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Bernard Njonga: Un «paysan» dans le champ de la présidentielle

Le candidat qui se positionne comme celui du monde rural, a bâti son arsenal idéologique sur le « comment faire décoller le Cameroun par l’agriculture ». Portrait.

«Dans la filière agropastorale,depuis le 28 juillet 2018,l’actualité est dominée par le projet d’accord-cadre entre le Cameroun et la France, fixant la coopération dans le domaine de l’enseignement et de la formation agropastorale et rurale». Pour quelqu’un qui s’improvise présentateur du journal télévisé, Bernard Njonga veut vite savoir si son test est concluant. A un angle de son bureau, où trônent des ouvrages sur José Bové, il se tient droit, sérieux, presque sévère.

Il pose des questions sur sa voix, son débit, sa maîtrise de l’actualité et sa manière de la rendre. Il ricane à l’idée qu’il vient de pécher en valorisant uniquement «l’info agricole». «C’est mon affaire: l’agriculture et le monde rural», justifie-t-il joyeusement ce 11 juillet 2018, devant un jury tout aussi improvisé. Et puis, le sourire se crispe, comme si l’homme se rend compte de la violence du vocabulaire. Il cherche un mot dans lequel il se retrouve mieux. «Je suis paysan, parce que je n’exploite personne, mais bien au contraire je coopère avec la vie», soutient-il en bon avocat de lui-même.

Ecce homo

Cette posture est comptée à l’aune de ce qu’il est ou de ce qu’il semble être: «versatile», «conséquent», «bateleur», «sympathique»… A 63 ans, on le dit oublieux des traîtrises, les siennes et celles des autres. En tout cas, certains parmi ses amis renseignent que, très souvent, Bernard Njonga plaide pour «les coups au foie plutôt qu’au menton», parce qu’ils atteignent plus profondément que les uppercuts classiques de la politique. Et comme ils le connaissent trop bien, ils le voient parfois flotter, se tromper, se détourner. Et s’excuser. Car Bernard Njonga ne se justifie pas, ou si peu ; il élude et passe à autre chose. La vie, c’est la vie. «Ces amis-là ont raison», plaide l’ancien «pousseur».

D’autres craignent pour sa candidature, tant celle-ci est assise sur un parcours d’actions d’éclats et une inexpérience gouvernementale. «Au moins, cela en fait à coup sûr, un animal politique sans précédent dans l’histoire du Cameroun», abrège Jean-Paul Kameni, un observateur de la scène nationale. Mais, le candidat peut compter sur le parti sous la bannière duquel il se présente à la présidentielle: le Crac («Croire au Cameroun»). De cette formation, le président qu’il est esquisse une définition: «c’est la simple émergence d’une nouvelle génération composée de profils venant d’horizons différents, rassemblés autour d’un homme et d’un projet, déterminés à refuser la reconstitution des schémas du passé et animés par le pragmatisme, ce que certains appellent aussi, tout simplement, «le bon sens».

Campagne

Là-dedans, assure-t-il, le tout n’est pas de pourfendre régulièrement le «système politique» actuel, même si on dénonce sa vacuité. A ceux qui soupçonnent quelques accointances avec le «système», Bernard Njonga invite à un tour d’horizon de ses soutiens actuels. A l’en croire, ceux-ci dessinent, au contraire, le profil d’un candidat n’ayant aucune entrée dans les sphères dudit «système».

Tout cela donne un inventaire structuré et alimente sa campagne présidentielle. Avant le 28 janvier 2018, date d’officialisation de sa candidature au scrutin du 07 octobre prochain, ce fils des Grassfields insiste sur les valeurs paysannes héritées de sa famille, pour défendre une agriculture adaptées aux défis agro-alimentaires du pays. D’ailleurs, «Trente ans de lutte citoyenne, Je continue…», l’ouvrage qu’il commet en 2016, tente de rapprocher entre elles, toutes les pièces d’un vaste puzzle pour montrer que tous les enjeux liés à l’agriculture, à l’alimentation et au développement du Cameroun sont interconnectés. «Ce document est un agréable et fort réussi cocktail de tous les genres. Il raconte de petites histoires sur la Grande Histoire du monde agricole camerounais. Sinon, il aurait pu être raté», commente Mahama Mbeunoun, homme politique et critique littéraire.

Un programme et une vision

Et avec ça, Bernard Njonga est sûr de lui-même. Pas replié sur ses secrets, il dit faire de la politique «autrement». Selon lui, «ceux qui s’amusent de la chose politique et ceux, il y en a de plus en plus -il suffit de soulever une pierre-, qui causent de la vie de tous les jours: slip, chaussettes, femmes, maris, maîtresses, amants, ex, belle-mère font une politique au goût écœurant, au bout de laquelle une candidature précède le programme, alors que la logique imposerait l’inverse».

Belle brèche pour brandir ses «40 mesures pour faire décoller le Cameroun par l’agriculture en 5 ans». «Du concret, un projet économique soigneusement concocté depuis des années par notre parti». L’affaire ne se limite pas à des effets de manche dans des salles de réunions et devant des auditoires conquis d’avance. «C’est du fond!», martèle l’ingénieur agronome. Et le fond ici, contrairement à la fable du laboureur et de ses enfants, c’est bien ce qui, à son avis, manque le plus aux politiques publiques promues par les énarques aux commandes.

«Regardez, le prestigieux ministère de l’Agriculture qui fut longtemps la clé de voûte de la politique économique nationale, ne dispose plus d’aucun pouvoir maintenant. Qui sait mieux que les victimes de cette politique suicidaire, qu’un pays qui se désindustrialise déplore ensuite une augmentation du déficit commercial, du chômage et de la précarité, de la dépense publique et de sa dette ?», s’interroge-t-il. Pour cela, il estime qu’une posture politicienne pointant du doigt les conséquences est inopérante et il convient de s’attaquer prioritairement aux causes de la pauvreté.

Grosse raison pour se présenter comme le candidat de l’optimisme et du volontarisme, celui du «nouveau monde» contre le «monde d’hier». Cela se fait sur plus de 200 pages d’un interminable discours. Les mots sont la base idéologique politique et une vision à long terme. Ses militants et lui-même disent qu’ils avancent en douceur. Ils ont pris tout leur temps pour développer leur stratégie de conquête politique, et s’adaptent à l’environnement… Aujourd’hui, leur joker sait qu’il ne rassemble pas tous les Camerounais mais se positionne comme le représentant de l’ensemble des paysans. C’est ce qu’il souhaite insuffler à l’opinion avant et après le scrutin du 07 octobre 2018. Dans cette dynamique, Bernard Njonga affirme qu’il y a une vraie stratégie.

Jean-René Meva’a Amougou

 

A propos de l’intégration

Le candidat du Crac est formel: Le Cameroun traverse une période de questionnement profond sur son leadership sous-régional. «C’est la conséquence tardive d’une vision diplomatique qui a privé le pays de continuité stratégique», valide Bernard Njonga. Et de fait, l’intégration sous-régionale n’apparaît, à ses yeux, que comme un terme de plus dans le balancier permanent entre repli égoïste et aventurisme messianique.

Du point de vue du candidat du Crac, un nouvel équilibre sous-régional n’est pas évident à cibler. Mais il faut anticiper et redonner au Cameroun les moyens d’y faire face. Cette approche invite à s’appuyer sur les capacités d’initiatives des entrepreneurs camerounais en leur redonnant un système financier doté d’un marché libre de taux. C’est-à-dire dont le fonctionnement ne serait plus biaisé par une politique monétaire administrant de facto les taux ; c’est-à-dire aussi avec des acteurs surveillés, et non plus administrés, au moyen de procédures normalisées. Ce marché libre est le seul système éprouvé pour sélectionner les bons projets d’investissement.

Sur le chapitre de l’intégration nationale, «ce bidonnage sémantique alimente l’insatisfaction des populations paysannes camerounaises autrefois aisées qui se voient de plus en plus coincées par la double concurrence des populations pauvres, rendant irréversible leur éviction».

Jean-René Meva’a Amougou

Bio-Express 

• Date et lieu de naissance : 18 octobre 1955 à Bangoua (Ouest-Cameroun)
• Nationalité : camerounaise
• Formation : ingénierie agricole
• Carrière : Après ses études universitaires, il devient un fonctionnaire camerounais en tant qu’assistant de recherche à l’Institut de Recherche Agronomique pour le Développement (IRAD). Après trois ans de service, il démissionne en 1987 de la fonction publique.
Vers les années 1980, il crée l’organisation non gouvernementale Service d’appui aux initiatives locales de développement (SAILD) qui publie le journal La Voix du Paysan
Ami de l’altermondialiste français José Bové, il a dénoncé les détournements de fonds dans la filière maïs ou l’introduction des OGM lorsqu’il dirigeait l’Association citoyenne de défense des intérêts collectifs (Acdic).
Bernard Njonga est également Secrétaire général du réseau Dynamiques africaines et porte-parole de la COSAC (Coalition pour la souveraineté alimentaire du Cameroun). En 2004, il a fait campagne contre l’importation de l’excédent de cuisses de poulets surgelées en provenance d’Europe.
Il se déclare candidat à l’élection présidentielle de 2018 au Cameroun pour le Croire au Cameroun (Crac), parti politique qu’il a fondé et dirige.

• Ouvrages :
2016-Trente ans de lutte citoyenne, Je continue… (collection Osons Esemble)
2012-Pauvre paysan, «voyage au cœur d’une campagne»
2008-Le poulet de la discorde
1998-Recueil des fiches techniques de l’entrepreneur rural (tomes 1 et 2)
1992-Cheminement démocratique des organisations paysannes
1994-Financer les organisations paysannes sans les étouffer

 

 

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