Choléra à Yaoundé : Cons, bruts et truands autour d’une épidémie
Quand superstitions et science se retrouvent au chevet des malades. Incursion à l’hôpital de l’Église presbytérienne camerounaise de Djoungolo.

Les habitants de Djoungolo (Yaoundé 1er) détestent qu’on dise de leur quartier qu’il est maudit. C’est sans doute leur manière toute philosophique de conjurer l’enchaînement des malheurs. En ce mois d’avril 2023, deux tornades ont délesté plusieurs maisons de leurs toits. Une coupure de courant s’en est suivie. Elle a plongé de nombreux ménages dans le noir pendant plusieurs jours. Ce n’est pas tout: il y a seulement trois jours, on a retrouvé un jeune homme évanoui en pleine journée dans la rue vers le marché. Les passants ont d’abord cru à une gueule de bois, à un coma éthylique ou un excès de joints. Et puis, on s’est rendu compte que cela n’avait rien à voir avec l’herbe ou l’alcool. Cet homme, c’est Valdez N. Ce 19 avril 2023, le récit de sa mère tente de rembobiner le fil d’une vie brisée. «Mon fils est mort. Il avait 37 ans. Il vendait au marché d’Elig-Edzoa et voulait ouvrir une grande boutique», raconte la dame. À l’écouter, Valdez N. est officiellement décédé des suites d’un empoisonnement, «un empoisonnement bien ciblé». Dans son témoignage, un voisin parle d’«une fable sinistre ; puisque pendant ses deux jours de maladie, Valdez N. n’a présenté que différents symptômes difficiles à relier entre eux».
Croyances
Dr Célin Nzambe a reçu Valdez N. Selon le médecin-chef de l’hôpital EPC de Djoungolo, «la vérité a été confisquée, entre déni et ignorance. Elle est occultée par l’omerta d’une famille soucieuse de préserver respectabilité et notabilité au quartier. Valdez a succombé au choléra». Si le dire est tellement important, c’est que différents récits entendus ici à Djoungolo emprisonnent le choléra dans le périmètre d’une simple rumeur. D’ailleurs, selon une proclamation anonyme, «on n’effraie pas les gens du ghetto à l’aide des histoires fabriquées». Ainsi donc, de l’avis de certains riverains, «le choléra est un pur montage». A la jonction de l’incrédulité et de l’insouciance, la maladie est désormais «banalisée». Quelqu’un dit même avoir cessé de la considérer comme un problème neuf. Bien plus, «matraquer l’opinion publique avec des statistiques alarmistes, on connaît ça!», scande une voix féminine, allusion faite au communiqué du ministre de la Santé publique qui fait état de 88 cas notifiés dans 6 centres de santé de la région du Centre. À cette aune, on peut se demander si, dans la population générale, l’image de l’épidémie n’est pas en train de s’effacer, au profit de celle d’un risque de santé quasiment «normalisé», perçu comme faible.
Cartésien
«Et pourtant, recadre Dr Julien Pegnasi Mouliom «cette maladie infectieuse est connue depuis l’Antiquité. Son foyer initial se situe dans la péninsule indienne et depuis le XIXème siècle, elle se répand, régulièrement, sous la forme de pandémies, c’est à dire d’épidémies qui atteignent dans sa presque totalité la population d’une région, d’un pays ou d’un continent. L’incubation de la maladie est assez courte, quelques jours en moyenne». L’épidémiologiste en service pour une ONG américaine à Yaoundé va plus loin. «Le tableau de la maladie comporte classiquement: diarrhées et vomissements. Ces diarrhées sont très nombreuses, abondantes, couleur eau de riz et les vomissements se produisent en jet. L’importance des pertes digestives peut atteindre rapidement plusieurs litres avec, conséquence pour le patient, la sensation d’une soif intense qu’il ne peut satisfaire, l’apparition de crampes musculaires assez douloureuses ainsi qu’un tarissement progressif des urines. Habituellement, le sujet n’est pas fébrile. Faute d’un traitement rapide, il se déshydrate progressivement, les yeux se cernent, en s’enfonçant dans les orbites, la peau se plisse, la tension chute et la respiration devient haletante.
La mort survient en quelques jours dans la moitié des cas, surtout chez l’enfant et la personne âgée», postule Dr Julien Pegnasi Mouliom. «On a beau être philosophe, mais on ne saurait refermer ce qui se passe dans ce quartier, et même dans d’autres, comme on referme une parenthèse. Une épidémie de choléra, au sens de l’OMS, sévit bel et bien ici. Depuis le 16 avril, nous avons reçu une trentaine de malades en provenance d’autres districts de santé de Yaoundé et même de certaines villes voisines. Pour la plupart, ce sont des commerçants; ils touchent de l’argent tous les jours. À l’état actuel, tous présentent des intestins littéralement colonisés par le vibrion cholérique», alerte Dr Célin Nzambe. Comme pour s’adresser à ceux qui ne s’estiment pas concernés par la maladie et pensent que «ça n’arrive qu’aux autres, le médecin-chef de l’hôpital EPC de Djoungolo présente le choléra comme «une maladie qui ne donne pas le temps de mourir lentement, parce qu’elle vous foudroie vite». «En termes de taux de létalité, nous nous situons à environ autour de 6%. Et si, actuellement, c’est difficile d’évaluer précisément la dynamique de l’épidémie, il paraît certain que les contaminations soient à nouveau en augmentation», signale le toubib lors d’une visite guidée dans le pavillon.
Physique et spirituel
Ici, l’hospitalisation des personnes atteintes de choléra se présente à la fois comme une réussite organisationnelle et médicale. Prise en charge gratuite, suivi personnalisé et constant des malades, personnel nombreux, hygiène rigoureuse avec un accent mis sur les méfaits de l’entassement et du voisinage excrémentiel, tout l’espace de l’hôpital sert de terrain d’observation. Voilà pour le package physique. À côté, la pratique active de la prière est encouragée dans le cadre d’un projet de réparation spirituelle après la guérison. En approchant quelques patients, leur silence signe leur souffrance. Parfois, des réponses hésitantes traduisent un besoin d’une main divine. «C’est pourquoi la dimension religieuse s’impose dans une architecture de consolation; nous en avons fait un principe formel dans la prise en charge de nos malades», confesse Dr Célin Nzambe.
La suite, c’est la douleur des familles. En se promenant au sein de l’hôpital EPC de Djoungolo, le visiteur est rapidement frappé par le nombre important de personnes croisées. Selon une infirmière, des rapports de force autour des prises de décision familiales et le diagnostic médical perturbent l’offre des soins. Dans un registre anecdotique, notre interlocutrice nous signale la présence de ceux qu’elle désigne par le terme «personnes floues». À bien écouter, il s’agit des tradi-praticiens et des charlatans. «Quand ils arrivent ici, les guérisseurs honnêtes reconnaissent immédiatement leur incompétence. Par contre, les charlatans se jettent sur cette belle occasion de tromper les familles qui les sollicitent. Ils se prétendent capables de guérir les malades du choléra en quelques minutes», raconte l’infirmière. Une autre anecdote met en vedette un pasteur expulsé de l’enceinte de l’hôpital. L’on raconte qu’en fin de matinée du 18 avril 2023, «l’homme de Dieu», colportant les hypothèses contradictoires et se refusant à tous les raisonnements contraires, s’est fendu en affirmations graves. «Yaoundé est livrée aux empoisonneurs ; j’ai vu des agents secrets de la police jeter des matières infectes dans les marchés…Malades sortez ! Unissez-vous et faites face, y compris par la force, à des autorités qui entendent faire périr le peuple», l’a-t-on entendu dire.
Jean-René Meva’a Amougou