INTÉGRATION RÉGIONALEZOOM

Financement de l’économie : comment faire de l’épargne locale une alternative à l’endettement extérieur ?

L’Afrique centrale doit réfléchir à la souveraineté de son endettement. Face à un endettement présenté comme compulsif depuis l’atteinte des points d’achèvement par plusieurs pays de l’Afrique centrale, la question des sources de refinancement de l’économie se pose avec acuité dans la région.

Avec un risque pays et des taux d’intérêts élevés du fait d’une confiance insuffisante de la part des investisseurs, il est nécessaire d’endogéniser le financement des projets de développement en Afrique centrale. Dans un contexte où la nécessité de relever les réserves de change pour stabiliser notre position extérieure de la Cemac se pose.

La maturité des contrats d’endettement extérieur en Afrique centrale pose de plus en plus le problème de la soutenabilité des économies. Généralement, les échéances de remboursement sont à très courts termes et inadaptées à la rentabilité des projets pour lesquels ils sont destinés. Qui plus est, la dette extérieure est généralement détenue par des agents économiques externes. Dans cette perspective, la hausse des impôts devient souvent le principal instrument pour contrebalancer les ressources de l’État. La coloration économique inquiétante des pays de l’Afrique centrale repose en règle générale sur la caractéristique ci-après : forte composante étrangère de la dette et notamment en devises étrangères, des taux d’intérêt élevés et une maturité relativement courte, une faible capacité à créer la richesse et à la répartir de manière inclusive.

De fil en aiguille, il émerge une nécessité d’abreuver la dynamique de développement à travers d’autres tuyaux de financement. Ceci s’est fait dans le but d’échapper au piège du défaut systémique et systématique de paiement. Dans ce brainstorming, la mobilisation de l’épargne locale parait moins risquée. Elle offre des garanties en matière de maitrise totale du circuit de circulation des ressources monétaires, de transmission directe de l’argent entre les entités publiques et privées nationales et enfin de la nationalisation de la dette. Le journal Intégration donne la parole à des citoyens à l’effet d’exprimer leurs idées sur la préoccupation de la mobilisation de l’épargne locale pour le financement des projets de développement. L’objectif est triple : sortir les préoccupations économiques du corridor gouvernement-secteur privé, faire du citoyen un acteur et non plus un sujet de la dynamique de construction du développement et l’inciter à s’investir matériellement par la confiance.

Zacharie Roger Mbarga

Face-à-Face

Tsondo Ekassi, étudiant-chercheur en philosophie politique à l’Institut catholique de Paris

La mobilisation de l’épargne locale garantirait l’inclusion sociale et territoriale en Afrique centrale

S’il est vrai que l’Afrique ne se départira pas sitôt des sources de financement extérieur pour son développement, il est tout autant vrai que l’urgence et la nécessité de recourir à des outils de financement innovants se fait cruellement sentir. L’épargne locale peut rentrer dans ce qu’il convient d’appeler : instruments innovants pour le financement du développement en Afrique centrale.

Il s’agit là des ressources de financement endogènes. D’abord la notion de développement doit être comprise en général comme un processus qui va du bas vers le haut et non l’inverse. C’est-à-dire que c’est à partir des problèmes qui se posent à une communauté locale particulière qu’on doit penser un développement s’appliquant à une échelle plus large, nationale ou sous-régionale. Du coup, pour répondre à ces problèmes concrets et connus de tous, les solutions ne pourront qu’être internes et adaptées à ce biotope.

La première démarche pour mettre en œuvre cette épargne locale c’est la cohésion sociale grandement indispensable. Il faut penser un développement collectif et non particulier. En réalité, la cohésion sociale et les structures de financements locaux permettant l’épargne locale s’imbriquent nécessairement. De sorte que, vivant les mêmes réalités au niveau géographique, au niveau professionnel ou même au niveau tribal on peut mettre ensemble des efforts financiers pour résoudre certains problèmes personnels de base et ensuite se projeter dans des projets de groupe. On pourra alors évoquer des activités comme les «ndjangui», les banquiers ambulants ou les tontines qui permettent même aux plus pauvres de prêter sans intérêt : chose qu’aucune banque ne permettrait. D’ailleurs dans une perspective novatrice on pourrait même quitter des échanges pécuniaires aux échanges en nature : des champs cultivés collectivement, des élevages collectifs ou toute autre activité collective permettant de regrouper des fonds pour des objectifs communs.

Ensuite on pourrait appuyer l’épargne locale sur des acteurs privés pouvant développer ou apporter leur contribution à l’économie locale (fonctionnement similaire à celui de la responsabilité sociale des entreprises). Ici il sera question d’extérioriser et de diversifier cette « petite économie » en l’adossant sur une structure déjà existante à qui un groupe apporterait sa plus-value et l’acteur privé lui permettra en retour d’être en quelque sorte un actionnaire et fera bénéficier à la population locale d’un développement selon les objectifs de celle-ci. Bénéficiant donc d’un tel statut le groupe saura accroitre ses recettes, son épargne et bénéficier d’une amélioration de ses conditions de vie.

Enfin il faudrait, de manière générale, que les institutions compétentes permettent un accès facile au crédit pour les plus pauvres. Ceci peut passer par la multiplication des hypothèques en nature, mobilières et immobilières. Cela existe déjà dans certaines banques en ce qui concerne des terrains ; mais on pourrait l’étendre à d’autres biens tels que le bétail ou les cultures. Ce qui permettrait non seulement un bon entretient de ces biens mais aussi une bonne garantie pour les deux parties.

En gros, l’épargne locale est un levier non négligeable pour le financement du développement en Afrique centrale car elle permet déjà une bonne cohésion sociale, favorise les classes les plus faibles et permet de rester dans une logique authentique et indépendante de développement qui s’arrime non seulement aux problèmes concrets de la population mais aussi, ne rend pas cette dernière ignorante du fonctionnement économique global. Dès lors, la pierre d’angle de tout cela reste le dynamisme des populations locales et la détermination d’un objectif commun.

 

Martin Eyebe Soppo, expert en problèmes économiques et financiers

Refinancement par l’épargne locale exige un dispositif particulier pour une zone qui a un mécanisme monétaire particulier

À priori notre situation ne le permettrait que difficilement, mais en réalité le mécanisme est plus complexe que cela n’apparait. Nous ne sommes pas une zone d’émission directe comme le Ghana ou le Nigeria qui ont leurs valeurs cotées sur les bourses étrangères. Nous sommes deux zones de contreparties, dans l’espace FCFA, où les mécanismes d’application sont différents, mais aboutissent aux mêmes résultats sur le sujet qui nous préoccupe.

Déjà, il faudrait peut-être se doter d’une plus grande marge de manœuvre pour financer les projets de développement, pour cela on devrait emmener les autorités à prendre l’engagement de maintenir la discipline budgétaire en insufflant une nouvelle dynamique à l’économie nationale. Ceci afin de booster la croissance et d’améliorer les conditions d’autonomisation financière qui vont justement permettre que les options de financement à partir de l’épargne nationale se mettent en place. Car les emprunts obligataires ont des limites en terme de liquidités tant les poches de masse monétaire sont multiples.

Lorsqu’on parle d’endettement extérieur, on pense au portefeuille de devises, cette conjonction nous fait penser au Forex (contraction de l’expression anglaise Foreign Exchange. Il désigne le marché sur lequel les devises monétaires sont échangées). Il n’existe pas de place de marché en Afrique centrale pour échanger des devises. En faisant allusion à l’épargne locale comme alternative au financement on pensera tout de suite à l’offre de forte croissante et à la demande interne qui favorise les positions de crédit pour un droit de tirage ou d’émission qui ne s’effectuera pas ou alors on pensera aux différentes masses cumulées des quotités reversées aux différentes banques centrales pour le fonctionnement des économies. Dans cette complexité de paramètres, il y aurait peut une autre façon de faire: le swap. Le swap ou l’échange financier est un produit financier dérivé. Il s’agit d’un contrat d’échange de flux financiers entre deux parties, qui sont généralement des banques ou des institutions financières. Le swap pourrait répondre à cette adéquation qui, sans faire de l’arbitrage, pourrait financer les projets de développement.

En règle générale, ces différentes transactions s’effectuent par l’intermédiaire d’une banque. Mais alors quelle banque ? Si c’est la banque centrale son intervention sera limitée par les mécanismes de gestion auxquels elle fait face par rapport au compte d’opérations, le Forex ne fera pas son affaire par rapport aux opérateurs économiques. Si c’est une banque commerciale locale, elle sera confrontée à la règlementation nationale qui ne lui donne pas la possibilité de passer directement sur le marché multidevises pour acquérir des positions sur le marché financier international. Sauf en ce qui concerne les réceptions par le système RTGS (Real Time Gros Settlement), un système SYGMA qui est en fait un transfert instantané bancaire (sorte de Western Union bancaire) qui lui permettra une compensation après réception des fonds convertibles selon la règlementation. Assurément, c’est un mécanisme d’une complexité certaine, il faut en avoir la totale maitrise.

À mon avis une banque liée aux mécanismes de financement internationaux serait très adaptée à ce mécanisme de refinancement à partir de l’épargne nationale. Elle n’est pas forcement confrontée à la réglementation intérieure. Elle peut faire son swap en s’assurant que l’épargne est à sa disposition, lever les fonds en dollars par exemple pour faire un swap contre l’euro avec une autre structure qui vend et qui achète à travers le Forex. Les deux structures vont ensuite convenir des taux d’intérêts qu’elles doivent se verser mutuellement, chaque société étant tenue de payer des intérêts dans la devise qu’elle emprunte en amont, le montant du principal est ré-échangé entre les deux parties à la fin du swap de devises ; en aval , nous refinançons notre dette extérieure par l’épargne nationale.

Mœurs 

Les démons du harcèlement hantent l’Union africaine

Conclusion du rapport commandité en mai dernier par le président de la Commission.

Le siège de l’Union africaine à Addis-Abeba

À la faveur d’une dénonciation anonyme en mars dernier, Moussa Faki Mahamat, président en exercice de l’Union africaine (UA), a commis un comité de haut niveau, le 24 mai 2018, à l’effet d’enquêter sur les allégations portées sur cette dénonciation. C’est le 9 novembre dernier que l’enquêteur a rendu sa copie. Verdict : 88 personnes interrogées sous anonymat et 44 cas présumés de harcèlement. D’après le comité de haut niveau mis en place pour enquêter, trois personnes sont venues témoigner de ce qu’elles auraient subi. Mais elles se sont ensuite rétractées. Aucune indication sur les raisons, les conditions de cette volte-face.

Modus Operandi
Le rapport de l’enquête interne dévoile que le harcèlement est effectué par les supérieurs hiérarchiques de tous sexes confondus. Les pratiques sont majoritairement perpétrées lors des missions extérieures à Addis Abeba. L’exploitation des éléments à charge établit que la catégorie de personnel la plus visée est celle dont les contrats sont de courts termes. Les jeunes volontaires et les stagiaires sont également de la case des vulnérables. La situation indéterminée de cette catégorie de personnels fait d’eux des victimes potentiellement fertiles à ces pratiques, et les jeunes filles en constituent la majorité. Cette condition est une aubaine pour les cadres supérieurs des départements qui sollicitent des faveurs sexuelles contre la régularisation contractuelle de leurs victimes. Ces dernières considèrent d’ailleurs comme «improductives» les dénonciations qui les écarteraient d’un mieux-être certain. Tout ceci a naturellement été rendu possible par l’absence d’une politique interne sur la répréhension de ces actes.

Perspectives
Dans le système institutionnel de l’UA, la Commission seule compte près de 1800 employés. Au-delà du harcèlement sexuel, de nombreux cas de harcèlement moral, de brimades, d’intimidations et d’abus de pouvoir ont été rapportés par la quasi-totalité des employés entendus par le comité d’enquête. L’échantillonnage de 88 individus auditionnés pourrait donner une appréciation sur l’étendue du phénomène.

Afin de se prémunir d’un scandale à la Weinstein ou Oxfam, le comité de haut niveau a suggéré des recommandations. Il s’agit notamment de mettre en place une politique de ressources au sein de la Commission de l’UA, d’une politique en matière de harcèlement sexuel, la fourniture de garanties aux titulaires de contrats à court terme, le renforcement des mécanismes de surveillance et de règlement des litiges, un audit régulier du mode de vie, afin de surveiller le train de vie des employés. Pour le suivi, un comité interne d’examen de toutes les recommandations sera mis sur pied. Il a la charge de recommander les mesures appropriées pour le règlement durable des 44 cas identifiés conformément aux dispositions pertinentes du statut et du règlement du personnel.

Zacharie Roger Mbarga

Produits pharmaceutiques 

L’Afrique en quête d’indépendance

Pour réduire sa dépendance aux importations, l’Union africaine prépare la création d’une Agence africaine du médicament. 

Echapper à la dépendance envers l’importation des médicaments et la contrfaçon

Malgré des besoins importants et un fort potentiel de croissance, le continent africain apparaît encore très en retrait du marché mondial du médicament. La production locale peine à se faire une place dans un marché pharmaceutique africain alimenté à 95 % par les importations. Cependant, cette situation diffère considérablement selon les pays. L’Afrique du Sud (3,19 milliards de dollars de ventes en 2016) et le Maroc, véritables industries pharmaceutiques, réussissent à couvrir 70 à 80 % de leurs besoins pharmaceutiques. Par contre, dans certains pays d’Afrique centrale, 99 % des médicaments sont importés. Dans cette grille, la contrefaçon occupe plus de 50 % de ce marché et cause près de 100.000 morts par an sur le continent.

Face au développement attendu de ce secteur en Afrique, les synergies entre acteurs publics et privés sont incontournables. Les acteurs privés sont de plus en plus sollicités par les pouvoirs publics comme une alternative aux systèmes, parfois défaillants, d’approvisionnement et de distribution des médicaments.
En marge de la Semaine de l’industrialisation de l’Afrique, qui s’est tenue du 16 au 23 novembre, l’Afrique a connu la première conférence Afrique Pharma UA-Nepad. Cet évènement était conjointement organisé par le département du commerce et de l’industrie, le département des affaires sociales, l’agence du Nepad et DFS Africa, une entreprise du secteur privé dédiée à la croissance des investissements étrangers et locaux dans l’industrie et les marchés africains.

Cap
Au sortir de la rencontre d’Addis Abeba, l’Afrique s’est fixé deux objectifs : le renforcement de l’harmonisation des réglementations pharmaceutiques sous l’égide du Nepad et la création de l’Agence africaine du médicament (Ama).

En Afrique subsaharienne, le marché pharmaceutique représente une formidable opportunité pour les investisseurs du secteur privé et, plus largement, pour tous les acteurs du secteur de la santé. Selon le cabinet McKinsey, les ventes de produits pharmaceutiques devraient passer de 4 milliards de dollars en 2003 à environ 50 milliards de dollars en 2020. Dans la moitié des pays d’Afrique subsaharienne, seuls 10 % de la population ont accès à une couverture sociale en matière de santé.

L’innovation et l’investissement du secteur privé seront donc essentiels pour répondre aux besoins d’une population qui croît extrêmement vite, et qui utilise de plus en plus régulièrement des produits pharmaceutiques. Selon l’Organisation mondiale de la santé, sur 100 dollars dépensés pour la santé au Nigeria, 23 sont financés par le gouvernement, 2 par des payeurs privés et une grosse partie 75 dollars provient des usagers. Environ 90 % des patients africains paient les services de leur poche. Cette inaccessibilité aux médicaments pour des raisons économiques conduit les patients à des comportements irrationnels.

Zacharie Roger Mbarga

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