Manœuvres: Paul Biya investi sans l’avis des militants du RDPC

Aidé par quelques caciques et des textes taillés sur mesure, le président sortant a réussi à s’imposer une énième fois comme candidat du Rassemblement démocratique du peuple camerounais à l’élection présidentielle du 07 octobre.

Le président national du RDPC

«Paul Biya, candidat naturel du RDPC». La formule rappelle le parti communiste soviétique et tranche avec l’image d’un homme «moderne voire futuriste» (pour citer Jacques Fame Ndongo) que le président sortant, 85 ans dont 35 passés à tête de l’Etat, se donne du mal à se construire. Au RDPC, son parti, l’expression agace beaucoup même si seuls quelques courageux osent l’avouer. Saint-Eloi Bidoung est le sacrifié qui accepte d’en parler à visage découvert. «Le président Biya aurait dû être adoubé lors du congrès du parti», indique-t-il.

Pour le 1er adjoint au maire de Yaoundé 6, invité éclair de Policam, l’émission politique de la RTS, une radio urbaine de Yaoundé, cette investiture sans congrès frise le «déni de démocratie». Sur la masse de militants revendiquée par le parti, c’est en effet une vingtaine de caciques, réunis au sein du bureau politique, où on entre sur proposition ou par nomination du président national (voir article 26 des statuts du RDPC), qui a investi Paul Biya comme candidat de cette formation politique à l’élection présidentielle du 07 octobre 2018.

Tout s’est joué en cette matinée du 03 novembre 2016. Convoqué au palais de l’Unité, «le saint des saints», comme il se fait appeler, proroge le mandat de Paul Biya comme président national du RDPC et donc fait de lui le candidat du parti au pouvoir à la future élection présidentielle. Il faut savoir que, selon l’article 27, alinéa 3, le président national «est le candidat du parti aux élections présidentielles».

Désir d’éternité

La décision du bureau politique est prise «conformément à l’article 18 des statuts du RDPC», justifie la présidence de la République du Cameroun. Mais rien n’est vraiment clair à la lecture de cet article. «Le congrès définit l’orientation politique, économique, sociale et culturelle ainsi que le cadre général de l’action du Parti. Il se tient tous les cinq ans. Toutefois, en cas de nécessité, cette période peut être abrégée ou prorogée par le bureau politique.Il peut être convoqué en session extraordinaire dans les conditions fixées à l’article 22 des présents statuts», indique-t-il. «Comme le congrès élit le président national, c’est donc de manière incidente que le bureau politique étend son pouvoir à la prorogation du mandat du président national», explique un cadre du parti.

Mais à bien lire les textes du RDPC, Paul Biya est candidat à vie de cette formation politique car élu à vie président du parti, un peu comme le sont les membres du comité central dont les mandats ne sont pas renouvelés. C’est que l’article 19 des statuts de ce parti indique que «le congrès élit le président national du parti, les membres du comité central au scrutin de liste et les membres suppléants du comité central», sans préciser pour combien de temps.

Jacques Fame Ndongo est d’ailleurs formel: «il y a aucune disposition qui limite ce mandat», affirme ce membre du bureau politique et secrétaire national à la communication du RDPC en mi-septembre 2016 alors que le débat fait rage sur la nécessité de la tenue d’une convention du parti. La preuve, lorsque Paul Biya convoque la réunion du bureau politique ce 03 novembre, il y a plus de 5 ans que s’est tenu le dernier congrès qui l’a réélu. C’était précisément les 15 et 16 septembre 2011. Paul Biya sera le candidat du RDPC «à toutes les autres élections présidentielles (futures) jusqu’à ce que lui-même en décide autrement», indiquait en juillet 2011, le ministre de l’Enseignement supérieur.

Manipulations

A quoi a donc servi la prorogation du mandat du président national par le bureau politique ? «A envoyer le messager que le patron est toujours partant et à déclencher l’avalanche d’appels en faveur de sa candidature», confie une source. D’ailleurs, au sortir de cette réunion, les membres du bureau politique ont, dans une motion commune, invité Paul Biya à être «le candidat du RDPC à la prochaine élection présidentielle».

Ce sont ces appels que Paul Biya utilise ce 13 juillet pour donner une certaine légitimité à sa candidature. «Chers compatriotes du Cameroun et de la diaspora, conscient des défis que nous devons ensemble , relever pour un Cameroun encore plus uni, stable et prospère, j’accepte de répondre favorablement à vos appels pressants», prétexte le président sortant avant d’ajouter: «Je serai votre candidat à la prochaine élection présidentielle». «Paul Biya est candidat depuis longtemps», affirmait pourtant Grégoire Owona, secrétaire adjoint du RDPC, dans le quotidien Le Jour, édition du 11 juillet.

Aboudi Ottou

Déclaration de candidature

Entre good buzz et bad buzz

Dans l’opinion publique locale et la diaspora, l’annonce provoque des réactions ultra-négatives et ultra-positives.

 

Décidément, «Dieu ne descend pas sur les marchés». C’est en tout cas ce que démontre encore Paul Biya. Plutôt que d’annoncer sa candidature au cours d’une conférence de presse ou d’un meeting politique, l’actuel chef de l’Etat préfère le costume du président se voulant (très) au-dessus de la mêlée, «jupitérien» comme les éléments de langage veulent l’imposer. En un tweet, un peu à la façon Donald Trump, «l’Homme-Lion» se dédouble pour réussir son coup de com’.

Performance

Dans la mousse médiatique qui escorte l’affaire, il y en a un qui confirme le changement d’époque. Ce 13 juillet 2018, en ouverture du 13 heures de l’antenne radio de la Cameroon Radio Television (CRTV), Charles Ndongo estime que Paul Biya a surpris tout le monde. «Toute la toile s’est littéralement embrasée», constate l’éditorialiste. Cela sonne juste: dimanche 15 juillet en mi-journée, 581 commentaires, 623 retweets et 941 j’aime font crépiter le compteur présidentiel.

«Aucun autre candidat à la prochaine présidentielle ne peut se vanter d’une telle performance. Surtout que là où les autres crantent avec de l’aspérité, lui y parvient grâce à des éléments concrets de son programme», évalue Jean-Baptiste Atemengue. A ce militant du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) d’en fournir la preuve par le tweet présidentiel: «Conscient des défis que nous devons, ensemble, relever pour un Cameroun encore plus uni, stable et prospère». «Et le flot est loin de s’arrêter», projette Charles Atangana Manda, le chef de la division de l’observatoire des médias et de l’opinion publique au ministère de la Communication.

A l’observation, il se passe un «jeu»: les supporters de Paul Biya attaquent dès qu’on s’en prend à leur candidat ; parfois ils se limitent à relayer les messages positifs, ils arrêtent de répliquer sur les polémiques. Une série d’utilisateurs particulièrement mobilisés tente ainsi de faire vivre les propositions de leur candidat sur les plateformes sociales. Le tempo vient de la diaspora, précisément de la section RDPC Afrique du Sud: «100% Paul Biya notre joie aujourd’hui est débordante, nous avons reçu le plus beau cadeau de notre Champion et Candidat Président Paul Biya, Merciiiiii mon Champion», dixit Pouokam Messy.
Ailleurs, on lit: «Hum, grand-père, si c’est la volonté de Dieu alors que sa volonté soit faite, mais il faut que tu saches, nous le bas peuple on subit, alors si tu peux modifier le système en place et mettre un système plus favorable et équitable, beaucoup de courage car les enjeux sont énormes», tempère Giresse Belinga.

Boulets rouges

Et comme l’on peut s’y attendre, en déclarant sa candidature via tweeter, Paul Biya semble agacer ses poufendeurs, affichés sur la page présidentielle. A l’instar d’Arthur Owono qui croit au canular: «J’espère que c’est un fake news», dit-il en guise de commentaire. Pour d’autres, ce n’est plus l’information qui compte mais le personnage au centre de l’information. Cela se lit dans la diaspora, pourtant ciblée par Paul Biya. «Je suis camerounaise, mais je ne me rappel pas avoir sollicité votre candidature.

Précisez souvent que vous répondez à l’appel d’un clan de vieillards, antipatriotes. Tous responsables de l’échec de ce pays. Vous voulez organisez les élections, mais refusez de régler la crise», avise Anne Doris. «C’est drôle, on dirait que ce monsieur n’écoute le peuple qu’une fois tous les 7ans et sur un seul sujet, sa participation aux présidentielles. Une fois élu, il redevient le premier sourd du pays pour 7 ans», ajoute Rostan TC.

Jean-René Meva’a Amougou

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