Les douze travaux de Midjiyawa Bakari

Les cibles de Yaoundé

La troisième réunion du Forum des gouverneurs du Bassin du Lac Tchad est entrée dans l’Histoire. Mais la «Coopération sur la stabilisation, la consolidation de la paix et le développement durable» reste d’actualité. Du 4 au 5 octobre dernier, elle était au cœur des travaux de Yaoundé. À l’aune de cette problématique, des indications ont été données sur l’ampleur et la gravité de la situation sécuritaire et humanitaire dans la région. En effet, on est désormais mieux fixé sur l’étendue des besoins des quatre pays de la Commission du Bassin du Lac Tchad (CBLT). On en sait également plus sur la nature des cibles prioritaires des huit gouverneurs.

Parmi les cibles dans leur viseur, certaines sont vouées à être combattues. C’est le cas de la secte terroriste Boko Haram et des changements climatiques. Leurs effets sur le cadre et les conditions de vie des populations sont nombreux et justifient le cri d’alarme relayé par les gouverneurs. À côté de cela, il existe des cibles d’une autre nature. Elles sont constituées d’une part des populations des régions affectées. Puisqu’elles sont les principales bénéficiaires des actions sur le terrain. D’autre part, ces cibles renvoient aussi aux partenaires au développement. Leur apport se révèle en effet vital pour la mise en œuvre de la Stratégie régionale de stabilisation, de redressement et de résilience des zones affectées. Il est d’ailleurs attendu une contribution encore plus accrue et une meilleure collaboration avec les gouverneurs.

Au demeurant, six sessions ont meublé la troisième édition de la plateforme régionale. Elles constituent autant d’axes à aborder dans le cadre de la série de dossiers que votre journal ouvre sur le Forum des gouverneurs du Bassin du Lac Tchad. Les différents thèmes portent précisément sur les avancées régionales réalisées depuis la deuxième édition du Forum au Niger; les progrès accomplis dans la mise en œuvre de la Stratégie régionale de stabilisation; la contribution de la société civile; la coopération civilo-militaire; les défis et opportunités en matière de coopération transfrontalière; ainsi que sur la réconciliation et réintégration à base communautaire des ex-associés de Boko Haram.

Théodore Ayissi Ayissi

En prenant les rênes du Forum des gouverneurs du Bassin du Lac Tchad, le patron de la région camerounaise de l’Extrême-Nord s’est engagé au nom de ses pairs à mettre en œuvre les décisions arrêtées et contenues dans le communiqué final.

Les gouverneurs de Diffa (àg) et de l’Extrême-Nord au
moment de la passation de la présidence du Forum.

Le 5 octobre dernier à Yaoundé, le gouverneur de la région camerounaise de l’Extrême-Nord a succédé au gouverneur de la région nigérienne de Diffa. Il appartient depuis lors à Midjiyawa Bakari, en lieu et place de Sem Issa Lemine, de présider aux destinées du Forum des gouverneurs du Bassin du Lac Tchad. Et sur la façon de s’acquitter de cette mission, le nouveau président a donné quelques indications. «Évidemment sous l’encadrement et la bienveillante attention de notre hiérarchie, nous mettrons tout en œuvre pour que les Plans d’actions territoriaux qui ont été arrêtés ici soient mis en œuvre. Nous travaillerons en synergie avec tous nos homologues des autres pays. Puisque si un seul pays est en difficulté, la paix ne sera pas totale», a laissé entendre le gouverneur de l’Extrême-Nord. C’est en pleine conscience de ce que c’est désormais à lui qu’il revient au premier chef de veiller notamment à l’implémentation des décisions contenues dans le communiqué final.

12 décisions majeures
Dans l’accomplissement de sa mission, le gouverneur de la région camerounaise de l’Extrême-Nord devra composer avec ses pairs de Yobe, Borno et Adamawa au Nigéria; de Hadjer-Lamis et de la Province du Lac au Tchad; de Diffa au Niger; et du Nord au Cameroun. Ensemble, ils ont convenu les 4 et 5 octobre derniers à Yaoundé, de «renforcer l’appropriation de la Stratégie régionale de stabilisation et des Plans d’action territoriaux (PAT), et de s’assurer que leur mise en œuvre incombent principalement aux gouverneurs des États les plus affectés du BLT», rapporte le communiqué final. À cet effet, il a été recommandé que «les acteurs humanitaires, du développement et de la paix alignent leurs activités sur les priorités des gouvernements (national et local) et sur celles des populations de la région».

Ainsi, les gouverneurs doivent, entre autres, «s’assurer de la mise en œuvre systématique et efficace des PAT qui ont été lancés lors de ce troisième Forum, et suivre périodiquement les progrès accomplis». Ils ont en outre l’obligation de demeurer «fermement attaché au renforcement de la coopération transfrontalière en matière de sécurité afin de faciliter le commerce transfrontalier, d’améliorer la reprise économique et de renforcer les moyens de subsistance des populations».

D’où aussi la nécessité de «jouer son rôle en tant que principal mécanisme de coopération transfrontalière et de travailler en étroite collaboration avec les principaux acteurs du BLT. Et de ce fait, de poursuivre la réflexion commune et le partage d’informations pour bénéficier mutuellement des bonnes pratiques existantes dans la région», renseigne encore le communiqué final.

Dans tous les cas, ces autorités administratives plus que jamais en première ligne doivent aussi «travailler avec les partenaires pour redoubler d’efforts en vue d’autonomiser et donner plus d’opportunités notamment d’emplois aux femmes et aux jeunes». À en croire le document, cela va notamment impliquer de «faciliter les contributions et l’engagement des organisations de la société civile dans la mise en œuvre et le suivi des PAT, mais également d’exhorter tous les partenaires à donner la priorité à la fourniture de plus de logistiques à la Force multinationale mixte pour lui permettre de mieux accomplir sa mission de sécurisation», peut-on lire.

D’après le même communiqué, les gouverneurs et le président de la plateforme régionale devront enfin s’engager «sur un ensemble de priorités régionales communes, notamment la conduite du DDRRR centré sur les communautés».

Théodore Ayissi Ayissi

Armes et munitions

Les gouverneurs du Bassin du Lac Tchad ont à leur disposition une panoplie d’outils et d’instruments. Ceux-ci vont de la Stratégie régionale de stabilisation à l’appui des partenaires, en passant par le soutien des États de la CBLT et le déploiement de la Force multinationale mixte.

Au sortir du conclave de Yaoundé, la tâche s’avère immense pour les huit gouverneurs du Bassin du Lac Tchad. En plus d’avoir à réduire à sa plus simple expression la secte islamiste Boko Haram, ces autorités administratives doivent aussi juguler les effets néfastes des changements climatiques et s’investir sur le terrain du développement. Cependant, on ne peut pas dire que les huit gouverneurs du Bassin du Lac Tchad sont sans armes pour affronter cette adversité. Bien au contraire. Une panoplie d’outils et d’instruments existe et est mise à leur disposition à cet effet. À charge pour ces derniers d’en faire bon usage.
Déjà, ces autorités administratives peuvent se reposer sur la Stratégie régionale de stabilisation des huit zones affectées.

Il s’agit d’un outil adopté en 2018 et qui est progressivement mis en œuvre depuis lors. Des Plans d’actions territoriaux (PAT) donnent également déjà de bons résultats sur le terrain du développement malgré les disparités. Ils ont effet la particularité d’être spécifiques à chacune des huit régions du BLT en proie à l’insécurité et à la crise humanitaire.
Dans cette guerre, les gouverneurs savent également pouvoir compter sur les partenaires au développement. Ainsi que l’a indiqué le Premier ministre chef du gouvernement camerounais, Joseph Dion Nguté, lors du lancement officiel du Forum, «l’accompagnement des partenaires s’avère plus que par le passé fondamental». Il a de fait été demandé au Programme des Nations unies (Pnud), la Banque africaine de développement (Bad), l’Union européenne, la GIZ, et à toutes les autres ONG déjà aux côtés des populations, de revoir à la hausse leur différentes contributions. Il est cependant question de le faire en «étroite collaboration avec les autorités administratives qui sont mieux outillées pour savoir qui a besoin d’aide et qui joue au malin», a indiqué Midjiyawa Bakari, le nouveau président du Forum des gouverneurs du BLT.

De même, le rôle des quatre États de la CBLT va s’avérer crucial. Pour le cas du Cameroun par exemple, «l’État, à travers le chef de l’État, a déjà décidé d’un plan de reconstruction. Et la cagnotte est de 1810 milliards FCFA», a relevé le gouverneur de l’Extrême-Nord. Ceci sans tenir compte des pourcentages de budget de l’État également mis au service de la cause.
Enfin, le Forum des gouverneurs pourra toujours s’appuyer le secrétaire exécutif de la CBLT, Mamman Nuhu, ainsi que sur son bras armé : la Force multinationale mixte. La FMM est en effet à pied d’œuvre depuis 2015. Elle est basée à Ndjamena au Tchad et est aujourd’hui commandée par le général de division nigérian Abdul Khalifah Ibrahim.

Théodore Ayissi Ayissi

Ils ont dit


Joseph Dion Nguté, Premier ministre du Cameroun, représentant personnel du chef de l’État, Paul Biya

«Le Cameroun envisage un engagement complémentaire d’un million de dollars»

Engagés dans un processus d’édification d’une paix durable, les chefs d’État du Bassin du Lac Tchad ont entrepris d’œuvrer à l’amélioration significative des conditions de vie des populations environnantes. La stratégie régionale de stabilisation élaborée avec la CBLT en partenariat avec la Commission de l’Union africaine, est venue consolider cette approche. Le partage de bonnes pratiques et l’identification d’une série d’actions spécifiques ont permis d’améliorer significativement la sécurité et la sûreté des communautés… À cet effet, le gouvernement du Cameroun envisage un engagement complémentaire à hauteur d’un million de dollars pour accompagner cette dynamique amorcée. Il est donc important que tous les acteurs s’inscrivent dans la même logique.

Alamine Ousmane Mey, Minepat et représentant du Premier ministre, chef du gouvernement du Cameroun

«Les actions entreprises donnent des résultats encourageants»

Les actions entreprises tant au niveau des États qu’au niveau sous-régional en faveur de la stabilisation et le relèvement de cette zone donnent des résultats encourageants. Il convient dès lors de poursuivre résolument la mise en œuvre concertée de la stratégie régionale de stabilisation. À cet égard, la collaboration, la cohésion et la concertation entre les différents acteurs permettront à terme d’assurer inexorablement une rapide transition vers un relèvement inclusif sur le chemin du développement durable avec à la base une action humanitaire appropriée.

Mamman Nuhu, secrétaire exécutif de la CBLT et chef de mission de la Force multinationale mixte

«Trouver des solutions transnationales à des défis communs et transfrontaliers»

Les résultats des deux premières éditions du Forum des gouverneurs, notamment à Niamey, ont été consolidés ici à Yaoundé. Nous avons créé une synergie. Nous avons surtout créé cette plateforme pour échanger les idées, et afin de trouver des solutions transnationales à des défis communs transfrontaliers. Nous avons à notre disposition une stratégie régionale de stabilisation. Elle a été mise sur pied en 2018 par la Commission du Bassin du Lac Tchad avec le soutien de l’Union africaine et du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Mais il y a aussi les Plans d’action territoriaux. Et ils sont très importants dans la mesure où ils constituent les conducteurs de la stratégie régionale de stabilisation. Ils sont construits autour de 9 piliers et sont appelés à être implémentés par chacun des huit gouverneurs du Bassin du Lac Tchad.

Midjiyawa, gouverneur de l’Extrême-nord (Cameroun) et président du Forum des gouverneurs du BLT

«L’aide des ONG peut être sujette à caution»

L’aide qui vient des ONG et qui atterrit directement dans les mains des bénéficiaires peut être sujette à caution. Pour la simple raison que si vous n’avez rien au départ, et que subitement vous vous retrouvez avec des moyens d’assistance énormes, vous pouvez vous-mêmes faire en sorte que l’insécurité persiste. Parce que dès lors que l’insécurité est réglée, vos sources de revenus vont également disparaître. Il n’y a que l’État qui peut savoir qui est nécessiteux et qui ne l’est pas. Ce sont les missions régaliennes de l’État de s’occuper de ses populations. Et ceux qui viennent en appui doivent donc se rapprocher de l’État pour savoir à qui donner. Parce qu’il y a à craindre que cette aide-là poussent certains à rester dans cette constante pour créer des petites incursions et donner l’impression que l’insécurité persiste afin que l’aide ne soit pas arrêtée.

Ahunna Eziakonwa, directrice du Bureau régional du Pnud pour l’Afrique

«Le Forum des gouverneurs est une innovation»

Notre succès continue de dépendre de notre volonté de travailler dans le cadre d’une coalition d’acteurs ayant un but commun, celui de mettre fin à l’insurrection de Boko Haram. La mutualisation des moyens va dès lors déterminer le sort de la région au cours des 10 prochaines années. Nous ne devons cependant pas oublier ce qui nous a conduit ici : la négligence, les inégalités, l’exclusion, et la mauvaise gouvernance. Renverser cette tendance va à coup sûr nous conduire hors de ce bourbier.
Nous devons donc nous encourager les uns les autres et remercier le gouvernement du Cameroun pour avoir démontrer sa volonté et sa détermination à accueillir ce Forum. Je voudrais également remercier le président sortant du Forum des gouverneurs. Je pense en effet que cette plateforme est une innovation et constitue un enseignement pour le reste du monde.

Philippe Van Damme, ambassadeur, chef de la délégation de l’Union européenne au Cameroun

«Nous entendons augmenter notre contribution»

Je suis sensible à ce qui s’est dit et aux nombreuses sollicitations adressées aux partenaires au développement. L’Union européenne entend effectivement relever le montant de sa contribution pour le développement du Bassin du Lac Tchad. Il est vrai que pour l’heure il est difficile de dire combien exactement nous apporterons, mais cela est en étude et sera intégré dans le prochain cycle de l’aide de l’Union européenne.
Et sur les critiques formulées contre les ONG, nous ne nous sentons pas concernés. Le moment venu, l’Union européenne va travailler avec les autorités administratives et les acteurs locaux. Ceci pour la simple raison que ce sont eux qui sont au contact des populations et ce sont eux qui prennent les plus gros risques.

Sem Issa Lemine, gouverneur de Diffa et président sortant du Forum des Gouverneurs du Bassin du Lac Tchad

«Nous constatons un essoufflement des organisations humanitaires»

Les États n’étaient pas préparés à faire face à un afflux massif des réfugiés. C’est grâce au dynamisme et au professionnalisme des humanitaires et des organisations du système des Nations unies que la situation des réfugiés et déplacés a été gérée.
Nous avons également eu à faire face aux inondations qui du point de vue des effets ne sont pas moindres que ceux de Boko Haram. Donc nous voulons féliciter et encourager les organisations humanitaires. Surtout que tant que nous n’aurons pas totalement défait Boko Haram, leur contribution restera essentielle. Malheureusement, nous constatons un essoufflement, puisque par exemple, les investissements financiers commencent à diminuer.
Les besoins sont pourtant nombreux. Les gens n’ont pas de moyens de productions. Les zones de production sont occupées par Boko Haram, notamment le Lac Tchad.


Abdul Khalifa Ibrahim, commandant de la Force multinationale mixte

«Boko Haram doit être abordé de manière collective et coordonnée»

Je voudrais adresser mes remerciements aux autorités du Cameroun, Nigéria, Tchad, Niger et du Benin pour le soutien qu’elles apportent à l’organisation. Je voudrais également remercier le secrétaire exécutif de la CBLT, l’Union africaine, l’Union européenne, les Nations unies et les autres organisations pour le grand soutien apporté à la FMM.
Boko Haram est une menace transfrontalière et sous-régionale qui doit être abordée de façon collective et d’une manière coordonnée. Ce qui n’est cependant pas toujours le cas. Certaines opérations sont encore menées par les forces nationales des pays contributeurs sans que le Quartier-général de la FMM en soit informé. Et cela bien que ces opérations soient conduites dans une zone opérationnelle relevant de la compétence de la Force multinationale mixte. D’où une fois de plus mon appel pour une approche plus coordonnée.

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