Destruction de l’environnement chez les Ekang : Le climat des affaires fait fléchir le bon sens

Les logiques économiques à l’œuvre au milieu de ce peuple entravent toute perspective d’un retour aux précautions anciennes.

L’exploitation forestière impacte le territoire Ekang

En 2018, la province gabonaise du Woleu-Ntem a vécu des pics de chaleur inédits. Brandissant les résultats d’une enquête d’Afrobaromètre, Pascal Menzo’o mentionne vite que, dans cette zone Ekang, située au nord du Gabon, il a fait plus de 25 °C pendant 25 jours consécutifs en 2016. «Nous avons la preuve que le changement climatique est réel et que cela se passe ici, chez nous (…) Nous voyons qu’il ne s’agit pas que d’un problème lointain, concernant uniquement les peuples de pays en voie de développement», relève ce fils Ekang, professeur à l’Institut des sciences de l’atmosphère et du climat de Zurich (Suisse). «C’est une sonnette d’alarme», estime sa co-panéliste Esther Ossoué.

Les résultats d’une étude menée entre 2015 et 2018 par la Camerounaise sont plus bavards. «Dans le village Assok Ngomo, dans le nord du Congo-Brazzaville, des femmes m’ont expliqué qu’à cause de l’évolution des conditions météorologiques, un hectare de terre agricole qui produisait auparavant entre 25 et 30 sacs d’arachides n’en produit plus que 10 aujourd’hui», assure l’environnementaliste. Dans la même contrée, poursuit-elle, des variations saisonnières se traduisent par des températures excessivement élevées, l’assèchement des sources et des zones humides et la diminution du débit des cours d’eau et des fleuves. Toutes choses qui mettent en péril les moyens d’existence et la sécurité alimentaire des Ekang. «Les rendements et la production de manioc ont dramatiquement chuté et n’ont jamais retrouvé les niveaux précédents, malgré une nouvelle augmentation dans les années 1990», signale Esther Ossoué.

Crise et solution
Un retour en arrière est-il encore envisageable, ou devra-t-on s’habituer à vivre avec ça ? La double interrogation est au menu de la conférence de ce 19 juillet 2019 sur le site du Festival Mvet Oyeng à Ambam. En ce jour, les interventions du panel pointent une cause : «le désordre sur le couvert végétal de toute la zone Ekang». «Du Cameroun au Congo-Brazzaville, en passant par le Gabon, la coupe du bois en territoire Ekang est de plus en plus déraisonnée», affirme Pascal Menzo’o. L’universitaire gabonais montre d’ailleurs comment le phénomène mené par des ogres industriels bénéficie de ce qu’il appelle «les complicités Ekang».

L’argumentaire met en évidence le caractère destructeur du capitalisme néolibéral. «55 % des coupes d’arbres en milieu Ekang ne sont pas légales et leurs promoteurs ne contribuent en rien au reboisement», accuse-t-il. À dire vrai, les logiques économiques à l’œuvre entravent toute perspective d’un retour aux précautions anciennes. «Avant que ces gens n’arrivent dans nos forêts, mentionne l’orateur, dans la culture Ekang, le déboisement et l’agriculture sur terrain en pente étaient interdits à cause du risque d’érosion. La taille des arbres n’était autorisée qu’à certaines périodes de l’année, afin d’optimiser le rendement. Il était strictement interdit de fumer dans les forêts pour éviter des incendies».

Dans ce discours gît une question : quelles sont les activités qui doivent nécessairement décroître, compte tenu de leur impact négatif sur le climat et la biodiversité en zone Ekang? «On peut relancer autre chose», répond Esther Ossoué. À l’état actuel de la situation, la Camerounaise suggère d’orienter le système de production et de consommation selon une logique qualitative du «prendre soin». Concrètement, il s’agit de «promouvoir la responsabilité environnementale plutôt qu’une écologie punitive».

Jean-René Meva’a Amougou, à Ambam

Prochain article: Sons et décibels Ekang au 21e siècle: état des lieux

 

Pascal Menzo’o

«L’environnement physique des Ekang a pris un coup»

Dans une mise en perspective de la situation, l’universitaire craint un désastre à l’échelle sous-régionale. 

Peut-on véritablement dire aujourd’hui que l’environnement dans lequel vit le peuple Ekang est sain ?
Absolument non ! Il est clair que l’évolution des températures moyennes en milieu Ekang montre un réchauffement de quelques dixièmes de degrés. Bien sûr, ce réchauffement n’est pas uniforme. C’est la raison pour laquelle nous disons que, dans une vingtaine d’années, le changement climatique redessinera progressivement l’environnement physique des Ekang. Il modifiera considérablement l’architecture géopolitique de ce peuple et par extension, son cadre d’évolution.

Comment voyez-vous la coupe du bois, désormais érigée en source de revenus chez vos congénères ?
L’exploitation forestière désordonnée, qui s’est accélérée ces dernières années, risque d’engendrer des répercussions qui vont bien au-delà de la simple dégradation esthétique des paysages Ekang ; on sait que la coupe d’arbres modifie les débits fluviaux et avec eux, l’approvisionnement hydrique de certaines contrées. Leur disparition s’accompagnera donc de conséquences sur le développement économique et humain des zones concernées. Cette situation est susceptible d’engendrer à son tour un nombre important de réfugiés climatiques.

À terme, le risque de tension et de conflit entre les deux voisins ira grandissant et des incidents transfrontaliers ne sont éventuellement pas à exclure de manière sporadique. Aujourd’hui, du point de vue logique, un tel scénario n’est pas à exclure, si l’on se penche sur la situation de certains villages. Ceux-ci font en effet face à une exploitation dramatiquement croissante de leurs réserves en bois et en eau souterraine. À terme, le rythme actuel de réapprovisionnement naturel ne sera pas en mesure de répondre à la demande. Cette dernière provient principalement du secteur agricole dont l’activité représente 85 % de la consommation d’eau des Ekang et fait vivre 60 % parmi eux.

Avez-vous l’impression d’avoir été écoutés ?
Nous avons tenu à faire comprendre et à prédire les évolutions climatiques de la manière « la moins fausse possible » en milieu Ekang. C’est pour cela qu’il était important de bien identifier tous les phénomènes qui contribuent à la variabilité du climat. Ces phénomènes forment un système interconnecté très complexe, dont l’observation permet de déterminer des modèles à partir desquels on peut élaborer des scénarios pour l’avenir du climat. Il est difficile de tout anticiper, mais il est nécessaire de bâtir des scénarios « plausibles ». Cela nécessite de bien maîtriser de nombreux indicateurs scientifiques et socio-économiques. Le jeu consiste à deviner ce que deviendront les sociétés, selon des modèles d’évolution « raisonnables » ou « déraisonnables ».

Propos recueillis à Ambam par JRMA

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