Évolution du mandat et des missions : des Banques centrales aux Banques de développement

Crise climatique oblige

Les Banques centrales africaines étaient en conclave à Yaoundé du 15 au 17 mai dernier. Les travaux de l’Association éponyme (Abca) se tenaient à la diligence de la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac). À l’effet d’adresser la problématique de l’« impact du changement climatique sur la sécurité alimentaire et l’inflation en Afrique : rôle du secteur financier dans le financement de l’agriculture et de l’économie verte ». L’un des objectifs était alors d’« identifier les différents chocs climatiques et de contribuer à une meilleure compréhension du rôle des Banques centrales dans la stabilisation des prix et du système financier dans ce contexte », a souligné le Dr Djoulassi Kokou Oloufade, secrétaire exécutif de l’Abca.

Le vice-gouverneur de la Beac parle également de l’édition 2023 du séminaire continental en termes d’occasion d’adresser « les questions de la protection de la biodiversité et du développement durable qui étaient peu connues ces dernières décennies, alors que leurs conséquences sont importantes». Michel Dzombala souligne en effet que «l’adaptation aux changements climatiques et la dégradation de l’environnement constituant des défis majeurs pour notre continent».
Deux sessions plénières et des discussions en ateliers étaient réalisées au cours des trois jours de séminaire. Le programme dédiait la première session aux exposés sur les sous-thèmes retenus. Il s’agissait en particulier d’échanger sur « le changement climatique, la stabilité financière et des prix pour une alimentation durable en Afrique : rôle des Banques centrales ; et sur le rôle du secteur financier dans la promotion de l’agriculture ». La Banque centrale européenne (BCE), le FMI, la Banque mondiale ou encore la Federal reserve Bank of New York étaient au rang des participants. Lire le zoom.

Théodore Ayissi Ayissi

L’option est résolument prise pour donner plus d’impact à leur action. L’idée d’une intervention directe dans la sphère réelle sans l’intermédiation des banques commerciales fait également son chemin, sans faire pour l’instant l’unanimité au sein de l’Abca.

Les membres de l’Abca autour du vice-gouverneur de la Beac

L’un des objectifs ce 16 mai 2023 du séminaire continental de l’Abca est de « contribuer à mieux comprendre le rôle des Banques centrales dans un contexte marqué par le changement climatique ». Et un constat parmi tant d’autres est fait par les participants. À savoir que «7 pays parmi les 10 économies les plus vulnérables se retrouvent en Afrique et les Banques centrales restent encore seulement concentrées sur leurs fonctions d’émission de la monnaie et de stabilisation des prix», résume pour le déplorer la Banque centrale du Nigéria (BCN). Il leur est donc apparu à tous nécessaires « de changer de fusil d’épaule, de revoir le mandat des Banques centrales et de le pouvoir pour réduire l’insécurité alimentaire et assurer le bien-être des populations ». D’où justement l’idée «d’ajouter la fonction de financement du développement aux missions des Banques centrales», ont-ils été convenus. Le changement climatique n’étant pas « une crise transitoire, mais une crise permanente », ont-ils également admis.

Banques de développement Elle est celle d' »un amendement des législations des Banques centrales pour inclure la fonction de développement dans leurs réglementations ». Se faisant l’interprète des participants, le secrétaire général de la Beac affirme ce 17 avril 2023 que « les Banques centrales ont un rôle à jouer pour aider les économies africaines à faire face aux conséquences des changements climatiques et transiter vers une économie verte. En conséquence, elles devraient adapter leur système de financement, ainsi que leurs instruments de politiques monétaires afin d’aller au-delà des opérations classiques».

Miguel Engonga Obiang Eyang se charge également d’indiquer la voie à suivre. « Les institutions en charge de la régulation micro-prudentielle devaient également accompagner cette dynamique », fait-il valoir. Sa conviction partagée par l’ensemble des participants est que pour y parvenir, « une action collective et une bonne collaboration entre les parties concernées sont nécessaires, en gardant la priorité sur le développement économique dans le cadre des stratégies arrêtées dans nos États ». L’heure doit donc désormais être au niveau de chaque institution bancaire sous-régionale ou nationale à « la création et la mise en place des structures et instruments appropriés ». Ainsi que l’ont recommandé les représentants des Banques centrales réunies dans la capitale camerounaise.

Politiques non conventionnelles
Revoir le mandat des Banques centrales revient pour les participants au séminaire, à promouvoir des politiques non conventionnelles. Une option assumée. Mais pas au point de donner lieu à des interventions directes dans la sphère réelle. Certains pays à l’exemple de la République Démocratique du Congo (RDC) évoquent en effet la possibilité de « financer directement les activités économiques et les agriculteurs en faisant abstraction de l’intermédiation des banques secondaires ». La proposition est longuement débattue ce 16 mai 2023. La position du Nigéria est en la matière mitigée. Le représentant de la NCB affirme dans un premier temps que « plutôt que de donner des fonds aux banques commerciales dont une portion seulement sera accordée à l’agriculture, la Banque centrale du Nigéria a décidé à la suite des inondations, de financer directement les agriculteurs ». Ce dernier se fera dans un second temps le défenseur des établissements de crédit, en insistant notamment sur « la nécessité de s’appuyer sur les banques commerciales pour financer l’économie ». C’est cette orientation assortie de propositions qui est finalement arrêtée par les participants. On parle par ailleurs de renforcer la collaboration avec les États et les gouvernements.

Théodore Ayissi Ayissi

Ressources pour financer le développement

Les réserves de change, une possibilité

Les Banques centrales pourraient également capter les financements auprès des fonds internationaux. Ce qui pourrait développer leurs capacités d’intervention dans les économies sous-régionales ou nationales.

 

Une fois l’option d’une évolution vers le financement du développement validée, il se pose maintenant pour les Banques centrales africaines, la question des ressources pour soutenir cette ambition. La consigne est de se montrer inventif et créatif pour être à la hauteur des attentes. Trois propositions retiennent ce 16 mai 2023 à l’attention des participants. L’une d’elles souhaite s’appuyer sur les réserves de change. Elle est principalement défendue par la RDC. Laquelle indique « qu’il devrait revenir aux membres de l’Abca de fixer un seuil, d’1 mois, 2 mois ou de 6 mois d’importations, peu importe. Un seuil au-delà du supplément peut être mobilisé et utilisé pour financer les activités économiques ». Cette proposition enregistre plusieurs objections. « Les réserves de changement sont le résultat de plusieurs facteurs qui ne dépendent pas de nous. Il faut faire attention», disent les uns. « Il faut tenir compte des instruments pour être sûr d’atteindre nos objectifs, et donc tenir compte de nos capacités, ainsi que des autres problèmes auxquels les Banques centrales font déjà face », préviennent les autres.

Fonds internationaux
L’autre possibilité signalée par les représentants des Banques centrales africaines est « d’aller chercher les ressources internationales auprès des acteurs et des fonds qui en ont la capacité », évoque notamment la Zambie. Il faut pour cela « développer et encourager des activités vertes et durables », ont recommandé les participants en adhérant à cette idée. Une autre approche à expérimenter pour capter des fonds internationaux est de définir et de mettre en œuvre les principes de la finance durable, en favorisant en parallèle la recherche et le développement dans ce domaine. De manière à pouvoir s’intéresser à ces partenaires et investisseurs potentiels parmi lesquels l’Union européenne et la Banque mondiale.

Recapitalisation
La dernière option fait par contre référence à une intervention des gouvernements africains en faveur des Banques centrales. Le moyen d’y parvenir est la recapitalisation. Laquelle donnerait également suffisamment de moyens à ces institutions bancaires pour financer l’agriculture, l’économie verte et lutter contre l’insécurité alimentaire.

TAA

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