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Environnement des affaires : Ces frontières que la Cemac érige en murailles !

L’un des leviers importants à actionner pour sortir la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) est d’intensifier les échanges entre les 6 pays. Principalement, la voie terrestre demeure privilégiée dans la réalisation de ce processus. Or, le Doing Business 2019 observe que malgré l’existence d’un régime préférentiel en termes de tarif de libre échange et l’union douanière, les frontières des 6 pays de la Cemac sont de véritables murailles. En importation comme en exportation, les procédures et documents administratifs sont énormes. Ce qui induit des pertes de temps considérables. Toute chose qui conduit les acteurs du commerce transfrontalier à mener leurs activités dans l’informel.

Selon la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED), une opération commerciale internationale moyenne implique entre 20 et 30 parties. Le commerce transf

Des véhicules à la frontière Cameroun-RCA

rontalier, lui, inclut non seulement des acteurs gouvernementaux tels que les douanes et les autorités portuaires, mais également des courtiers, des banques commerciales, des vendeurs, des compagnies d’assurance et des transitaires. La réalité dans la Cemac est parfois tout autre. L’une des réformes phares prônées par le Doing Business, pour faire des frontières des hubs d’affaire, est le décloisonnement des acteurs au niveau des frontières ainsi que la formation du personnel douanier.

 

 

 

Le temps et le coût des procédures aux frontières des États membres sont les principales entorses au commerce transfrontalier.

Les 6 États membres de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) appartiennent à deux communautés économiques. Outre la Cemac, ils appartiennent tous à la communauté économique des États de l’Afrique centrale (Ceeac). Dans ces deux configurations régionales, des régimes douaniers préférentiels existent pour faciliter les affaires. Bien plus, ces pays ont ratifié l’accord de l’organisation mondiale du commerce (OMC) sur la facilité des échanges. Or, les pays de la Cemac présentent des tarifications et des temps de passage à la douane qui sont tous aussi différents d’un pays à un autre. En plus, de manière uniforme, les procédures sont couteuses et lourdes.

Exportations
Pour ce qui est des exportations, les indicateurs du Doing Business démontrent qu’il faut en moyenne plus de 3 jours (89,16 heures) pour être en règle en termes de documents. Une fois à la frontière, c’est en moyenne plus de 6 jours qu’il faut attendre pour être en conformité. Le récent rapport de la Banque mondiale sur les marchés agricoles dans la Cemac indique d’ailleurs que pour échapper à ce problème, certains opérateurs économiques procédaient à des injections de substances pour conserver certains aliments en bon état de consommation.

À côté des contraintes de temps, il y a les coûts des procédures qui sont, eux aussi, exubérants. Pour ce qui est de la conformité documentaire, il faut dépenser en moyenne 847,33 dollars (487.260,95 FCFA). Au niveau de la frontière, c’est de 991,66 dollars (570.214,06 FCFA) dont il faut s’acquitter. Pour exporter dans la Cemac, un opérateur économique, n’étant peut-être pas éligible au tarif préférentiel généralisé, a besoin de 1.057.475,01 (un million cinquante-sept mille quatre cent soixante-quinze) en moyenne.

Importation
La logique est identique pour ce qui est des importations. Avec 170,5 heures (7 jours) et 400 dollars (230.026 FCFA) pour les conformités documentaires. À la frontière, c’est 226 heures (9 jours) et 1112 dollars (639.470 FCFA) pour les conformités. Soit 16 jours et 869.496 FCFA.

Optimisation
Pour améliorer la performance du passage des frontières, le rapport suggère que les pays évoluent vers le traitement électronique des documents destinés à l’exportation et à l’importation. À l’effet de fluidifier les transactions, il invite les pays à améliorer l’infrastructure frontalière, en adoptant le poste-frontière unique et la qualité des corridors routiers régionaux. À titre d’illustration, le Rwanda a réduit le délai de mise en conformité à la frontière. Il a ainsi affecté du personnel de l’administration fiscale rwandaise et de l’administration fiscale tanzanienne au poste-frontière à guichet unique de Rusomo.

Le commerce régional, dans l’espace Cemac, se produit principalement par voie informelle et n’est pas systématiquement enregistré dans les systèmes de données nationaux. Selon une étude sur le commerce informel, réalisée en 2015 par Robert Nkendah, «un peu plus de 155.000 tonnes de produits agricoles et horticoles non enregistrés ont été expédiées du Cameroun vers ses voisins de la CEMAC en 2008. Ces transactions avaient une valeur estimée à près de 38 milliards FCFA (environ 85 millions USD, taux de change moyen de 2008), représentant 0,4 % du PIB enregistré du Cameroun. La sous-déclaration du commerce se retrouve également au niveau des données officielles sur les biens importés». Au nombre des mobiles de cette grande activité informelle, l’étude évoque les formalités administratives et douanières décourageantes pour les opérateurs économiques.

Zacharie Roger Mbarga

 

Réforme des administrations douanières

Le renforcement des capacités du personnel douanier sur les instruments et réformes de facilitation des échanges permettra directement d’agir sur les acteurs aux frontières.

Selon l’organisation mondiale des douanes (OMD), la formation régulière des fonctionnaires des douanes et des courtiers en douane est positivement associée à une réduction des délais de conformité des documents et des frontières. La formation est également liée à la mise en œuvre réussie des réformes commerciales. En effet, la plupart des économies qui ont mis en œuvre des réformes commerciales telles que décrites par le Doing Business 2019 dispensent une formation régulière aux agents de dédouanement.

Les agents des douanes effectuent plusieurs tâches notamment l’évaluation, les contrôles documentaires, les inspections physiques de la cargaison et les audits post-dédouanement entre autres. Ce sont ces mêmes agents des douanes qui préparent la documentation commerciale afin d’assurer le bon transfert de la cargaison. Compte tenu de ces tâches, le Doing Business estime que la communication et la formation sur les nouveaux processus, ainsi que sur les développements informatiques, sont essentielles. La facilitation des échanges étant un catalyseur de la croissance économique, former les parties prenantes à l’adoption efficace des réformes commerciales devrait constituer une priorité essentielle du gouvernement. Les données de Doing Business indiquent que le temps moyen nécessaire pour le dédouanement (exportations et importations) est environ 34 % plus court dans les économies où les agents de dédouanement reçoivent une formation régulière, par rapport à ceux où aucune formation n’est dispensée.

Moyens opératoires
Bien que les agences des douanes soient traditionnellement responsables de la collecte des recettes, de la gestion des frontières et de la prévention de la fraude, elles sont désormais censées rationaliser les processus de dédouanement, tout en garantissant la sécurité des frontières. Le nouveau rôle « dynamique » des agences des douanes exige que les agents de dédouanement maintiennent un haut niveau d’efficacité, de connaissance et de responsabilité, soulignant ainsi la nécessité d’un personnel douanier bien formé.
En règle générale, les gouvernements sont chargés de concevoir et de mettre en œuvre leurs programmes nationaux de facilitation du commerce. Pour cette raison, ils sont souvent les mieux placés pour diriger les stratégies d’éducation et de communication des parties prenantes au sein de leurs administrations des douanes et de leurs comités nationaux de facilitation des échanges.

Expérience
Au Cap-Vert, la formation régulière des fonctionnaires des douanes a aidé le pays à mettre à niveau son système automatisé de gestion des données douanières. En janvier 2016, le pays est passé ainsi de SYDONIA ++ à ASYCUDA World, le système le plus actualisé et le plus répandu de gestion des données douanières. C’est le programme de coopération technique le plus important de la CNUCED, couvrant plus de 80 pays et 4 projets régionaux. Tout au long de l’année, le Cap-Vert a dispensé des formations aux fonctionnaires des douanes, aux courtiers et aux négociants. Ceci a permis à ces acteurs de se familiariser avec le nouveau système. La résultante a été la réduction de 24 heures, du temps de conformité des documents, tant pour les exportations que pour les exportations.

Zacharie Roger Mbarga

 

Le mauvais classement des pays de la CEMAC s’explique par l’insuffisance des réformes

Socrates Foungou Segnou

L’intégration pourrait faciliter l’effet d’entrainement dans la mise en œuvre de certaines mesures. Le renforcement des institutions à vocation régionale leur permettrait, à coup sûr, d’impulser des ajustements bénéfiques aux pays. L’élargissement du marché grâce à la libre circulation des biens et des personnes profiterait au développement des entreprises et aux commerces transfrontaliers figurant au rapport Doing Business

Ingénieur financier, chercheur en Économie du développement et spécialiste en innovations financières, mécanismes de financements innovants et marchés des matières premières, il analyse les mobiles du classement peu flatteur des pays de la Cemac dans le Doing Business 2019. Notre expert démontre la valeur ajoutée de l’intégration régionale comme moyen d’optimisation des réformes pouvant faciliter les affaires dans la sous-région.

 

À la lumière de la publication du dernier Doing Business, les pays de la Cemac sont classés entre la 166e et la 183e place. Qu’est-ce que cela vous suggère ?
Une évolution récurrente en dent de scie depuis quelques années et qui, dans une analyse du panorama international marqué par la compétition commerciale entre les pays, peut s’interpréter comme une régression. Et pourtant le rapport Doing Business porte l’Afrique subsaharienne au-devant des pays les plus réformateurs depuis 2012. La publication du 16e rapport Doing Business 2019 ne déroge pas à la règle, avec pas moins de 107 réformes menées par ces pays, dont quatre figurent dans le top 10 mondial. Il s’agit notamment du Togo, du Kenya, de la Cote d’ivoire et du Rwanda.

Le classement des pays de la CEMAC est effectivement peu encourageant, avec respectivement sur un ranking de 190 pays, le Cameroun (qui passe de la 163e à la 166e, avec +0,83 point), le Gabon (qui passe de la 167e à ma 169e, avec -0,23 point), la Guinée équatoriale (qui passe de la 173e à la 177e avec +0,27 point), la République du Congo (qui passe de la 179e à la 180e avec +0,36 point), le Tchad (qui passe de la 180e à la 181e, avec +1,15 point) et la Centrafrique (qui passe de la 184e à la 183e, avec +2,67 points). En effet, si ce mauvais classement des pays de la CEMAC vient en grande partie de ce qu’ils cumulent au cours des trois dernières années moins de 20 réformes, il ne faut pas soustraire les causes profondes. Celles-ci sont relatives d’une part au management peu variant qui caractérise ces pays (les changements de gouvernement sont de nature à insuffler un souffle nouveau et surtout des pratiques nouvelles qui, quelques fois, sont bénéfiques) ; d’autre part, un autre marqueur fort des pays de la CEMAC, c’est une absence des réformes notables dans le secteur des PME et de l’économie informelle (qui constituent la 90 % des initiatives d’investissement privés).

On constate que les innovations permettant l’accès à la propriété foncière ou au crédit pour les petits investisseurs tardent à se mettre en œuvre. Ces PME sont aussi victimes de l’insolvabilité de leurs créanciers où figure en bonne place l’État, et ne disposent pas des ressources financières pour des procédures de recours juridiques couteuses en absence d’un cadre légal bien aménagé. Cependant, depuis 2010, les pays de la CEMAC disent mettre en œuvre des politiques globales et sectorielles visant à améliorer le climat des affaires et stimuler l’investissement dans les lieux d’origine des lois sur l’incitation des investissements et des institutions d’accompagnement des entreprises. Ces mesures, en plus de ne pas avoir un effet réformateur immédiat, mettent l’accent sur les dispositifs permettant d’attirer les IDEs, au détriment des dispositions d’incitation locales dans lesquelles ont brillé les pays africains les plus réformateurs, à l’instar du Rwanda et du Kenya.

Deux ans après le sommet de Yaoundé, les réformes structurelles tardent à voir le jour, en particulier celles devant améliorer l’environnement des affaires. Quelle analyse faites-vous ?
Il faut dire que le sommet extraordinaire de Yaoundé fut une rencontre de crise entre les chefs d’État de la CEMAC. En théorie, les crises sont des opportunités de réforme, les économies sont plus susceptibles de mettre en œuvre des réformes de la réglementation dans les domaines mesurés par Doing Business en cas de difficultés budgétaires. « Une crise économique crée une motivation plus forte pour la réforme qu’un changement de gouvernement » (Rapport Doing Business, 2018).

L’une des résolutions figurant au 17e point du rapport final mentionne effectivement la nécessite d’améliorer substantiellement le climat des affaires en zone CEMAC, afin de promouvoir de manière vigoureuse l’activité économique créatrice de richesses. Le paradoxe est cependant celui de vouloir mener des réformes parfois couteuses sur les finances publiques, tout en s’engageant, à l’occasion du même sommet, dans des programmes de resserrement budgétaire avec les institutions de Brettons Wood. Les tensions monétaires ont été au plus haut au cours des deux dernières années, avec la réduction significative des réserves de change, le ralentissement de la croissance et la dynamique inquiétante de l’endettement. Toutes choses qui justifient que le déploiement des États sur le terrain des réformes dans la pratique des affaires ait manqué de moyen.

Les pays de la Cemac restent moins réformateurs en matière de création d’entreprise, de transfert de propriété, de raccordement à l’électricité, d’insuffisance de Commerce transfrontalier, de législation des affaires et du marché du travail, d’exécution des contrats et de résolution de l’insolvabilité. Quelle est la situation ?
En effet, sur les 11 indicateurs utilisés par le Doing Business pour mesurer les réformes utiles au développement des affaires (création d’entreprise, obtention d’un permis de construire, raccordement à l’électricité, transfert de propriété, obtention de prêts, protection des investisseurs minoritaires, paiement des taxes et impôts, commerce transfrontalier, exécution des contrats, règlement de l’insolvabilité et régulation du marché du travail) les indicateurs que vous citez reçoivent les cotations les plus basses et sont donc de nature à abaisser la note globale.

Si l’on s’intéresse à ces indicateurs au cas par cas, on peut relever des constats importants. De prime à bord, le « règlement de l’insolvabilité » qui, selon le rapport, n’est pas un problème propre aux économies de la CEMAC. En effet, l’ensemble des pays d’Afrique Subsaharienne accuse un retard important du point de vue de cet indicateur par rapport aux grands pays notamment ceux de l’OCDE. Concernant la création d’entreprise, le Tchad, le Gabon et le Cameroun marquent des points dans la mise en place d’un guichet unique pour les formalités de création d’entreprise, alors que la Centrafrique se distingue par la réduction du capital minimum pour les sociétés formelles. Il reste cependant fort à faire, notamment quant à la dématérialisation totale du processus de création d’entreprise, et qui pourrait considérablement réduire les coûts de mise en place des nouvelles entités.

En matière de réformes portant sur l’accès au permis de construire et le raccordement à l’électricité, seul le Gabon se démarque. En effet, il a, dans le premier cas, adopté un nouveau code encadrant les permis de bâtir, sous l’égide de l’Agence Nationale de l’Urbanisme, des Travaux topographiques et du Cadastre (ANUTTC). Dans le second cas, il a été question de l’amélioration de la transparence dans les tarifs ainsi que des facilités de raccordement au réseau. Pour ce qui est du transfert de propriété, le Tchad s’illustre grâce aux réformes mises en œuvre par l’Agence Nationale des Investissements et des Exportations (ANIE), en faveur de son Plan stratégique 2014-2018, et consistant en une réduction de divers frais et taxes sur les procédures. Aucune autre réforme importante à mettre à l’actif des pays de la CEMAC en dehors de «l’exécution des contrats» ou l’ensemble des pays membres de l’OHADA ont adopté des mécanismes alternatifs de règlement des différends.
Dans l’ensemble, très peu de réformes notables, ce qui justifie le fléchissement dans le classement Doing Business.

On s’en rend pourtant compte, l’intégration régionale plus approfondie, à laquelle les institutions de Bretton Woods et des Nations unies invitent ces pays pourrait régler tout cela. S’agit-il d’un vœu pieux, ou alors les États peuvent-ils capitaliser à travers des stratégies régionales ?
Peut-être pas créer un bond en avant (les réformes restent individuelles et les pays les plus réformateurs ne sont pas pour autant les plus intégrés), mais l’intégration pourrait faciliter l’effet d’entrainement dans la mise en œuvre de certaines mesures. Le renforcement des institutions à vocation régionale leur permettrait à coup sûr d’impulser des ajustements bénéfiques aux pays. L’élargissement du marché grâce à la libre circulation des biens et des personnes profiterait au développement des entreprises et aux commerces transfrontaliers figurant au rapport Doing Business. L’intégration régionale pourrait aussi harmoniser certaines procédures en les rendant moins complexes, toutes choses qui seraient bénéfiques au classement des pays de la CEMAC.

Peut-on réellement faire autrement que ce qui est visible à l’heure actuelle dans la Cemac ?
En effet, même si le rapport se félicite d’avoir inspiré, depuis son avènement en 2003, plus de 3500 réformes, notons que, sans briller fondamentalement du point de vue du classement, on peut très bien s’affirmer comme puissance économique à l’instar de l’Afrique du Sud (seulement 82e) et du Nigéria (146e). Dans bien des cas, les réformes, parfois couteuses, se mettent en place plus aisément lorsque le pays s’est fortement développé, en mettant l’accent sur d’autres créneaux comme le commerce des matières premières comme ce fut le cas pour les Émirats Arabes unis. Un développement analogue pourrait être fait par les pays de la CEMAC (pour la plupart exportateur de pétrole), mais ça reste une stratégie risquée à cause de l’exposition à la dégradation des termes de l’échange à l’international. C’est pourquoi l’accent est mis sur la diversification des sources de création de richesse, ce qui oblige les pays d’Afrique Centrale à assainir leur environnement des affaires pour stimuler l’investissement. Si des pays à niveau de développement comparable ont réussi nombre de réformes qui ont apprécié leur classement [ Rwanda (52 réformes), le Kenya (32) et Maurice (31) ], l’on a toutes les raisons de penser que l’exercice reste accessible aux pays de la CEMAC. Tout cela doit cependant s’inscrire dans une nouvelle culture managériale.

Propos recueillis par
Zacharie Roger Mbarga

 

 

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