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«La Nouvelle romance» de Henri Lopes

Chez Lopes, il y a indiscutablement le souci d’une relation apaisée entre l’homme et la femme, le souci aussi de l’instruction et de l’émancipation de la femme. En mettant en scène des personnages comme Wali et Élise, l’écrivain congolais n’a pas d’autre objectif que de «changer la vie, dessiner un autre horizon, tracer de nouvelles perspectives, s’attaquer aux habitudes sociales, contester enfin des comportements sur lesquels d’ordinaire personne ne s’attarde parce qu’ils semblent naturels et aller de soi»

 

C’est l’histoire de Bienvenu N’Kamba alias Delarumba et de Wali, sa femme. Delarumba est footballeur, ce qui lui donne l’occasion de sortir de la maison pour passer du temps avec ses amis. Wali, elle, est plutôt femme au foyer. Sa vie est pratiquement cantonnée à la maison. Elle est née et a grandi dans une société qui considère l’école occidentale comme «un sacrilège qui ôte à la femme sa féminité, qui pense que la place d’une jeune fille, d’une future femme. est au foyer et non à l’école dont la fréquentation peut porter ombrage à la moralité» (cf. Awa Keita, «Femme d’Afrique», Paris, Présence Africaine, 1976). La tradition veut qu’elle soit soumise à son mari et qu’elle se contente de faire des enfants et de s’occuper de sa maison.

Un jour, Delarumba apprend qu’il est affecté à l’ambassade de son pays en Belgique, ce qui signifie que le couple va s’installer à Bruxelles. Bien qu’il soit dans un nouvel environnement, Delarumba garde le comportement qu’il avait en Afrique: collectionner les maîtresses, ne pas aider son épouse dans les tâches domestiques, rentrer à la maison à des heures tardives, etc. Vivre en Europe ne change rien dans sa manière de percevoir et de traiter sa femme. Ce n’est pas le cas de Wali. Peu à peu, celle-ci prend conscience non seulement de l’injustice que la société africaine lui a fait subir, mais aussi de l’importance de l’école. En Europe, elle constate que la situation de la gent féminine est différente dans la mesure où des femmes vont à l’école ou exercent un métier en dehors de la maison. Les discussions avec une amie belge lui ouvrent de plus en plus les yeux. Dans les lettres qu’elle adresse à son amie Élise, Wali fait part de sa volonté de retourner à l’école pour acquérir un diplôme qui lui permettra de s’affirmer et d’être plus épanouie. Bref, l’Europe commence à transformer Wali. Elle ne veut plus jouer le rôle de bonne-à-tout-faire et de reproductrice dans lequel son mari et la tradition l’avaient jusqu’ici enfermée. Le divorce d’avec Delarumba ne lui fait plus peur. C’est l’un des moments importants de ce roman. Le message que Lopes veut transmettre ici est le suivant: un couple ne peut tenir que si l’homme accepte d’évoluer dans sa façon de voir les choses, s’il cesse de chosifier et de dominer la femme.

S’il y a un personnage dans le premier roman de Lopes qui refuse la domination des hommes, c’est bien Élise. À la différence de Wali décrite comme «une employée de maison, chargée de l’approvisionnement, du soin et de la garde d’une progéniture plus nombreuse qu’elle n’aurait souhaitée et qu’elle n’a pas enfantée», Élise est une femme libre (ndoumba en Lingala), une femme qui dicte sa loi aux hommes, qui sort avec qui elle veut et quand elle veut comme en témoigne sa lettre à son amie, l’institutrice Awa: «Je choisis mes clients. Ne couche pas avec Élise qui veut, mais qui peut. Observe bien, tu ne verras aucun vieillard parmi mes amants. Tous dans la pleine force de l’âge, ma chère. Quant au nombre, disons que je suis une polygame-femme.»

Qu’il s’agisse d’Élise devant qui les cadres et hauts cadres de l’État sont obligés de s’agenouiller pour profiter de ses charmes ou de Wali qui n’est plus prête à se laisser faire, l’attitude des femmes campées dans ce roman publié en 1976 par les Éditions Clé indique qu’une ère succède à une autre. On comprend alors pourquoi Lopes a choisi d’introduire son roman par les mots d’Aragon: «Maintenant, ici commence la nouvelle romance. Ici finit le roman de chevalerie. Ici, pour la première fois dans le monde, la place est faite au véritable amour. Celui qui n’est pas souillé par la hiérarchie de l’homme et de la femme, par la sordide histoire des robes et des baisers, par la domination d’argent de l’homme sur la femme ou de la femme sur l’homme. La femme des temps modernes est née, et c’est elle que je chante. Et c’est elle que je chanterai.»

Chez Lopes, il y a indiscutablement le souci d’une relation apaisée entre l’homme et la femme, le souci aussi de l’instruction et de l’émancipation de la femme. En mettant en scène des personnages comme Wali et Élise, l’écrivain congolais n’a pas d’autre objectif que de «changer la vie, dessiner un autre horizon, tracer de nouvelles perspectives, s’attaquer aux habitudes sociales, contester enfin des comportements sur lesquels d’ordinaire personne ne s’attarde parce qu’ils semblent naturels et aller de soi» (cf. Jean-Marie Devésa, «Magie et écriture au Congo», Paris, L’Harmattan, 1994).
Né le 12 septembre 1937 à Kinshasa, Henri Lopes fut enseignant, professeur d’histoire à l’École Supérieure d’Afrique Centrale, ministre de l’Éducation et Premier ministre (1973-1975). De 1998 à 2015, il représenta le Congo-Brazzaville en France. Parmi ses ouvrages, on peut citer “Le Pleurer-rire”, “Sans tam-tam”, “Le chercheur d’Afriques” et le recueil de nouvelles “Tribaliques” qui obtint, en 1972, le Grand Prix littéraire de l’Afrique Noire.

Jean-Claude DJEREKE

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