Jean Emmanuel Pondi: « L’Afrique ne doit pas aller au Conseil de sécurité sans droit de veto »
Le Pr. Jean Emmanuel Pondi donne les contours du rôle que joue la communauté internationale en Afrique, à l’occasion de la Semaine panafricaine tenue le 10 décembre 2022 à Douala.
Qu’est-ce que la Communauté internationale?
La Communauté internationale est une communauté à définition très variable. En réalité, personne ne peut vous dire avec exactitude les contours de ce concept. Est-ce que la communauté internationale c’est l’ensemble des pays-membres des Nations unies qui sont à 193 pays? Est-ce que la Communauté internationale ce sont les membres du Conseil de sécurité qui siègent avec droit de Veto, c’est-à-dire cinq? Est-ce que c’est encore le Conseil de sécurité élargi à quinze membres? Est-ce que c’est l’Union Africaine? Bref, c’est difficile à dire. Mais, ce qu’on sait quand même, c’est que c’est un ensemble de pays ou de personnes qui prétendent avoir les normes qui doivent faire fonctionner le monde. Et ces normes qui sont les leurs, qu’ils ont présentées comme les normes universelles. Et c’est là que se trouve tout le problème. Parce qu’il n’y a pas d’universalité dans l’approche culturelle. Chaque culture a son approche, son histoire et on ne s’aurait imposer l’histoire d’une culture autre. La Communauté internationale telle qu’elle est, c’est surtout l’occident et quelques pays de l’orient comme la Russie et autres. Elle doit être inclusive. La notion africaine c’est que les choses se font à l’intérieur des communautés et non pas par les individus et pour les individus.
Quel est le rôle de la Communauté internationale dans les crises africaines?
Elle a ses intérêts, qui sont de tirer de la plupart des continents un meilleur profit. Ça veut dire de contrôler ces continents et de les mener vers le chemin qui est en leur faveur. Par conséquent, de s’assurer que ceux qui empêchent que cela soit possible, qu’on les neutralise d’une manière ou d’une autre. Ce n’est pas quelque chose de nécessairement angélique parce que les intérêts ont des clashes. Les Africains doivent comprendre que le monde d’aujourd’hui est un celui dans lequel alterne la douceur et la violence. Quand il y’a des intérêts, il faut d’abord les définir. Comment nous les avons définis et quelles stratégies avons-nous mis sur pieds pour les défendre? Ceci se retrouve dans nos systèmes éducatifs qui ne parlent pratiquement jamais de nous-mêmes, toujours des autres. Je n’ai rien contre les autres, mais je suis pour que les Africains comprennent qu’on ne pourra aller nulle part en faisant toujours les vœux des autres. La Communauté internationale n’a pas pour raison de s’assurer que tous les continents fonctionnent bien.
La Communauté internationale est considérée comme un outil de domination. Comment l’expliquez?
C’est une domination qui est acceptée par nous. Vous ne pouvez pas dominer un milliard trois cent millions de personnes si elles ne sont pas d’accord que ce soit ainsi. On doit arrêter de croire que nous ne pouvons rien décider de nous-même et par nous-même. La Covid-19 a bien montré que nous avons des forces endogènes qui nous permettent de bien survivre. Pourquoi les Africains ne tirent pas bénéfice de ces leçons et de ces enseignements? Pourquoi toujours être en train d’attendre que d’autres viennent faire pour vous?
Quel doit être l’attitude de l’Afrique vis-à-vis de la Communauté internationale?
Il n’est pas question de rompre avec la Communauté internationale. Ce n’est pas souhaitable et pas envisageable. Il s’agit plutôt de faire en sorte que les termes du commerce que nous entretenons avec la société internationale, nous soit de plus en plus favorable. Et cela veut dire que, nous devons comprendre cette Communauté internationale mais, elle doit également tout faire pour nous comprendre dans nos intérêts. Il n’est pas normal que chaque fois que nous disons nos intérêts, ils sont interprétés comme étant des suggestions de telle ou de telle puissance. Comme si nous n’avons pas la capacité de réfléchir sur nos problèmes et proposer nos solutions. C’est cette incompréhension qu’il faut absolument évacuer. Il faut désormais qu’on considère que les Africains ne sont pas des enfants mais des adultes.
Vous avez insisté sur la nécessité pour l’Afrique de ne plus courir après une place au Conseil de sécurité. Pensez-vous qu’il faut créer un Conseil de sécurité alternatif africain?
Des gens ont créé leur structure nous n’étions pas là. En 1945 il n’y avait que quatre pays africains qui étaient indépendants formellement, et qui sont des membres-fondateurs de l’ONU. Les autres sont venus trouver cet appareil déjà là avec ses avantages et ses problèmes. Et je pense qu’on ne peut pas s’entêter à vouloir aller au Conseil de sécurité sans droit de veto. Il en faut absolument un. Si jamais on y allait, on doit aller avec les mêmes armes que tout le monde. Les pays qui siègent ne sont pas prêts à accepter cela. Paradoxalement, je les comprends forcément. Il ne s’agit pas de diluer ma force si j’en avais. Comme je les comprends, je pense qu’il faut laisser cette affaire et aller créer un autre pôle de puissance ailleurs qui répond d’une manière ou d’une autre à ce Conseil de sécurité. Pas nécessairement par l’armement, parce que je ne crois pas que la résolution des problèmes c’est par les armes. Les armes peuvent stabiliser, mais ne peuvent pas être la solution. La vraie solution c’est la création des richesses économiques. Parce qu’à la base de tout, c’est cette pauvreté qui créé la frustration et amène l’utilisation des armes.
Comment est-ce que l’Afrique parviendra à s’imposer et à faire prévaloir sa culturelle dans ce Conseil des nations?
Ceci ne se fait pas de façon administrative, cela se fait par le travail et par la force de ce que vous proposez qui finit par devenir évident. Cela veut dire qu’il faut travailler vers la spécificité que vous avez. N’essayez pas d’imiter les autres, et encore moins leurs clones. Ce qu’il faut, c’est être vous-même. Quand vous avez présenté votre singularité au monde et qu’elle est suffisamment attractive, alors vous vous imposez. Pour être singulier, il faut oser, aller dans des chemins différents. Et c’est ça que beaucoup d’entre nous ne font pas. Mais, il faut le faire ainsi vous êtes plus intéressants et vous pouvez tirer plus de dividendes. Le village global dont on parle, il faut bien qu’il soit différent, que les habitants apportent chacun leurs spécificités. C’est cet ensemble qui fait que le monde est intéressant. Mais, si nous sommes en train d’être chacun comme l’autre, ça ne sera pas quelque chose d’intéressant.
À cette conférence l’on rend hommage au Pr. Kalala Omotunde. Que pensez-vous de cet hommage qui lui est rendu?
C’était un ami, un collègue, un frère dans le sens africain du terme. C’est quelqu’un qui avait foi en quelque chose, et malheureusement ce qu’on reproche à beaucoup d’Africains, c’est que nous traversons la vie sans aucun idéal. Et notre idéal c’est ce qu’on peut faire et voir. Il avait une idée claire de pourquoi il est sur la terre. C’est pour expliquer au reste des humains ce qu’est vraiment l’Afrique d’après sa compréhension, et je pense qu’il a réussi à montrer que puisque nous sommes à la base de l’humanité, il est normal que la plupart de choses soit venu d’ici. Et je ne comprends pas pourquoi on s’offusque de cette position qui est tout à fait logique. Les plus anciens habitants de la terre nécessairement ont réfléchi sur les premiers problèmes et ceux ceux qu’affronte aujourd’hui l’humanité. Il n’a rien dit d’autre que cela et je crois qu’il avait parfaitement raison. Donc je lui rends hommage comme quelqu’un qui a dédié sa vie à éclairer les Africains sur qui ils sont, à les décomplexer, à leur donner leur valeur réelle qui n’est pas contre quelqu’un mais, qui est nous-même.
Propos recueillis par Diane Kenfack