«Il n’est pas nécessaire que la CEEAC change de dénomination»
Le géostratège Eugène Martial Omgba présente sa vision du processus de rationalisation des Communautés économiques régionales en Afrique centrale.
Quelle est l’opportunité de votre présence dans les locaux du journal Intégration ce 16 août 2022?
Disons que je connais le Directeur de publication, Monsieur Thierry Ndong, depuis plus d’une dizaine d’années, et je sais que son journal s’occupe des problématiques sous-régionales. Il y a justement une actualité brûlante en Afrique centrale qui concerne la rationalisation des Communautés économiques régionales (CERs). J’aurais aimé, si j’avais été à Yaoundé, suivre les travaux du Conseil des ministres du Comité de pilotage de la rationalisation des CERs d’Afrique centrale (Copil/CER-AC). Pour savoir ce qui se dit, où on en est, quelles sont les grandes avancées, et pour savoir si on avance quand-même. Je savais par ailleurs que si le Directeur de publication n’y était pas lui-même, il y aurait un journaliste d’Intégration.
Je suis un expert géostratège et je suis en effet intéressé par la question de la rationalisation. Je suis en train d’achever des travaux qui sont actuellement en édition à la Société de Presse et d’Éditions du Cameroun (SOPECAM). Ils ont pour titre «Afrique-mondialisation, urgence d’un contrôle stratégique de la puissance ?». C’est des travaux de plusieurs milliards de Francs CFA. Aussi bien pour l’édition que pour la communication. Le directeur de publication, Monsieur Thierry Ndong, est appelé à jouer un grand rôle dans cette phase. Au même titre que les autres publications spécialisées dans les problématiques sous-régionales. Je compte d’ailleurs donner une conférence de presse la semaine prochaine sur ce sujet. Mais je peux déjà dire que ces travaux seront publiés en 2023.
Comment appréhendez-vous alors la rationalisation et quel en est l’enjeu ?
Je voudrais commencer par indiquer que je m’intéresse à la rationalisation à une plus grande échelle que celle de l’Afrique centrale. Parce que nous vivons à l’ère de la mondialisation et que le monde a connu une telle évolution que l’Afrique ne peut rester en marge. Et donc, il existe plusieurs raisons pour lesquelles de façon géostratégique, on doit aller vers la rationalisation. D’abord parce qu’il y a une contrainte de la mondialisation qui fait disparaître les frontières.
Et au premier niveau de la rationalisation, la Cameroun peut par exemple se demander s’il a les capacités institutionnelles de faire face tout seul aux effets de la mondialisation ? On a bien vu avec la pandémie de Covid-19 que toutes les activités étaient à l’arrêt, le monde s’est arrêté de tourner. Je crois que c’est la première fois que le monde connaît une situation d’une telle ampleur.
Pour éviter un basculement dans le vide, il est donc recommandé aux États, africains notamment, de rationaliser les moyens et la sous-région apparaît comme l’élément alternatif qui renforce capacitairement l’État. C’est le deuxième niveau de la rationalisation.
Dans le système stratégique du droit interne, enfin, la construction des États recommande la maîtrise des frontières terrestres, maritimes, aériennes et cybernétiques, ce qui est une nouveauté. En raison de ce que la mondialisation a virtualisé les frontières. Et il se trouve aujourd’hui que la mondialisation a besoin d’une Afrique unie pour reconstituer les équilibres.
Mais la rationalisation que j’appelle de mes vœux, permet aussi de résoudre un autre problème. Puisque l’on peut par exemple observer qu’en Afrique, il existe pas moins de 100 organisations internationales qui ont le même objet et qui interviennent dans les mêmes domaines, ce qui renforce l’idée d’une inflation institutionnelle contreproductive pour les États. Face à ce tableau, la rationalisation n’est plus seulement quelque chose de facultatif, elle est à la limite de l’obligation. Et en définitive, tout ce que l’on observe jusqu’ici au niveau des États en Afrique, c’est les péripéties d’un acteur institutionnel qui n’a pas de repère et qui se cherche.
La dernière réunion du Conseil des ministres du Copil/CER-AC nous donne à savoir que le processus tire à sa fin. Puisque le Traité constitutif de la nouvelle Communauté économique régionale a été adopté et transmis au président dédié, le président camerounais, qui peut désormais convoquer ses pairs à tout moment. Quel est votre sentiment au vu de cette évolution ?
Mon sentiment est qu’Afrique, on ne sait pas gérer le temps. Alors qu’en géostratégie, le temps est le premier outil ou instrument de gestion. Je n’arrive pas à m’expliquer que le processus de rationalisation prenne autant de temps en Afrique centrale, une vingtaine d’années, pour qu’en août 2022, on en vienne seulement à adopter le Traité constitutif. Et même si vous indiquez que les autres textes fondateurs de la nouvelle Communauté économique et régionale, selon les critères de l’Union africaine, ont déjà aussi été adoptés par les experts, je maintiens que c’est regrettable, tout ce temps perdu pour si peu de résultats.
Essayez de comparer les six mois du président français à la tête de l’Union européenne et la présidence à la tête de la CEEAC par exemple. C’est sans commune mesure, parce que les autres savent ce que représente le temps, ce que c’est que le temps comme donnée géostratégique.
Qu’espériez-vous obtenir concrètement comme résultats à ce stade ?
Je regarde tous les problèmes que connaissent les pays africains et je m’interroge. Regardez le Mali. Est-ce qu’il peut vivre en autonomie ? Regardez la République Démocratique du Congo (RDC) ou la Libye, même si les choses semblent désormais se calmer et aller dans le bon sens dans ce pays. Ce sont autant de sujets de préoccupations sans forcément et nécessairement être des inquiétudes. Mais prenons par exemple le cas de la RDC et de ses problèmes de sécurité. Combien savent que Mobutu Sese Seko était un des pères fondateurs de la CEEAC. Mais cela fait six jours que la RDC préside la SADC. Cela fait quelques jours que les États de l’Afrique de l’Est ont envoyé des forces burundaises à l’Est de ce pays contre les groupes armés. Et je me demande pourquoi, alors qu’il le devrait, le président congolais Felix Tshisékédi ne porte pas la CEEAC et souhaite plutôt rejoindre les autres CERs.
La RDC aurait tout à gagner à être le leader en Afrique centrale et au sein de la CEEAC, plutôt qu’à intégrer la SADC. Parce qu’elle devra faire face à la concurrence de l’Angola, mais aussi et surtout de l’Afrique du Sud.
Dans le modèle de rationalisation retenu en Afrique centrale, est-ce que la RDC est prête à renoncer au dollar pour aller avec les autres États vers une monnaie unique. Puisqu’ils utilisent le dollar moyennant le paiement d’une contrepartie aux Américains. C’est à se demander si le confort psychologique qu’offre le dollar au Congolais, n’a pas également un effet néfaste sur le processus de rationalisation.
Qui trop embrasse, mal étreint. Quelles sont selon vous, les domaines prioritaires autour desquels doit se bâtir la rationalisation ?
En géostratégie, tous les domaines sont importants. C’est un tout. On ne peut pas privilégier certains domaines et négliger les autres. Mais puisqu’il faut absolument commencer quelque part, je dirais que l’armée et le domaine sécuritaire passent légèrement avant le politique et les autres domaines. Parce que c’est le militaire qui permet d’offrir un cadre viable dans lequel toutes les autres activités (économiques, politiques, sociales, etc.) vont se déployer.
Cela dit, il faudra aussi aller en Afrique vers une déconcentration des structures communautaires. À l’image de ce qui se fait déjà pour la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac). La Beac a en effet une direction nationale au Cameroun comme dans les autres pays, et des Agences. C’est ce vers quoi il faut aller. Autrement dit, il faudrait que les structures communautaires aient une déclinaison nationale dans chaque État pour être opérationnelles et efficaces.
Quelles sont vos attentes spécifiques au sujet de la nouvelle Communauté régionale économique en Afrique centrale ?
J’ai effectivement un souhait au sujet de la nouvelle CER. C’est que la dénomination ne change pas et que l’on garde toujours le nom CEEAC. Parce que la dénomination n’est pas le changement le plus important. Mais c’est ce que les acteurs et les animateurs vont faire de la nouvelle Communauté qui devrait le plus nous préoccuper.
Il faut par ailleurs de bons experts qui anticipent la situation. Je n’ai pas l’impression que ce soit le cas dans tous les pays. Il y a pourtant un travail de configuration de l’esprit communautaire à faire.
Propos sélectionnés par Théodore Ayissi Ayissi