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Commerce intra-africain : Cameroun et Guinée équatoriale se donnent la main

L’Afrique peut-elle avoir une meilleure expérience du libre-échange? L’ouverture des barrières économiques et politiques aux échanges a occasionné en occident la désindustrialisation. La recherche effrénée du profit (main d’œuvre moins chère, facteurs de production très avantageux, accessibilité de la fiscalité, loi environnementale conciliante, application fantaisiste du Code du travail) a entrainé la naissance des déserts industriels. Il va se produire la démondialisation! Les peuples vont se replier sur eux-mêmes, les idéologies nationalistes vont émerger au détriment du multilatéralisme.

Aujourd’hui, le continent africain met sur pied son marché unique: la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). Adoptée comme projet phare de l’Agenda 2063, la Zlecaf poursuit la lutte contre l’extrême pauvreté. Il ne s’agit pas d’un projet structurant qui vise l’amélioration des indicateurs économiques. Pour ce faire, il faut que sous la Zlecaf se fasse un commerce de développement qui va offrir des opportunités à toutes les catégories d’opérateurs économiques. L’expansion du marché unique ne devra pas aussi améliorer la connexion des peuples, des territoires et des centres de production.

La 11e édition de la Foire transfrontalière de l’Afrique centrale (Fotrac) impose ce débat. Comment la productrice de savon à base de bave d’escargot peut-elle tirer profit de la Zlecaf? Cette édition sera encore plus inédite, car elle pourra se dérouler à la fois au Cameroun (comme de tradition) et en Guinée équatoriale. Le journal Intégration offre des grilles de compréhension sur l’offre utile de la Fotrac 2020.

 

Les villes de Kyé-Ossi et d’Ebibeyim devraient accueillir conjointement la 11e édition de la Foire transfrontalière de l’Afrique centrale.

La Fotrac, trait d’union d’une Afrique qui se réinvente.

Au moment où le cœur de l’Afrique assistera historiquement à l’ouverture des barrières, parce que la Zlecaf deviendra opérationnelle, le Cameroun et la Guinée équatoriale abriteront concomitamment une foire commerciale. Un symbole fort pour le continent africain et pour la sous-région.

La 11e édition de la Foire transfrontalière de l’Afrique centrale (Fotrac), qui réunit des opérateurs économiques de la sous-région, d’autres pays d’Afrique, d’Asie et d’Europe, se déroule du 24 juin au 6 juillet 2020. Au Cameroun, le site traditionnel de Kyé-Ossi (ville des trois frontières) va abriter le village de la foire. En Guinée équatoriale, la ville d’Ebibeyim a été plébiscitée. La grande commission mixte Cameroun-Guinée équatoriale, qui se déroulera au Cameroun dans les prochaines semaines, devrait à priori aborder le sujet. Même si, pour l’heure, la Fotrac n’est pas retenue dans l’ordre du sujet, une diplomatie de couloir pourrait se mettre en branle pour engager les autorités de haut niveau.

Processus
C’est le 27 juin 2019, à la cérémonie protocolaire d’ouverture de la 10e édition de la Fotrac, que la vice-ministre équato-guinéenne des Affaires sociales, de la Promotion de la femme et de l’Égalité des genres, Pastoral Ntutumu, a formulé le vœu des autorités de son pays à accueillir cette édition. Elle révèlera d’ailleurs que la première dame équato-guinéenne est très intéressée par cette perspective.

Depuis lors, les négociations visant à offrir le meilleur format à cette fête de l’intégration économique se sont poursuivies. La Fotrac s’est progressivement imposée comme un projet intégrateur. Toutefois, c’est un décret du Premier ministre-chef du gouvernement de la République du Cameroun, datant de 2012, qui fixe son organisation. Le ministre du Commerce assure, au nom du gouvernement, la présidence du Comité interministériel élargi au secteur privé et à la société civile.

Les négociations entre la partie camerounaise et la partie équato-guinéenne ont déjà permis d’arrêter la date et les villes hôtes. Plusieurs détails liés, sans exhaustivité, à la construction du site, l’hébergement des exposants, la circulation des participants, des visiteurs et des biens d’un pays à un autre… demeurent en examen. Dès la fin de ce mois de février, une session du Comité interministériel se tiendra, en présence de la partie équato-guinéenne, pour avancer sur un bon nombre d’inconnues.

Inclusion
Le fantasme sécuritaire prendra-t-il fin? La rigidité des frontières (fermées à répétition) cèdera-t-elle le pas? Rien n’est moins sûr. L’Afrique assistera à la mise en eau de son gigantesque projet de marché unique. Pour le Refac, le défi ultime, en adéquation avec l’agenda 2063, c’est de ne laisser personne à la marge de la Zlecaf. En tirant des leçons des expériences dans le monde, le plaidoyer de cette édition de la Fotrac est de sensibiliser les décideurs politiques et économiques africains sur l’intérêt à intégrer tout le monde dans le traineau des gains de la Zlecaf. Les projets de libre-échange ont causé beaucoup de mal dans plusieurs pays dans le monde. Le Brexit est le dernier indicateur du caractère exclusif du projet de libre-échange dans l’Union européenne. Fidèle à sa réputation de défenseur des peuples, le Refac estime que «personne ne devrait être perdant dans la Zlecaf».

Bobo Ousmanou

Zlecaf

Le défi d’un marché de développement

Transformée en un seul et vaste marché, l’Afrique va-t-elle abandonner son modèle de production et de consommation qui repose pour l’essentiel encore sur les exploitations familiales? Analyse.

 

La gestion de l’adaptation ou du changement de modèle économique. Voilà un énorme enjeu sous-jacent à l’entrée en vigueur de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). Le marché unique africain va se transformer en une grande zone industrielle.

Les investisseurs et grands opérateurs économiques vont doper leur capacité de production pour atteindre le maximum de consommateurs. Sans éducation économique, le consommateur, un agent économique rationnel, sera livré à la tentation du plus séduisant. Tout ceci, même dans un scénario à la Shakespeare, annonce au pire la disparition et, au mieux, la marginalisation des producteurs de petite et moyenne échelles. En clair: risque de sous-consommation des produits locaux; risque de disparition des économies locales; risque d’accentuation de l’exode rural; risque de forte pression urbaine; en cas de non-satisfaction des besoins (ou satisfaction insuffisante), risque de développement du sentiment de rejet.

Optimisation
Le schéma apocalyptique dressé demeure une hypothèse. Mais l’équation à résoudre demeure entière. Les solutions sont pour l’essentiel connues. Pour rendre la Zlecaf inclusive, il faudrait sans doute poursuivre, pour les pays ayant un modèle de production basé essentiellement sur les exploitations familiales, l’accompagnement leur permettant de muter en unités industrielles de qualités. Si l’on résout la nécessaire maturation des exploitations, il faudra réussir la mise en réseau des marchés. Relier les bassins de production aux centres de consommation à travers des infrastructures agricoles (routes, électricité, eau potable, lignes téléphoniques, marchés agricoles). Le développement des infrastructures est un vecteur essentiel d’inclusion des populations dans le système économique.

La production est faite en milieu rural, mais le monde rural bénéficie le moins du fruit de ses richesses. Le dernier rapport de la Banque mondiale sur la pauvreté en Afrique recommande une meilleure valorisation du potentiel du monde rural pour sortir le continent de l’extrême pauvreté. Enfin, la prise en compte du potentiel des exploitations familiales dans les stratégies de développement d’exportation et d’insertion dans la Zlecaf. Le Kenya et l’Afrique de l’Est ont adopté une stratégie Zlecaf qui repose sur la similarité des habitudes de consommation.

Pour associer les exploitations familiales dans la Zlecaf, il serait intéressant de penser aux productions de cycle court. Ces productions font le quotidien des consommateurs et constituent un levier de développement du secteur agro-industriel. Pourquoi inclure le palmier à huile et le coton dans une stratégie Zlecaf alors que le maïs, la tomate, les arachides, le manioc, le macabo, les produits forestiers non ligneux constituent des matières premières qui peuvent être récoltées au moins 2 fois par an?

Bobo Ousmanou

Jeanne Danielle Nlate

Comme partenaire, nous mettrons à contribution notre portefeuille pour amplifier le message et nous insisterons au niveau de la base. Il faut réussir à faire engager toutes les catégories d’opérateurs (très grandes, grandes, moyennes et petites entreprises

La présidente du Réseau des femmes actives de la CEMAC (Refac) et promotrice de la Foire transfrontalière de l’Afrique centrale (Fotrac) présente le format et les ambitions de l’édition 2020 de l’évènement qui se veut un outil d’appropriation et d’incubation pour la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf).

 

 

Mme la présidente du Refac, la 11e édition de la Fotrac se profile à l’horizon. L’édition précédente, chargée de symboles, nous a permis de constater que le Refac et la Fotrac sont désormais des forces de proposition pour l’intensification tant souhaitée de l’intégration régionale. Comment en êtes-vous ressortie?
Chaque année est évidemment une année de grâce avec une coloration particulière pour le Refac et la Fotrac, et même parfois au-delà de nos attentes. Nous n’oublions pas l’apport et l’appui du gouvernement du Cameroun par le biais du ministère du Commerce qui parraine de main de maitre cette activité. Vous avez d’ailleurs vu et apprécié la présence du ministre du Commerce Luc Magloire Mbarga Atangana à la rencontre de lancement de la 10e édition à Yaoundé, avec à ses côtés le numéro 2 de la délégation de l’UE au Cameroun, monsieur Benedickt Madl.

Le Refac et la Fotrac sont des instruments fédérateurs et intégrateurs à n’en point douter, vu l’engouement des participants de tous calibres pour cet évènement. À la 10e édition, nous avons reçu une fois de plus de hautes personnalités des différents pays de la sous-région, à l’instar de la vice-ministre de la Promotion de la femme et de l’Égalité de genre de Guinée équatoriale, qui conduisait une très forte délégation. Le directeur général du Conseil national des chargeurs du Cameroun (CNCC) a personnellement animé une séance d’échanges avec les opérateurs économiques et les populations. Les gouverneurs des trois pays de la zone des trois frontières, les délégués des différents ministères, mandataires des sociétés publiques et parapubliques, les autorités locales ont contribué à rehausser le niveau de cette édition symbolique. La présence massive des ressortissants des pays de la CEMAC/CEEAC dont la RCA, pays à l’honneur de cette édition passée et bien d’autres pays d’Afrique, d’Europe et d’Asie, s’avère un motif de satisfaction également.

Les deux instruments que sont le Refac et la Fotrac poursuivent inlassablement la sensibilisation, la mobilisation et la saisine de tous les protagonistes sur le désir de circuler «librement» et d’intensifier les échanges socioéconomiques en toute symbiose. Ceci se fait auprès de toutes les cibles: les peuples, les gouvernements africains et les institutions pour le développement intégré de l’Afrique. Notre sentiment reste quand même mitigé, car il manque encore quelques ingrédients pour que la mayonnaise prenne. Nous souhaitons voir tous les pays engagés au même moment à cette manifestation, de même que les institutions régionales, continentales et internationales après 10 années d’activisme.

À Kyé-Ossi, l’année dernière, nous avons vu le déploiement des femmes de la Guinée équatoriale, mais aussi des autorités politiques et administratives de ce pays. Elles ont traduit une volonté d’accueillir l’édition 2021. Quelle suite a été réservée à cette requête?
La forte délégation de la Guinée équatoriale, conduite par la vice-ministre Pastoral Ntutumu du ministère de la Promotion de la femme et de l’Égalité des genres, ainsi que les nombreuses personnalités citées plus haut, s’est effectivement déployée à Kyé-Ossi.

Le dossier avec la Guinée équatoriale est en cours de traitement. Nous travaillons toujours en synergie et tenons compte du contexte sécuritaire. Les participants souhaiteraient explorer ce marché-là, comme celui des autres pays de la sous-région. Nous travaillons dans l’optique d’un évènement qui se déploiera dans les deux villes d’Ebibeyin et de Kyé-Ossi où nous rencontrons encore des problèmes de site. Nous communiquerons le moment venu.

Pour cette édition, le thème central invite à concrétiser la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) pour les citoyens. Au niveau du continent, le processus est irréversible et les barrières s’ouvrent le 1er juillet 2020. Quelle est l’idée derrière le choix de la thématique?
D’habitude nous agissons! Nous sommes rentrées dans le processus depuis longtemps, invitées à des réunions de travail par les institutions régionales et continentales, avec un bon soutien institutionnel au niveau national. Nous devons continuer l’action de sensibilisation à la base. D’où ce thème évocateur qui est une alerte lancée à l’endroit du peuple d’Afrique. Il ne faut pas un gros décalage entre les décisions, les actes de nos chefs d’État de l’UA et l’implémentation sur le terrain. Les citoyens africains doivent être informés et formés pour s’approprier tous les mécanismes leur permettant de se mouvoir dans les opportunités offertes par les projets intégrateurs tels que la Zlecaf. Tous à la Fotrac 2020, du 24 juin au 6 juillet prochains.

Effectivement, on se rend compte qu’une bonne partie des opérateurs économiques semblent indifférents à la transformation de l’Afrique en un marché unique. Ceux-mêmes qui en parlent c’est davantage les grandes et très grandes entreprises. La Fotrac penserait-elle à engager un plaidoyer pour une Zlecaf inclusive?
Nous y sommes… Le Refac s’est toujours défini comme partenaire des États, des communautés économiques régionales et des opérateurs économiques. Aujourd’hui, au niveau du continent, à l’échelle régionale et dans les pays, il y a eu une activité pour sensibiliser, informer et former au sujet de la Zlecaf. Au niveau du Cameroun, nous avons été associés par la CEA et sa dynamique secrétaire exécutive Vera Songwe. Comme partenaire, nous allons accompagner, intensifier le message. Nous mettrons à contribution notre portefeuille pour amplifier le message et nous insisterons au niveau de la base. Il faut réussir à faire engager toutes les catégories d’opérateurs (très grandes, grandes, moyennes et petites entreprises). Mais il faut aussi asseoir les projets connexes comme la libre circulation des citoyens à l’échelle du continent et le passeport africain.

Depuis plus d’une décennie, la mobilisation du Refac et la création de la Fotrac ont bien eu pour but l’insertion d’un plus grand nombre de femmes dans les milieux d’affaires et les hautes sphères de prise de décisions. Nous avons touché les instances dirigeantes de nos pays pour encadrer le plaidoyer mené sans relâche par notre organisation. Des réponses appréciables sont arrivées: en premier, celle du gouvernement du Cameroun, siège du Refac; ensuite celle de la CEMAC qui a pris une part belle dans la Fotrac; après, la CEEAC, qui nous a préparés, à travers des séminaires et ateliers, au processus de la Zlecaf et mêmes aux questions de paix et de prévention des conflits depuis 2009.

Madame la présidente, un détail intrigue. Nous avons connu le Refac et la Fotrac qui agissaient pour l’Afrique centrale. Aujourd’hui, le concept embrasse le continent tout entier. L’ambition est devenue trop grande ou il s’agit tout simplement de suivre la dynamique de l’Union africaine?
Nous avons, depuis la création du Refac, parlé d’intégration régionale, paix et sécurité, avec un accent sur la zone CEMAC, progressivement sur la CEEAC et, depuis quelques années, notre attention est portée sur le continent africain. La vision Zlecaf de l’UA nous a donné plus d’ouverture, à savoir la possibilité d’un marché plus large et varié, avec une harmonisation des tarifs douaniers et la levée des barrières non tarifaires.

Ne soyez pas intrigués, nous avons toujours souhaité l’ouverture des barrières et la libre circulation des personnes et des biens en Afrique centrale, car nous restons la sous-région la moins intégrée. Nous recevons donc la Zlecaf sur un plateau en or. Une ouverture de l’espace socioéconomique intra-africain; une belle réponse de l’UA à notre engagement. Nos participations aux différentes activités avec la CEMAC/CEEAC/BAD/CEA nous ont orientés vers ce processus en cours qui nous donne la latitude d’avancer plus loin et plus vite que nous ne l’avions imaginé. L’idéal communautaire et la concrétisation de l’agenda 2063 restent et demeurent notre casus belli.

 

Interview réalisée par
Bobo Ousmanou

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