Crise anglophone : Chief Mukete, la voix des sans voix ?
À Yaoundé, au cours de la dernière session du Sénat, le doyen d’âge de la chambre haute du parlement s’est distingué par son coup de sang. À l’analyse, la posture du centenaire apparaît comme la frustration de ceux qui, dans le sérail, peinent à faire entendre un son de cloche modéré.

Ils sont nombreux, au sein du pouvoir de Yaoundé, à ronger leur frein depuis octobre 2016. Dans l’énorme pataquès qu’est la crise anglophone, les positions se sont radicalisées de part et d’autre. Du côté anglophone, une ligne de front s’est constituée. Quelques personnes ont pris les armes contre la République, alimentant ainsi les arguments des sécurocrates du pouvoir, qui tapent comme des sourds sur tous ceux qui ne suivent pas ligne édictée par Yaoundé. Au milieu, la frange dite «modérée» est aussi aphone qu’apeurée.
À l’exception de Nfon Mukete, les «modérés» du pouvoir de Yaoundé se terrent. Le 5 avril 2019 au Sénat, le sénateur du parti au pouvoir, doyen des siens, a marqué dans son camp. «Le système a échoué, la fédération est l’unique solution». Une prise de position qui va à contre-courant de la voix officielle selon laquelle «la forme actuelle de l’État n’est pas négociable».
Mais Mukete, le centenaire, acteur du passage de la fédération à l’État unitaire, pense le contraire: «dix États fédérés pour que chaque région puisse gérer ses affaires. Pourquoi les gens ont-ils peur de la fédération ? Je ne parle pas comme cela parce que le pays devrait être divisé. Non ! Je me suis battu ardemment pour la réunification de l’ex-Southern Cameroon et l’ex République du Cameroun. Je ne pourrais jamais détruire cet acquis», a-t-il tonné.
Courage
Le sénateur, nommé par le président de la République pour le compte du RDPC (parti au pouvoir), a ainsi laissé jaillir son opinion : «Je m’en fous. Allez le dire à n’importe qui. Allez dire à Paul [Biya]. Citez-moi n’importe où», va-t-il cracher.
Nfon Mukete n’est pas le seul à désapprouver la gestion actuelle de la crise anglophone par les autorités camerounaises. Beaucoup au sein du régime Biya prennent le contre-pied du Gouvernement dans cette crise.
C’est le cas de Grégoire Owona, ministre du Travail et de la Sécurité sociale, par ailleurs secrétaire général adjoint du Comité central du RDPC. Sur un plateau de télévision en 2018, celui à qui l’on prête une grande influence au sein du parti de Paul Biya nuançait au sujet du fédéralisme : «Si c’est la volonté des Camerounais, je m’aligne. Mais dans le cas contraire, cette option politique n’est pas à l’ordre du jour».
En petits comités, Grégoire Owona défendrait une approche de dialogue. À ceux qui ont l’oreille du «Prince», il aurait plusieurs fois conseillé : «Il faut dire au chef de l’État qu’il faut dialoguer». D’autres également, à l’instar de Charles Messanga Nyamging, membre du Comité central du RDPC, n’en pensent pas moins. Dans ses prises de parole sur la crise anglophone, il défend une approche moins intransigeante.
Connivence
À ranger également sous cette aile, des parlementaires qui brandissent la « discipline du parti ». Se sachant surveillés par les faucons du régime, ils ne se démarquent pas ouvertement de la ligne tracée par Etoudi. «Comme dans tout regroupement humain, il n’existe jamais un régime d’unanimisme, il en est de même de l’action collective. Les macro-rationalités, c’est-à-dire les positions des groupes, sont généralement la conséquence des micro-positions des acteurs», analyse Aristide Mono, enseignant de science politique à l’Université de Yaoundé II-Soa.
Il poursuit: «les voix alternatives aux tenanciers de l’aile dure semblent moins audibles au sein du régime. Sûrement, elles veulent échapper à tout soupçon de connivence avec l’offre sécessionniste».
Bobo Ousmanou