Comme vous le savez, l’Afrique centrale a subi depuis 2014 une grande crise macroéconomique qui a créé des grandes difficultés économiques, sociales et je peux dire politiques. La cause principale de cette situation était la chute des cours du pétrole. Pour nous, une solution à cette problématique est de réduire la dépendance aux exportations des produits de base. Nous pensons que nous devrions profiter de l’heureuse occasion de cet anniversaire pour réfléchir encore une fois sur l’état des lieux de la diversification économique dans cette région-là.

Nous avons proposé un agenda : le made in central Africa. Il postule l’intensification du taux d’industrialisation des pays de l’Afrique centrale en profitant des avantages comparatifs que les pays ont, à l’instar des ressources minérales, agricoles, hydrauliques… Ceci va promouvoir une diversification verticale c’est-à-dire augmenter le taux de valeur ajoutée dans la production des produits de consommation.

La CEA a adopté le consensus de Douala pour passer du cercle vicieux au cercle vertueux. Quelle est situation aujourd’hui en termes d’appropriation par les Etats et de mise en œuvre des recommandations y afférentes ?

Nous sommes très contents de voir que les pays de toute la région ont adopté la diversification comme axe principale de leur politique. Depuis un an, les pays priorisent cela. Dans son discours d’investiture, le président Biya a fait de l’industrialisation la priorité des 7 prochaines années. C’est une marque du haut niveau de l’engagement politique sur l’industrialisation et la diversification. Le Cameroun a déjà un plan directeur de l’industrialisation.

Au Tchad, nous travaillons à produire les idées. Un comité interministériel a été mis en place pour formuler le plan directeur d’industrialisation et de diversification économique du Tchad. Nous leur apportons un soutien technique. En Guinée Equatoriale, nous avons organisé en juillet un débat de haut niveau avec les hauts fonctionnaires du pays. Il a servi à déterminer les piliers et les axes principaux de l’industrialisation du pays.

Par la suite, nous avons reçu une lettre du ministère équato-guinéen de l’Economie, du Développement et de la Planification qui a sollicité de nous un accompagnement technique. A notre niveau, une équipe a été mise sur pied et elle travaille déjà là-dessus. Au Congo, l’Etat élabore la vision 2047. Un cadre d’action et de planification de long terme. L’industrialisation y tient une place importante. Je peux dire que le Gabon est l’un des pays qui a réalisé de sérieuses avancées. Dans le secteur bois, le pays est déjà dans la troisième transformation.

Dans nos discussions, nous sommes lancés dans la réflexion pour capitaliser l’économie digitale. J’en profite pour annoncer que notre prochain comité intergouvernemental des experts se tiendra à Malabo en juillet sur la thématique des enjeux et opportunités de la digitalisation comme ase de diversification en Afrique centrale. Nous évaluerons les politiques d’économie numérique des Etats et nous discuterons des cadres de déploiement envisageables. Nous nous adaptons à la dynamique de diversification en renforçant nous-mêmes nos capacités humaines et intellectuelles en vue d’accompagner les Etats de la manière la plus totale. Il y a beaucoup encore à faire encore de la part des Etats pour la mise en œuvre des actions concrètes d’industrialisation.

Une des prescriptions de votre institution, c’est l’agro-industrie. Avez-vous le sentiment que les lignes bougent ?
Déjà, partons du constat que le niveau d’échanges intrarégionaux est très bas. A peine 2,7%. Nous pensons qu’il faut faire des efforts. Certains de ces efforts passent par le développement de l’agrobusiness. Par exemple, le Gabon et le Cameroun échangent de l’huile de palme. La capacité installée de transformation du Cameroun attire mécaniquement la production de noix gabonaise. Je pense que si on augmente le commerce, ça va contribuer à développer les chaines de valeurs sous régionales et partant à intensifier le commerce intrarégional.

Nous souhaitons étudier dans les détails ce type d’opportunités. Faire un mapping des produits pouvant induire des chaines de valeurs sous régionales. Le choix de l’agro-industrie se base sur les dotations dont regorge la sous-région. Au Tchad, on parle de 94 millions de tête des bétails. A partir de là, on peut faire des simulations pour identifier le potentiel de commerce intrarégional qui peut se faire autour de cette capacité animale. Dans le passé, le Tchad fournissait de la viande à plusieurs pays de la région notamment au Congo. Les tensions sécuritaires, économiques, sociales et politiques dans les pays de transit, de départ et d’arrivée ont contribué à estomper ce commerce-là.

Pour que cette activité perdure et soit dynamisé, il faut régler le problème d’infrastructures. Voilà pourquoi nous disons qu’il ne s’agit pas juste de formuler des visions. Il faut avancer les processus de transformation. J’ai parlé du bois, du bétail et de l’huile de palme. Le potentiel de la sous-région est justement pris en otage par un écosystème peu disposé à fluidifier les échanges. Nous travaillons avec les pays pour identifier les opportunités, les défis et les priorités. Nous pensons que les Etats gagneraient à développer les relations Afrique centrale-Afrique centrale. Certains pays pourraient partager leurs expériences dans les domaines où ils sont les plus avancés.

La diversification économique et l’industrialisation sont des conditions sine qua non pour permettre à l’Afrique de rentabiliser la Zlec. Quel est le niveau de préparation de la sous-région à ce grand marché unique ?

En termes de marché, l’Afrique centrale reste étroite. 171 millions d’habitants à peine dans la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale. La sous-région devrait penser à s’insérer dans l’Afrique à travers la zone de libre-échange continentale (Zlec). Nous avons commencé à travailler avec deux pays dans ce sens : le Cameroun et le Tchad. Les deux pays formulent des stratégies nationales d’insertion dans la Zlec. En identifiant leurs avantages comparatifs et les capacités d’insertion. Dans l’agro-industrie, le Cameroun est au milieu de deux marchés à savoir le Nigéria et la République démocratique du Congo.

Si les pays veulent bien capitaliser la Zlec, ils doivent accompagner leurs entreprises. Mieux les soutenir car c’est elles qui ont besoin de subventions, de facilités… Il faut équilibrer les appuis entre les investisseurs étrangers et les locaux. Il faut inciter à l’érection des références nationales. C’est ce qu’on fait tous les pays.
Nous avons contribué à définir le plan consensuel des transports. Nous travaillons à modifier la configuration. Nous voulons ajouter de nouvelles variables au logiciel de liaison des capitales. Par exemple, intégrer des grands centres de consommation, les grands centres urbains, interconnectés les grandes bassins de production. Nous avons engagé la discussion avec les bailleurs de fonds (Bad, Banque mondiale, la BDEAC), les Etats…

Après la célébration du 60ème anniversaire, quel est le nouveau cap de la CEA ? Allez-vous simplement poursuivre dans le suivi des actions actuelles ?
Nous avons une théorie de changement. Diversifier, industrialiser intensément, digitaliser. L’objectif est d’accentuer la diversification des économies de l’Afrique centrale. Le cas du financement est encore pesant. Nous accompagnons les Etats à trouver les moyens. En Afrique, les fonds de pension ont une capacité de 400 millions de dollars. Cet argent est généralement utilisé pour construire des bâtiments. Nous proposons aux Etats de mobiliser cet argent pour améliorer le tissu productif.

La quatrième révolution industrielle a été portée par l’économie numérique. En Afrique et particulièrement dans cette sous-région, on est resté à la première révolution industrielle. Dans certaine industrie, il y a une digitalisation du processus de production avec l’intelligence artificielle, la robotique etc…Mais il faut bien réfléchir et identifier les dangers aussi notamment la perte des emplois.

Dans l’agrobusiness, la technologie de drone et de blockchain permettraient de quantifier et d’évaluer rapidement des ressources. Et ces données seront plus pertinentes pour l’accès à un crédit. Dans la production agricole, ces technologies permettraient de recueillir les données hydrométéorologiques, la typologie des sols… Voilà comment nous pensons que capitaliser la digitalisation pourrait accélérer la diversification économique.

Pour y arriver, nous pensons que les pays doivent se situer sur le moyen et le long terme. Certes, il faut rétablir l’équilibre des comptes et maintenir la discipline budgétaire. Mais il est important que les Etats aient de la visibilité sur le moyen terme. La question de la qualité de la dette nous pose problème. Nous discutons avec nos partenaires du FMI et nous leur disons de prendre en compte cet aspect.

Propos recueillis par
Zacharie Roger Mbarga

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