Archives Camerounaises : une impossibilité à des fins de rédaction du cheminement de l’histoire authentique d’un peuple ?
Il se trouve une soixantaine d’années qu’est mise en route, une immuable politique d’effondrement du fonds des archives nationales en tant que mémoire irremplaçable du mouvement d’un peuple.
Pierre Essomba Mbida , Archiviste professionnelIl convient d’admettre que la répercussion de la tradition orale au quotidien persiste à peser de tout son poids d’antan sur la faiblesse de l’homme camerounais, dans ses élans pour la diction verbale de l’expérience vécue. Il devient inintelligible d’attester qu’après des siècles d’accès à l’écriture, il y a encore ce laisser-aller qui pousse à fouler au pied, les avantages indéniables qu’offre une rétrospective qui fait ressortir la fiabilité de la procédure écrite. En effet, le contenu du vieux document écrit tarde, dans la mentalité locale, à se substituer aux souvenirs d’un grand-père.
C’est ce qui explique d’ailleurs le fait que ce dernier a l’habitude d’utiliser les fractions d’un tel document pour rouler ses cigarettes. La destruction ou la perte des archives anciennes quelle que soit la cote de l’importance de leur contenu vaut le coup d’être la cause d’une indignation générale. A titre d’exemple, il y a eu au cœur des années 1980, une série de combustions au sein des ministères et autres établissements publics du pays, nulle enquête pour fixer l’origine des flammes et statuer sur les culpabilités n’a été concluante.
Car, comme l’appréhende si bien Esther Olembe, Directrice des Archives Nationales en ces termes : « nous savons que les archives sont des pièces uniques, si nous perdons ce précieux matériau, on perd un pan important de l’histoire de notre pays ». Qui pis est, aucun bilan estimatif n’a été dressé pour avoir une idée sur la masse et sur l’intérêt culturel et administratif des documents consumés. Les prétendus accidents d’un décor similaire sont de la sorte devenus, depuis des décennies, monnaie courant aussi bien dans les services centraux que dans les services extérieurs du gouvernement. Y a-t-il lieu de croire, à la vue de tout ce qui est évoqué ci-dessus, que les autorités locales y ont subitement donné la langue au chat.
Le décret n° 2924 du 23 mars 1952 qui crée le service des archives camerounaises a pour mission de « stocker tous les documents écrits pouvant servir et intervenir dans l’histoire du pays ». Il est fondé à croire que la situation, un demi-siècle plus tard, ne fait qu’obéir aux consignes du départ. Le bâtiment qui ne cesse d’abriter le fonds des archives nationales est une vieille bâtisse de l’ère coloniale, construite pour d’autres fins.
C’est comme le déplorent Mbogo Yvette et Ekwe Dorine dans un article paru sur les pages de « Africultures » n° 60 du mois de mars 2004, intitulé : « Archives Nationales : vers l’amnésie », en écrivant : « insectes, moisissures, et poussière détruisent l’histoire du Cameroun. Il faut beaucoup de vigilance à toute personne en quête d’un bâtiment abritant les Archives nationales, une vieille bâtisse porte avec prétention une pancarte sur laquelle on peut lire « Archives Nationales », encore que ces agents biologiques et chimiques sont loin d’être les seuls ennemis saccageurs des documents d’archives historiques dans cet univers.
Par ailleurs, la manière de classer les documents d’archives historiques aux Archives Nationales, n’est en aucun temps sortie hors du cercle d’antiscientifique du coup, le recours à l’improvisation dans ce domaine, n’a jamais été à la hauteur des attentes des chercheurs et autres usagers. L’actuelle image désastreuse des lieux qui tire en longueur, en causant du tort à une possible préservation édifiante du patrimoine archivistique camerounais, est un argument frappant, comme quoi la gestion des fonds d’archives dans un pays n’est pas une affaire des opportunistes, des arrivistes, des béotiens qui méconnaissent l’argot du métier et sont veufs de déontologie professionnelle, des individus qui ont le secret d’avoir la prudence du serpent pour dorer la pilule, sur le champ de cette activité, aux autorités locales apparemment crédules, afin de se parer des plumes du paon dans un but avéré, celui de travailler à miser sur tous les tableaux.
En effet, le gros du travail archivistique se fait au sein des organismes producteurs des archives publics ou privés, où l’on installe des postes ou des centres de préarchivage. Il s’agit, pour l’archiviste en service, de veiller sur un mécanisme de contrôle des papiers qui s’étend de la création à la perte de leur rôle administratif, de manière à pouvoir réunir dans une seule chemise ou dans un seul carton, la totalité des documents ayant servi à l’aboutissement d’une seule affaire. Car, la valeur intrinsèque des archives porte sur les preuves et en aucun cas sur les éléments de preuve. Un fonds d’archives éclaté ou conservé en vrac perd l’essentiel de son intérêt scientifique or, aucun ministère en activité dans nos murs ne jouit, jusqu’à ce jour, des atouts d’un poste de préarchivage.
La formation des archivistes à l’Esstic de l’Université de Yaoundé 2 est tenue, depuis des décennies, par des « docteurs omniscients » qui s’accaparent à ce titre, des programmes de toutes les offres pédagogiques de l’enseignement supérieur dans ce pays. Ils dispensent à cette occasion les cours qui se focalisent sur l’usage du « tableau de tri » dont les instructions y relatives abondent, non pas dans leur qualité de puits d’érudition, plutôt sur des prospections incessantes à l’internet et pour cause ! Des milliers d’archivistes assermentés sculptés dans cette galerie, malgré leur bonne volonté, enfilent des perles dans leur lieu d’affectation, du fait d’être incapables de remplir les tâches pour lesquelles ils ont été choisis, et la rareté sur le terrain des archivistes expérimentés, ne cesse de nourrir les ambitions des « docteurs omniscients » tout à fait ravis de se remplir les poches de la sorte !
Qui plus est, Le public n’a jamais chercher à connaitre pourquoi les actes actuels de prévarication commis en série par les membres du gouvernement et autres hauts responsables de l’Etat, n’étaient pas aussi spectaculaires durant l’ancien régime du président Ahmadou Ahidjo. Ce n’est pas parce que le président Paul Biya est incompétent, seulement, en se débarrassant de la Direction des Archives Nationales rattachée au Secrétariat Général de la Présidence de la république depuis la publication du décret n° 73/1 du 03 janvier 1973, en tant que l’œil du maître, pour la placer au Ministère de la Culture, il a de la sorte perdu l’usage rituel d’un excellent outil d’un contrôle autoritaire pour que les membres de son gouvernement se tiennent bien à table.
La seule source de renseignements qui s’impose à lui en compensation à l’heure actuelle, c’est celle qu’il ne peut fortuitement couper le fil bien qu’elle soit décriée, en toute sincérité, par la jérémiade d’une population se sentant abusée, à savoir : « le président Paul Biya n’écoute que ses collaborateurs qui ne lui disent pas la vérité ». Le Ministre des Arts et de la Culture à qui revient, en désespoir de cause, l’impératif devoir de donner carrière à l’emploi rentable des archives, à l’âge actif et semi-actif dans un organisme, même s’il ne lui est pas donné la facilité de tenir le bon bout, il s’endort sans rime ni raison sur le rata !
En résumé, les Archives Camerounaises constituent, en principe, une source primordiale d’inspiration à des fins d’écriture de l’histoire du pays mais, dans le contexte actuel, celles-ci n’existent que par ce nom. Même les plus talentueux des historiens camerounais ou africains s’y prendront les pieds dans le tapis et finiront par jeter la manche après la cognée.
Pierre Essomba Mbida
Archiviste professionnel