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Péages routiers automatiques : Le tournant caricatural

Plus d’une décennie après avoir été annoncé, le projet qui, selon des experts, ne pose que des questions techniques, dégagées des conflits d’intérêts, et auxquelles un savoir économique rationnel est supposé apporter les réponses nécessaires, tarde à prendre corps. Raisons.

L’ancien poste de péage de Nsimalen toujours opérationnel

À Mbankomo (Mefou-et-Afamba) le 10 décembre 2020 se pressait un aréopage de membres du gouvernement pour assister à la cérémonie de pose de la première pierre du projet de construction des 14 péages automatiques du Cameroun. Bariolée par plusieurs personnes, la localité située à une vingtaine de kilomètres de Yaoundé avait ovationné Emmanuel Nganou Djoumessi (ministre des Travaux publics), Louis Paul Motaze (ministre des Finances), Jean Ernest Ngalle Bibehe (ministre des Transports) et Marie-Thérèse Abena Ondoa (ministre de la Promotion de la Femme et de la Famille). Sur les lèvres du MINTP, un discours optimiste inspiré du travail fait en amont depuis 2009, lors de la 8e session du Conseil national de la route. Au cours de ces assises, le Cameroun avait décidé de se doter de 14 péages routiers automatiques à Mbankomo, Boumnyebel, Edéa, Tiko, Nkometou, Bafia, Bayangam Matazem, Mbanga, Manjo, Bandja, Dschang, Foumbot et Nsimalen.

Ces sites avaient été retenus sur la base de leur rentabilité avérée (environ 75% des recettes des 45 postes de péage disponibles à travers le pays, selon une étude faite par le gouvernement en 2009). L’État prévoyait déjà des recettes de l’ordre de 7 milliards FCFA en 2021, et environ 54 milliards en 2039 sur la base d’un tarif unique fixé à 500 FCFA. Les recettes nettes à reverser à l’État partiraient de 5,482 milliards FCFA en 2021 pour caracoler à près de 49 milliards FCFA en 2039, date prévue pour la fin du contrat de gestion desdits postes par le groupement Razel BEC-Egis Projects.

Confusion
À quelques semaines de la fin d’année 2021, Intégration a voulu s’informer sur l’état d’avancement du chantier. Malgré une sollicitation dûment adressée au MINTP, celui-ci est resté aphone. Néanmoins, sur la base d’un article posté sur son site Internet le 20 octobre 2021, l’«ingénieur de l’État» renseigne que «les travaux de terrassement de Mbankomo sont quasiment achevés». De cette information, il est implicitement révélé que la date de livraison traînera en longueur.

De cette information aussi, quelques experts retiennent que l’affaire est bien plus confuse qu’il n’y paraît, recouvrant des combinaisons d’enjeux très différents. «À voir le tournant caricatural pris par le non-respect des délais de livraison des ouvrages, l’on voit bien que le gouvernement a encore oublié d’apporter des solutions pragmatiques à un projet ne posant que des questions techniques, dégagées des conflits d’intérêts, et auxquelles un savoir économique rationnel est supposé apporter les réponses nécessaires», commente Nicolas Bilogui. L’économiste et secrétaire exécutif du think tank Initiatives de politiques citoyenne (IPC), croit savoir que «dans ce projet de construction de 14 postes de péages automatiques, plusieurs non-dits sont à l’œuvre».

C’est d’ailleurs ce que confirme Jean-Marc Bikiko, activiste au sein du Réseau indépendant de suivi des politiques publiques et des stratégies de coopération. «Dès le départ, affirme-t-il, ce projet a été animé par des batailles souterraines après des soupçons de favoritisme lors de la sélection de l’adjudicataire. Cela est dû à la complexité de notre organisation administrative (administrations centrales, administrations déconcentrées de l’État, collectivités territoriales avec leurs différents niveaux et leurs structures de coopération, établissements publics nationaux et locaux, etc.) et de la porosité qui existe entre ces diverses institutions».

Jean-René Meva’a Amougou

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