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Cameroun – Gabon – Guinée Equatoriale : La libre circulation embouteillée aux trois frontières

Choses vues et entendues à Abang Minko’o et Kye Ossi le 16 mars dernier, à l’occasion de la célébration de la dixième journée Cémac.

Défilé et visite des postes frontières à Abang Minko’o et Kye-Ossi

1-Abang Minko’o : net recul du business et foultitude d’accusations!
La journée du samedi dans l’arrondissement d’Abang Minko’o – département de la Vallée du Ntem au Cameroun – accorde une place spéciale aux affaires depuis une dizaine d’années. Ce jour-là en effet, il se tient le réputé « Marché mondial ». Haut lieu des échanges commerciaux et de brassage des populations camerounaises et gabonaises, le «Marché mondial » en ce samedi 16 mars 2019 fait la moue. «Les affaires tournent au ralenti depuis bientôt quatre ans » expliquent les commerçants rencontrés à la place du marché. Selon des statistiques fournies par le régisseur du marché d’Abang Minko’o, ses recettes ont chuté de plus de 70% depuis 2017. « Où nous faisions 1.000.000 FCFA en 2016 – 2017, nous faisons aujourd’hui 250.000 FCFA» détaille-t-il. Pour le sous – préfet d’Abang Minko’o, les mouvements de personnes sont partis du millier en 2016 à 150 en début 2019. Mais ce chiffre remonterait progressivement à environ 400 depuis l’arrêté préfectoral du 22 février 2019 instituant un guichet unique, qui facilite la circulation des biens et des personnes dans le « département des trois frontières ».

Au –delà de ce constat unanime de morosité, les avis divergent quant à la compréhension du phénomène. Pour certains commerçants, les tracasseries administratives et la corruption justifient la fuite de la clientèle gabonaise. « Il faut payer entre 2000 et 10.000 FCFA à des agents en poste à la frontière camerounaise. C’est exorbitant et pénalisant pour tout le monde et le business », dénonce –t- on de part et d’autre du fleuve Ntem (frontière naturelle des deux pays).

Les officiels frontaliers accusés ont une autre compréhension de la situation. « La libre circulation intégrale des personnes et des marchandises pousse les commerçants à aller s’approvisionner à l’intérieur du pays, où ils achètent parfois des champs entiers de vivres. Du coup, le « Marché mondial » d’Abang Minko’o cesse d’être la plaque tournante du commerce entre les deux pays », argumente un agent camerounais de sécurité en service à la frontière. Et un autre d’ajouter : « il n’y a plus d’argent au Gabon ; la crise économique a des conséquences sur le pouvoir d’achat des Gabonais ; depuis quelque temps, ils font très attention à la dépense : ils calculent avant d’acheter. Ce qui n’était pas le cas auparavant ».

Qu’à cela ne tienne, le marché d’Abang Minko’o n’a pas totalement baissé la garde. En témoignent ces mouvements réguliers de va- et – vient de véhicules (de tous calibres) gabonais sur le pont du fleuve Ntem, en provenance ou en partance du « Marché mondial ».

2- Kye – Ossi languit, Ebebeyin sourcille !
«La frontière est fermée du côté équato – guinéen depuis le 21 février dernier. Ce qui pourrit la vie à tout le monde ici. Impossible de travailler et d’atteindre ses objectifs». Le cri de cœur est celui d’un douanier camerounais. Comme lui, beaucoup de personnes rencontrées sont aux abois. Commerçants, travailleurs, aventuriers et autres disent sans détour leur ras – le – bol par rapport à cette situation ô combien pénalisante pour la libre circulation et partant pour l’intégration régionale. «Nous constatons que la Cémac c’est sans la Guinée Equatoriale ; puisqu’ils ne respectent pas les lois et règlements de la communauté», regrette un transporteur en activité à Kye – Ossi.

Malgré sa frontière fermée, la Guinée Equatoriale approvisionne Kye – Ossi en marchandises telles que les boissons alcoolisées et non alcoolisées. Sur la tête, entre les bras ou dans un porte-tout, des biens traversent au vu et au su de tous. Des gens arrivent du côté équato – guinéen avec des colis qu’ils remettent (à défaut de traverser eux- mêmes) à des tiers en attente devant le verrou de sécurité installé par la partie guinéenne. La campagne d’information et de sensibilisation à l’occasion de la Journée Cémac aura –t- elle un effet sur les us et coutumes dans ce lieu de passage d’un pays à un autre? Difficile d’être optimiste.

 

libre circulation 

État des lieux par la Commission de la Cémac 

Envisagée depuis 1972 par l’ancêtre de la CEMAC, loin d’être une arlésienne, les dispositions relatives à la libre circulation ne sont pas toutes effectives dans la sous-région.

 

D’après l’Acte Additionnel N°01/13-CEMAC-070 U-CCE-SE du 25 juin 2013, la libre circulation en zone Cemac est désormais effective. En effet, ce texte porte mention de la «suppression du visa pour tous les ressortissants de la Cemac circulant dans l’espace communautaire munis d’un passeport ou d’une carte nationale d’identité en cours de validité et ce à compter du 1er janvier 2014 ». Ainsi, à l’occasion de la célébration de la 10 ème édition de la journée consacrée à la Cemac, il convient de s’interroger sur l’état d’avancement de cette libre circulation. D’ailleurs, le thème de cette édition est « Libre circulation intégrale dans l’espace CEMAC pour la promotion des échanges intra-communautaires ».

Depuis son implémentation en 2014, la libre circulation des personnes et des biens connait des avancées. Le tarif des douanes de la CEMAC a été mis à jour, selon la version 2017 du système harmonisé de désignation et de codification des marchandises. Par conséquent, les prix tarifaires des taxes de la douane devraient être uniformes dans tous les pays, afin de faciliter l’échange intra – communautaire des marchandises. Cette mesure est favorisée par la création, dès le prochain sommet des chefs d’Etat de la CEMAC, du comité régional de facilitation des échanges CEEAC-CEMAC. Puisque, la signature dudit document, imposera à chaque pays membre de créer une commission de facilitation des échanges, conformément à l’article 23. 2 de l’accord de l’OMC, sur la facilitation des échanges.

Pour ce qui est de la circulation des personnes, elle est effective dans la zone CEMAC, depuis le 1er octobre 2017. Date de publication de la déclaration des chefs d’Etat de la Cemac, qui institue « l’application effective et intégrale» dans la sous-région. Dès lors, elle est régie par un ensemble de critères. Pour partir librement d’un pays à un autre, en zone Cemac, chaque ressortissant doit posséder une carte nationale d’identité ou un passeport biométrique. A défaut desdits documents, il est nécessaire, d’avoir le « passeport biométrique CEMAC », document de voyage international des ressortissants de la sous-région.

Par ailleurs, pour une libre circulation sécurisée, les chefs d’Etats ont signé un ensemble d’accords de coopération. Ceux-ci portent sur « l’entraide judiciaire et la coopération policière entre Etats membres ». Aussi, chaque Etat devra mettre à la disposition d’un pays requérant toute personne poursuivie, recherchée ou condamnée pour être jugée. Dans le même ordre, la CEMAC a signé un accord d’assistance sécuritaire avec Interpol le 08 novembre 2013. Ledit accord prendra effet dans les prochains mois.

Il faut noter que cette libre circulation accorde le droit aux ressortissants de la Cemac de se déplacer et de séjourner dans tout autre Etat de la Communauté pour une durée de trois mois. Par ailleurs, les ressortissants des Etats membres de la Communauté qui voyagent ou séjournent sur le territoire d’un autre membre jouissent de tous les droits et libertés reconnus aux nationaux ; saufs les droits politiques. Ils sont tout même tenus de respecter les lois et règlements en vigueur dans ledit Etat.

Joseph Julien Ondoua Owona, stagiaire

 

Mme Dorothy Bekolo, Directrice de l’Intégration régionale au Minepat, membre du Comité Inter- Etats de la Cémac

«La célébration de la journée Cemac a vraiment pris tout son sens»

Quelle est la particularité de la journée Cemac 2019?
Comme vous le savez, le nouveau leitmotiv de l’intégration en zone Cemac est la « Cemac des Peuples ». C’est pour cela qu’avec l’autorisation de notre hiérarchie, nous avons décidé cette année de quitter nos bureaux pour venir célébrer la journée Cemac avec les populations des zones frontalières d’Abang Minko’o et de Kye-Ossi. Nous avons eu une communion très fraternelle avec tous les peuples de la Cemac. La marche que nous avons effectuée à chaque étape symbolise notre désir et notre souhait de voir la Cemac aller de l’avant dans sa dynamique de l’intégration.

A kye-Ossi, la Guinée Equatoriale a décidé de fermer sa frontière avec le Cameroun. Cela vous surprend il?
Au terme de cette journée, il faut d’abord observer que l’intégration sous régionale est une réalité. Certes, la frontière avec le Guinée Equatoriale est fermée, mais les explications que nous avons reçues des autorités de la frontière indiquent que c’est pour des raisons de sécurité. Le chef de l’Etat équato-guinéen effectuait une tournée à travers le pays. C’est le lieu de rappeler que la libre circulation ne veut pas dire absence de contrôle ou de régulation. Le plus important est que tous les chefs d’Etat de la Cemac ont approuvé la libre circulation des personnes et des biens.

Quelle est l’impression que vous gardez après votre visite au niveau des frontières avec le Gabon et la Guinée Equatoriale?
Nous sommes très contents de ce que nous avons vu et vécu à chaque frontière. On a souvent célébré cette journée à Yaoundé ; mais pour cette édition, les participants aux réunions préparatoires ont insisté sur le besoin d’aller à la rencontre des peuples pour toucher du doigt le brassage. D’abord, la délégation qui est venue pour cette célébration est un exemple de ce brassage des peuples, puisqu’elle est composée de toutes les nationalités : Centrafricains, Congolais, Equato-Guinéens, Gabonais, Tchadiens et Camerounais. Ensuite, la population que nous avons trouvée aussi bien à Abang Minko’o, où l’évènement a coïncidé avec le grand jour du « marché mondial », qu’à Kye-Ossi reflète aussi ce même brassage. Je crois que cette année, plus que par le passé, la célébration de la journée Cemac a vraiment pris tout son sens.

Quel est le niveau d’appropriation de cette journée Cemac par la population des trois frontières?
Nous nous sommes rendu compte que c’est une expérience à multiplier. Au niveau d’Abang Minko’o, par exemple, la plupart des gens qui sont venus faire le marché ne savaient pas que cette journée existe ; et lorsque nous leur avons dit que c’est la Journée Cemac, elles se sont spontanément et massivement jointes à nous. Cela montre que de plus en plus, il faudra aller vers les peuples pour qu’ils comprennent et s’approprient effectivement cette dynamique déjà lancée par nos chefs d’Etat. Car nous sommes déjà unis par le destin, nous devons donc avancer ensemble.

 

Handerson Quetong Kongeh, Préfet de la Vallée du Ntem

«Certains pays se préoccupent davantage de la sécurité que des questions d’intégration»

Qu’elle est votre opinion au terme de cette célébration de la Journée Cemac 2019?
Nous sommes très impressionnés de ce qui s’est passé ce jour dans notre département, dans le cadre de la célébration de la 10e édition de la journée Cemac. D’abord par la forte délégation composée du représentant personnel du ministre de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire (Minepat), les représentants des organes communautaires et institutions spécialisées, les associations qui œuvrent pour l’intégration sous régionale, tous partis de Yaoundé à cette occasion pour descendre sur le terrain au niveau d’Abang Minko’o et de Kye-Ossi. Cela tranche avec les années antérieures où la célébration se limitait à Yaoundé.

Vous savez que notre unité administrative est communément appelée « département des trois frontières » en raison des deux pays limitrophes notamment la Guinée Equatoriale et le Gabon. Si l’Etat a permis à tous ces membres de venir ici, c’est pour leur donner la possibilité de toucher du doigt certaines réalités de nos frontières, certaines réalités de la libre circulation des personnes et des biens et la réalité de la promotion des échanges intracommunautaires. En outre, les manifestations organisées ici ont permis à la population de comprendre que cette journée est une fête du peuple. Et ici, dans la Vallée du Ntem, la situation est telle que c’est pratiquement la même ethnie qui vit de part et d’autre des trois frontières.

Comment vivez-vous cette intégration ici au niveau des trois frontières?
Une chose est désormais indiscutable : c’est qu’il y a la volonté politique. Les chefs d’Etat de la Cemac ont pris une décision irréversible et ne ménagent aucun effort pour promouvoir l’intégration économique intégrale de cette sous-région. Mais sur le terrain, il y a encore quelques difficultés. Il ne faut pas ignorer que le Cameroun est le leader de la Cemac et, en tant quel, il joue un rôle de pionnier dans le processus d’intégration. Les nombreuses initiatives prises dans le cadre du respect de la libre circulation des personnes et des biens ou la promotion des échanges intracommunautaires font de notre pays une vitrine en la matière. Tenez par exemple, le gouvernement a institué le passeport Cemac qui est utilisé par tous les citoyens ; mais peut-on en dire autant des autres pays ? De même, les frais consulaires ont été revus à la baisse. Dans notre département, les deux frontières, vers le Gabon et la Guinée Equatoriale, sont ouvertes de 6 heures à 18 heures et la circulation des personnes est sans restriction.

Vous avez parlez des difficultés ; quelques illustrations…
Certains pays se préoccupent davantage de la sécurité que des questions d’intégration. Nos voisins sont d’accord pour la libre circulation, mais je crois que la différence avec le Cameroun est une question de degré. Libre circulation oui ; mais pas à n’importe quel prix en quelque sorte. Et à l’heure actuelle, vous connaissez ce qui ce passe en Guinée Equatoriale. Le président Obiang Nguema Nbasogo effectuait une tournée à travers le pays. Il a donc fallu fermer les frontières terrestres pour lui permettre de se déplacer en toute sécurité.

Vous avez dit que les citoyens communautaires peuvent entrer et sortir sans restriction. Qu’en est-il des marchandises?
Nous nous efforçons d’organiser le dispositif de transit à l’intérieur du Cameroun d’une manière à faciliter la libre circulation des biens. D’ailleurs, la célébration de cette journée arrive au moment où, en liaison avec ma hiérarchie, je viens de signer un arrêté préfectoral pour simplifier, organiser, faciliter la libre circulation des personnes et des biens et promouvoir l’intégration économique de la zone Cemac à travers le désengorgement de la plateforme des frontières.

Comment cela se traduit concrètement?
Jusque-là, il y avait comme un gouvernement au niveau de la plateforme en miniature dans le périmètre des frontières. Selon les usagers, cette situation était source de multiples tracasseries. J’ai donc prescrit la délocalisation de tous les services présents dans le périmètre des frontières, à l’exception de la Douane et des services de l’immigration. Ceci, afin de faciliter les opérations de transit. Les autres services compétents ont été regroupés dans un point commun de dépotage dit « Guichet unique ». Cette mesure devrait rendre le dépotage plus expéditif, limiter les pratiques frauduleuses souvent décriées, réduire les tracasseries. Nous allons aussi réduire les barrières de contrôle d’une quinzaine actuellement à trois de la frontière à Ebolowa. Là encore, je crois que nous sommes en train de donner le bon exemple à nos voisins.

Nous estimons que ces mesures devraient avoir un impact positif sur le climat des affaires. Je crois que le Cameroun sera désormais présenté dans le classement Doing Busines comme le pays ou l’un des pays en Afrique où la libre circulation des personnes et des biens est la plus aisée.

 

Bello Yaouba,

Président de Jeunesse solidaire de la Cemac (JS-Cemac)

« Si la libre circulation n’est pas effective, la jeunesse est handicapée»

«Il faudrait que nos dirigeants en Afrique centrale voient l’intégration comme une nécessité et une opportunité d’enrichissement»

Nous sommes partis de Yaoundé avec beaucoup d’enthousiasme à l’idée de faire une marche entre Kye – Ossi au Cameroun et Ebebeyin en Guinée Equatoriale. Malheureusement, nous avons trouvé que la Guinée Equatoriale a fermé sa frontière avec le Cameroun au niveau de Kye-Ossi. Nous avons discuté avec les gens du coin ; et ils disent que ce n’est pas facile de se rendre en Guinée Equatoriale.

C’est une situation qui intrigue et inquiète parce que ce sont les jeunes qui sont mobiles en permanence. C’est donc cette catégorie sociale qui risque d’en souffrir le plus. Bien plus, la jeunesse représente plus de 70% de la population de la Cemac. Si la libre circulation n’est pas effective, c’est la jeunesse qui est handicapée. Nous souhaitons que nos Etats fassent encore plus d’efforts pour améliorer l’intégration sous régionale. Le prétexte d’un risque des flux incontrôlables de migrants ou d’être envahi que certains pays brandissent est en contradiction avec la mondialisation. L’intégration sous régionale est une opportunité de s’arrimer à cette mondialisation.

Il faudrait que nos dirigeants en Afrique centrale voient l’intégration comme une nécessité et une opportunité d’enrichissement. Nous sommes conscients qu’il y a des préalables, notamment la nécessité de respecter les règles et procédures, mais il ne faut pas que l’application des règles de la libre circulation soit un frein à l’intégration. C’est pour cela que nous nous mobilisons, nous organisons diverses activités de sensibilisation vers les jeunes ainsi que des plaidoyers dans chaque pays de la Cemac pour l’effectivité de la libre circulation des personnes et des biens.

 

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