Moins de cash
Le 15 avril 2020, le gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac) signe un communiqué. Nous sommes quelques semaines seulement après le déclenchement de la pandémie de Covid-19 et Abbas Mahamat Tolli invite les populations de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) à adopter deux comportements. D’un côté, il leur demande de respecter les prescriptions des gouvernements et de «pratiquer la distanciation sociale». De l’autre, le responsable sous-régional leur recommande pour leurs achats au quotidien, de «privilégier l’utilisation des paiements digitaux». À l’en croire, la manœuvre est destinée à conduire la sous-région vers une dématérialisation des paiements. De sorte qu’à terme, il y ait moins de cash en circulation dans l’espace communautaire.
Plusieurs mois plus tard, force est de constater que l’option du gouverneur était la bonne. Car il apparaît clairement que des quatre derniers exercices, 2020 est l’année la plus «cash lite» à défaut d’être «cash less». Pour preuve, dans le Rapport sur les services de paiement par monnaie électronique dans la Cemac en 2020, la Banque centrale relève de façon globale «une hausse des principaux indicateurs relatifs à l’accès et à l’utilisation» des paiements électroniques.
L’un des principaux paramètres mis en avant rend précisément compte de ce que «les paiements des biens et services par monnaie électronique ont dépassé 1 258 milliards FCFA, contre 700 milliards FCFA en 2019», se réjouit la Beac. L’institution sous-régionale y voit la traduction d’un changement profond de mentalité et de paradigme en cours en Afrique centrale. Le mobile money apparaissant dès lors comme un catalyseur de l’inclusion financière dans la sous-région. Lire le zoom.
Théodore Ayissi Ayissi
Ce montant en nette progression par rapport aux trois dernières années correspond à un volume record d’opérations. Il permet ainsi d’avoir une idée précise de l’ancrage du mobile money dans la sous-région.
«L’activité des services adossés à la monnaie électronique, en progression, est marquée sur les plans nationaux et à l’échelle régionale par une hausse des principaux indicateurs». Pour donner du crédit à cette observation générale, la Banque centrale mobilise plusieurs paramètres dans son Rapport sur les services de paiement par monnaie électronique dans la Cemac en 2020. Ceux-ci donnent par exemple à savoir qu’au cours de l’exercice considéré, «les transactions ont progressé de 38,27% en 2020 pour atteindre 1 102 millions d’opérations en volume contre 797 millions d’opérations en 2019».
Il faut dire que le boom observé en matière de recours à la téléphonie mobile pour réaliser des opérations financières a eu un effet bénéfique sur la valeur totale des transactions. Étant donné que «les flux ont augmenté de 30,76% au cours de la période sous revue, passant de 11 335 milliards FCFA en 2019 à 14 882 milliards FCFA en 2020». Ce qui représente selon les indications de la Beac, l’équivalent de 29,07% du PIB de la Cemac. À en croire d’ailleurs l’institution bancaire, l’augmentation du taux de souscription aux produits de monnaie électronique y est pour beaucoup. «Le nombre de compte de paiement est passé de 24,7 millions à la fin de l’année 2019 à 30 millions en décembre 2020, soit +22%», renseigne le rapport.
Services
En termes de services et de contribution à la valeur totale des transactions en 2020, il y a lieu de relever avec la Banque centrale que «l’achat des crédits téléphoniques par mobile money est le premier service de paiement marchand offert par tous les opérateurs, y compris les banques n’ayant pas d’opérateur de téléphonie mobile comme partenaire technique». En fait, précise la Beac, «avec 289 millions de transactions en 2020, ce service constitue la majorité (76,37%) des opérations de paiement. Par ailleurs, l’achat de crédit représente en valeur 11,44% des paiements».
Un autre motif de satisfaction est le recours assez fréquent au paiement par monnaie électronique pour effectuer des achats de biens et services. La valeur des transactions y relatives a dépassé les 1 258 milliards FCFA en 2020 contre 700 milliards FCFA seulement en 2019. On est ainsi passé de «266 millions de paiements en 2019 à 378 millions en 2020 (+41,91%)», se félicite l’institution bancaire sous-régionale.
Le reste des opérations portent sur les abonnements à des services de télévision, les paiements via mobile money des factures d’eau et d’électricité, les ventes en ligne, le paiement des pensions, ou encore sur les inscriptions dans les universités et écoles. Sur ce dernier point, la Beac relève pour le regretter, que celles-ci ont à peine dépassé «7 milliards FCFA en 2020, alors qu’elles s’élevaient à 13 milliards FCFA en 2019». S’agissant enfin des transactions internationales, «40 291 opérations de réception de fonds via mobile money ont été enregistrées dans la Cemac pour un montant total dépassant les 4,2 milliards FCFA», présente également le rapport.
Échelle nationale
Les données disponibles sur le mobile money rendent compte au niveau national «d’une évolution positive dans tous les États de la Cemac sur la même période, à l’exception du Tchad qui connaît une baisse de 19,22% de la valeur des transactions».
Ainsi, «l’activité est restée dominée par le Cameroun qui, avec 19,5 millions de comptes, détient 64,89% du nombre total des comptes de paiement dans la Cemac, suivi du Congo (7,1 millions) et du Gabon (2,7 millions)». Cette observation de la Banque centrale se confirme du reste au regard des pourcentages affichés. En effet, «les prestataires de service de paiement au Cameroun réalisent 73,13% des transactions de la Communauté, suivis par le Gabon (16,69%) et le Congo (9,25%). Ces trois pays totalisent respectivement 99,07% du nombre et 98,84% de la valeur des transactions effectuées dans la Cemac en 2020». Dans le même temps, on enregistre simultanément un décollage en Centrafrique et un «mouvement de diffusion et d’expansion de la monnaie électronique plus laborieux en Guinée Équatoriale», constate la Beac.
Théodore Ayissi Ayissi
Au prix de la réglementation communautaire
Les actions et interventions de la Beac et de la Cobac, notamment dans le domaine de l’encadrement de l’activité de monnaie électronique, font partie des facteurs ayant favorisé l’adhésion des populations.
L’exercice de l’activité d’émission et de gestion de monnaie électronique est encadrée par le règlement N°03/ 16/ Cemac/ Umac/ CM du 21 décembre 2016 relatif aux systèmes, moyens et incidents de paiement, et le règlement N°04/ 18/ Cemac/ Umac/ CM/ Cobac du 21 décembre 2018, relatif aux services de paiement dans la Cemac. Ce dernier règlement abroge toutes les dispositions antérieures, notamment le règlement N°01/ 11-Cemac/Umac/CM du 18 septembre 2011, fixant les conditions d’exercice de l’activité d’émission de monnaie électronique, ainsi que les rôles des Autorités de régulation.
Bien avant ce règlement, la Beac avait adopté l’instruction N°001/2018 relative à la définition de l’étendue de l’interopérabilité et de l’interbancarité des systèmes et moyens de paiement en zone Cemac.
L’entrée en vigueur, depuis le 1er janvier 2019, du nouveau règlement devait être accompagnée par des textes d’application de la Cobac et de la Beac. Ainsi, la Commission bancaire a adopté les deux textes suivants.
– Règlement Cobac R-2019/01 relatif à l’agrément et aux modifications de situation des prestataires de services de paiement ;
– Règlement Cobac R-2019/02 relatif aux normes prudentielles applicables aux établissements de paiement.
Le règlement N°04/ 18/ Cemac/Umac/CM/Cobac du 21 décembre 2018, relatif aux services de paiement dans la Cemac fixe les activités qui sont comprises dans le vocable de «services de paiement», ainsi que la typologie des ordres de paiement. Le texte traite également des trois types d’établissement, regroupés sous l’appellation de «prestataires de services de paiement», habilités à fournir les services de paiement dans la Cemac, à titre de profession habituelle : les établissements de crédit, les établissements de microfinance, et désormais, les établissements de paiement. La nouvelle catégorie dénommée «établissement de paiement» est soumise à la même réglementation que les établissements financiers, sous réserve des dispositions particulières définies dans le règlement Cobac R-2019/02 relatifs aux normes prudentielles applicables aux établissements de paiement.
Le règlement N°04/ 18/ Cemac/Umac/CM/Cobac du 21 décembre 2018 introduit aussi la notion de «compte de paiement», défini comme un compte détenu au nom d’un ou de plusieurs clients, dans les livres d’un prestataire de services de paiement, aux fins de l’exécution d’opération de paiement, à l’exception de l’émission et la gestion de la monnaie électronique (article 2).