La moto et le spectacle des vanités

Le chanteur ivoirien Ange Didier Houon, alias DJ Arafat, est mort le 12 août dernier à Abidjan. La star du coupé-décalé avait 33 ans.

Sur son compte Twitter, la RTI (Radiotélévision ivoirienne) indique que le natif de Yopougon est décédé «des suites d’un accident de la circulation». Il aurait percuté le véhicule d’une journaliste de Radio Côte d’Ivoire qui serait, elle, toujours hospitalisée selon la RTI. Dj Arafat n’a pas eu de chance. Il a succombé à «une fracture du crâne et un œdème», selon un médecin de l’hôpital d’Abidjan, interrogé par Jeune Afrique, quelques heures après le drame survenu à Angré (quartier situé au nord d’Abidjan). «Il était aussi doué pour le marketing, il faisait le buzz, il fallait toujours qu’on parle de lui», a confié Scovik (un manager de coupé-décalé), dans les colonnes de Paris Match le 12 août 2019. Dans le concert de pleurs, on retient du disparu l’image d’un amateur de vitesse et de bolides de course.

À un autre niveau, sa mort engage une question : qu’est-ce qui a tué ce chanteur ? Simplement, on dira que c’est la moto. «Le jour que je fais un accident de moto ou de voiture, je touche du bois, il n’y aura personne qui va venir cotiser pour moi. Je vais me soigner. Si c’est chaud, je paye mon billet d’avion, je vais en France, je me soigne. Maintenant si pendant l’accident je suis mort sur le coup, c’est Dieu qui l’a voulu», prédisait le disparu sur sa page Facebook, il y a quelques années. Son dernier titre, «Moto Moto», sorti il y a trois mois, et qui totalise quelques 4,6 millions de vues sur YouTube, résonne aujourd’hui comme une tragique ironie du sort…

À la disséquer, la tonalité est exactement celle de nos motards encore en vie. Chaque jour, dans nos rues, ils accrochent le risque sur leurs guidons. Par rapport à leurs vies et à celles des passagers, ils s’appuient sur la conviction que le risque est une bonne chose. Affronter quotidiennement le pire, voilà qui fait d’eux de vrais hommes. «Chez les conducteurs de motos, le risque n’est plus source de peur ou d’angoisse, mais un ingrédient pour l’épanouissement de soi et le jeu», commentait un jour Fritz Ntonè Ntonè. Selon des statistiques que présentait l’alors directeur de l’hôpital Laquintinie de Douala, 90 % des accidents de moto survenus dans la capitale économique étaient liés à la prise démesurée des risques. «Faites un tour à la morgue de Laquintinie, vous verrez que c’est la moto et le spectacle des vanités qui tuent», prouvait le médecin. En novembre 2016, Midjiyawa Bakary, gouverneur de la région de l’Extrême-Nord, parlait de «la trop grande inclinaison au show inutile, l’adrénaline du risque avec la moto», quand il commentait, devant nous, les facettes de l’exploitation des mototaxis dans sa zone de commandement.

Dans un propos comme dans l’autre, l’usage que font certains de la moto trahit la métaphore du contact avec la mort au plus proche de l’ultime limite. L’inconséquence devient un vrai phénomène de société. À la base de la tragédie : tabagie délirante, alcoolémie débordante et même une sorte d’intégrisme du risque. Voilà la leçon que nous lègue la mort de Dj Arafat, bien que vivre soit dangereux ! Tous les jours, un accident peut arriver… On a beau faire attention, le risque zéro n’existe pas. Certains le déplorent et s’efforcent de se mettre à l’abri des situations périlleuses alors que d’autres adorent jouer avec le feu…

Jean-René Meva’a Amougou

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