Migration irrégulière : Près d’un million de ressortissants de la CEEAC à l’assaut de l’Europe
L’estimation est de Mixed Migration Centre. Cette structure, dirigée par le Conseil danois pour les réfugiés, a été créée en février 2018, dans le but de constituer une source majeure de données, d’informations, de recherches et d’analyses indépendantes et de haute qualité sur la migration mixte.

Mixed Migration Centre (MMC) a publié, le 9 novembre dernier, sa première revue sur la migration mixte dans le monde, dénommée Mixed Migration Review 2018. Selon ce document, au 31 décembre 2017, près d’un million de candidats à l’aventure de la méditerranée sont originaires des pays de l’Afrique centrale. Ils sont en séjour temporaire en Algérie, en Libye, au Maroc et au Niger, pays à partir desquelles ils rejoignent clandestinement l’Europe ou le Moyen-Orient. Pour arriver à cette estimation, MMC s’appuie sur les chiffres des migrants clandestins identifiés dans les camps et en dehors. L’organisation y ajoute également des estimations de migrants (sur la base des témoignages des passeurs, des services de police des pays de transit, des anonymes, etc.) qui fuient les camps par crainte de rapatriements forcés.
Des 11 États membres de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), le Tchad, le Burundi, la Centrafrique et la République démocratique du Congo constituent les principaux fournisseurs de migrants. Ceci est sans doute dû à la situation sécuritaire et économique en cours dans ces pays. Cette population est en majorité jeune, entre 24 et 38 ans, essentiellement en quête d’un mieux vivre ponctuel pour leurs familles.
Mobiles
Plusieurs raisons expliquent les départs vers la méditerranée. On peut citer les raisons économiques, l’insécurité générale, le non-respect des droits humains, les raisons personnelles et/ou familiales, la carence en services sociaux, l’influence des compagnies, les facteurs environnementaux et climatiques.
Au prorata de la réalité en Afrique centrale et selon les estimations du Mixed Migration Review 2018, les mobiles de migration clandestine en Afrique centrale obéissent à la classification suivante : raisons économiques (87,3 %), insécurité (10 %), absence de protection judiciaire (4,6 %), raisons personnelles et/ou familiales (21,2 %), carence en services sociaux (8 %), l’influence des compagnies (8,9 %), les facteurs environnementaux et climatiques (1 %). L’enquête a été réalisée sur 4451 candidats à la migration sur 7 routes migratoires.
Rapatriements
«Il est une certitude, moins de 15.000 migrants originaires de l’Afrique centrale ont été rapatriés vers leur pays d’origine», estime Dr Yves Tsala, président de l’ONG SMIC (Solutions aux migrations clandestines). Deux raisons principales justifient cette situation : les rapatriements se font sur une base volontaire. En plus, une bonne brochette des migrants clandestins dans leur pays de transit est très peu identifiée, et les expulsions dans certains pays favorisent un suivi délicat des activités. Dans le rapport sur la Libye, présenté par Denis Sassou Nguesso en janvier 2018, il y avait une crainte de ruissellement. Les migrants refoulés optent généralement pour un séjour temporel prolongé dans les pays, avant de tenter une nouvelle aventure. Cette situation entraine l’érection des pays réservoir par procuration. C’est le cas des pays tels que le Niger, la Mauritanie, le Soudan…
Le Cameroun parvient à avoir des chiffres. De l’avis de Seydou Boubacar, représentant résident de l’Organisation internationale des migrations (OIM) au Cameroun, à peine 2400 migrants ont pu regagner leurs familles. La RDC et le Tchad avoisinent le même taux.
À propos du Mixed Migration Centre
Le Mixed Migration Centre (MMC) a été créé en février 2018. Il regroupe diverses initiatives régionales existantes, hébergées ou dirigées par le Conseil danois pour les réfugiés (CDR) — une ONG à but non lucratif fondée en 1956 — déjà engagées dans la collecte de données, la recherche, l’analyse et l’élaboration de politiques sur les questions de migration mixte. Cela inclut RMMS Afrique de l’Est et Yémen, RMMS Afrique de l’Ouest, la Plateforme de migration mixte (MMP) au Moyen-Orient, le Secrétariat mondial pour la migration mixte (GMMS) à Genève, et différents programmes de l’Initiative de mécanisme de surveillance de la migration mixte (4 Mi).
La MMC fait partie du Conseil danois pour les réfugiés et est régie par celui-ci. Malgré ce lien institutionnel, le CDR assure que le travail de MMC est ancré dans la réalité opérationnelle. Il constitue une source indépendante de données, de recherche, d’analyse et de développement de politiques sur la migration mixte pour les décideurs, les praticiens, les journalistes et le secteur humanitaire en général. La MMC a des équipes à Genève et dans ses centres régionaux d’Amman, de Dakar, de Nairobi, de Tunis et de Kaboul où elle travaille en étroite coopération avec les partenaires régionaux, les parties prenantes et les donateurs.
Zacharie Roger Mbarga
Régulation de l’immigration
L’Afrique centrale désarmée
La région peine à déterminer des stratégies à l’échelle nationale et régionale pour endiguer le phénomène migratoire, qu’il soit d’émigration ou d’immigration.
Alors que le monde se dirige vers un plan mondial des migrations, l’Afrique centrale ne dispose pas de politique migratoire tant à l’échelle régionale que nationale. Les pays et leurs institutions communautaires se contentent de gérer les flux migratoires liés aux accords de mobilité préférentielle, ou alors aux vagues de réfugiés. La Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) dispose toutefois d’un document d’orientation régionale devant servir de support à l’érection d’une stratégie régionale des migrations. L’Afrique est toutefois en attente d’une position commune sur le Pacte mondial des migrations. Cette position devrait inspirer l’ensemble des États et des communautés économiques régionales.
Architecture
En Afrique centrale, la gestion des migrations demeure abrupte. Les questions d’émi-immigration demeurent l’apanage des forces de sécurité, tandis que la gestion des réfugiés est du ressort des administrations territoriales et des affaires étrangères. Dans bien des cas, la cohérence entre les différents déploiements se pose sur le terrain. On peine notamment à faire la différence entre un migrant économique et un réfugié économique ou politique. Dans un monde sans cesse en mutation, l’absence de politique migratoire retarde également la capitalisation des avantages tels que les envois de fonds, la détermination des codes civils et des régimes de nationalité…
Au regard d’un manque d’empressement à ériger des politiques migratoires, devrait-on conclure, comme Mandiogou Ndiaye et Nelly Robin, que «l’Afrique n’a pas de problème migratoire» ? «De tout temps, elle a abrité des flux migratoires, parfois plus importants que ceux qui ont cours à l’heure actuelle. Le seul problème dont souffrirait l’Afrique c’est d’adapter ses migrations à ses défis de développement», expliquent-ils. Pour le Pr Yves Mandjem, «du point de vue empirique, on peut déjà estimer que l’action de terrain des administrations publiques, pour la gestion des réfugiés et l’exécution des accords régionaux, est une régulation et donc une politique de migration».
Enjeux
L’Afrique centrale est l’une des régions les plus accueillantes, avec 4,1 millions de migrants internationaux en séjour. C’est également une région pourvoyeuse de travailleurs migrants en Afrique. Ceci est attesté par l’origine des fonds en direction de l’Afrique centrale. Près de 5 millions de ressortissants de la sous région s’activent dans d’autres régions, selon le dernier rapport de l’Organisation internationale du Travail intitulé «Estimations mondiales concernant les travailleuses et les travailleurs migrants», paru le 5 décembre 2018.
Zacharie Roger Mbarga
Immigration clandestine
Une phobie européenne
Face à l’afflux des migrants sur son sol, l’Union européenne plaide pour la régulation des migrations. Ce plaidoyer ne devrait pas faire oublier les enjeux africains.

L’Europe est en ébullition! Les premières contestations sur le pacte mondial des migrations se font déjà entendre. C’est le cas au sein du mouvement des gilets jaunes en France ou encore des pro-Brexit en Grande-Bretagne. Le discours sur les dangers de l’immigration et les bienfaits de l’autodétermination dans son pays est intéressant pour les pays de l’Union européenne (UE) qui sont à couteaux tirés sur le sujet. Depuis le sommet de la valette (Malte) de 2015, la question migratoire est passée de stratégie de recapitalisation du capital humain à sujet européen de friction. En pleine atonie économique, la question migratoire est un épouvantail auquel le vieux continent s’est progressivement accommodé.
Rassurer l’opinion
L’Europe a toujours été, malgré lui, un continent d’immigration. Le vieux continent a longtemps été une terre de départ vers le Nouveau Monde et les colonies, avant de devenir une terre d’accueil. En devenant l’une des premières destinations pour l’immigration au monde, l’Europe peine à définir ses politiques de flux et les modalités du vivre ensemble. Tout cela se passe dans un contexte de difficultés continues à mettre en œuvre des instruments de régulation des flux en commun avec les pays proches.
Les influences contradictoires du vieillissement, des pénuries de main-d’œuvre, du contrôle d’une opinion publique gagnée par le syndrome sécuritaire et les défis de l’ethnicisation de la pauvreté, amplifient l’affrontement quotidien d’une Europe prise au piège de ses propres contradictions. Confrontée à la mondialisation des flux migratoires, ce continent est un carrefour de liens : familiaux, économiques, géographiques, historiques, culturels divers, avec les régions de départ et de transit, mais continue souvent à considérer l’immigration comme une donnée temporaire alors qu’elle est devenue constitutive de son identité.
L’Europe attire donc par elle-même. La fermeture des frontières aux travailleurs étrangers, il y a près de trente ans, a eu pour effet d’accélérer le regroupement familial (plus de 50 % des entrées légales annuelles), de provoquer leur sédentarisation, et n’a pas empêché la venue d’autres flux : réfugiés, illégaux, experts, étudiants. Le débat sur la migration déchaine des passions et le politique s’y est englué. Pour donner des gages et rassurer l’opinion, il faudra agir et vite, pour empêcher l’instabilité politique. La France est l’exemple le plus patent depuis plusieurs années. Les étrangers n’en finissent plus de boire la coupe.
Externalisation du combat
Cette discrimination positive s’accompagne d’une action extérieure qui consiste à tuer le mal dans l’œuf. En investissant dans les causes profondes à l’immigration clandestine en Afrique et ailleurs, l’UE combat à l’extérieur ses démons de l’intérieur. Sauf que la pilule est souvent vendue comme un mal planétaire. Ce qui est loin d’être le cas à en croire de nombreux spécialistes. En revanche, elle est symptomatique et caractérielle des déséquilibres de développement dans le monde. Plus intéressant encore, les destinations migratoires sont consubstantielles à l’histoire des relations entre les peuples.
L’internationalisation du problème migratoire en Europe est une savante construction qui vise à engager toutes les parties dans la diminution des arrivées en Europe. Et pourtant, l’Europe a besoin de ces migrants. Ils l’enrichissent culturellement et industriellement. À travers le paiement des taxes et autres exigences, les migrants contribuent au financement du système européen de sécurité sociale. À titre d’illustration, les transferts de fonds des travailleurs migrants vers l’Afrique en provenance d’Europe génèrent des recettes intéressantes qui permettent la compétitivité d’un secteur d’activité en constante mutation.
Zacharie Roger Mbarga
Migration intra-africaine
Le vrai sujet
L’Afrique devrait valoriser les déplacements sur le continent -qui sont deux fois plus importants- au lieu de céder à l’alarmisme européen.

Les migrations intra-africaines et leurs dimensions économiques et commerciales trouvent très peu d’écho. Le dernier rapport de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced) démontre qu’en 2017, 25 millions d’Africains se sont déplacés à travers le continent. La Cnuced ajoute que les migrations extracontinentales (hors du continent) ne représentent que 13 millions d’Africains. L’étude de la Cnuced va clairement à contre-courant d’une vision pessimiste du phénomène migratoire, vision qui souligne habituellement des problèmes majoritairement fantasmés de non-assimilation, de perte d’emplois, de lutte entre les populations immigrantes et les locaux pour les ressources publiques, de déséquilibres des systèmes de santé et de protection sociale, de frictions culturelles…
Gains
Pour la Cnuced, les migrants économiques représentent 85 % de la migration intra-africaine. Les réfugiés et les migrants climatiques constituant les 15% restant. Dans l’Afrique d’aujourd’hui, les migrants économiques sont principalement des jeunes, dont un grand nombre de nouveaux arrivants sur le marché du travail. L’âge médian des migrants africains était de 31 ans en 2017. Les compétences sont un aspect très important de la migration économique contemporaine en Afrique. Par leurs qualifications d’origine ou de fortune, la ressource humaine issue de l’immigration répond à l’appel des secteurs économiques phares de certains pays pour lesquels la main-d’œuvre se tarit.
À défaut d’être une migration d’investissement, les mouvements actuels impactent à la fois sur le produit intérieur brut des pays de départ et d’accueil. Les migrants constituent un trait d’union économique entre les pays d’origine et d’accueil, ainsi qu’un moteur de croissance singulièrement efficace pour les exportations de leur pays d’origine. L’idée que l’entrée de populations nouvelles déstabiliserait les équilibres sociaux est invalidée par ce constat.
Pour les pays d’origine, la migration économique contribue au renforcement des liens économiques et commerciaux avec les pays d’accueil, au transfert de connaissances et de compétences, susceptible de stimuler la productivité. Grâce au transfert de fonds, l’émigration peut aider à la naissance de l’industrie de transformation, notamment l’industrie agricole. C’est aussi une contribution aux systèmes sociaux des pays d’origine.
Perspectives
Le défi à relever est de la responsabilité des États. Certains ont déjà commencé à adapter leur législation, dans le but d’accompagner ce mouvement. D’autres n’ont pas encore compris les bénéfices qu’ils pourraient en tirer. La Zone de libre-échange continentale (Zlec), le protocole sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et d’établissement ainsi que le passeport panafricain, vont dynamiser les effets positifs de cette mobilité, par le truchement du marché unifié continental. Tout ceci se fera grâce à l’harmonisation des normes, la disparition des barrières douanières, la libre circulation des personnes et des capitaux. Ibrahim Mayaki pense que «l’intégration par le travail est accélérée pour les migrants sur un marché qui leur permet de développer des compétences auxquelles ils n’auraient pas eu accès dans leurs pays d’origine. C’est d’ailleurs grâce à cette montée en compétences que les équilibres macroéconomiques, loin d’être déstabilisés par l’arrivée de nouvelles populations, en sont renforcés dans le pays d’accueil, tout comme dans le pays d’origine. Ceci est une incitation et un message pour certains pays africains, qui sont encore trop frileux dans leur gestion de la migration africaine».
Zacharie Roger Mbarga