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Cameroun: la fête de l’unité à l’épreuve de la crise anglophone

Le titre de ce texte introductif est également la trame du dossier que la rédaction de votre journal publie en cette édition. Le contexte de la célébration du 46è anniversaire de l’avènement de l’Etat unitaire suite au référendum du 20 mai 1972 a décidé votre journal à rendre compte du jeu des différents acteurs en présence, aussi bien dans les parties anglophone que francophone, en passant par les représentations diplomatiques. Entre matraquage idéologique, culte de la personnalité, protestations ostentatoires inédites d’une poignée de défilants, affrontements armés dans la partie anglophone, manœuvres des chancelleries ou participation remarquable d’un carré de soldats nigérians au Boulevard du 20 mai à Yaoundé, le Journal Intégration vous promène en toute neutralité. Lisez plutôt. 

La tribune présidentielle lors du défilé du 20 mai 2018.

Au Boulevard du 20 mai 1972

Entre célébration de l’unité et culte de la personnalité

Qui du Cameroun ou de Paul Biya était à l’honneur à l’occasion de la 46è fête de l’unité du pays ? La question n’est pas dénuée de sens, en s’en tenant à la parade militaire et civile  sous l’aiguillon de la CRTV.

«Le 20 mai est l’un des générateurs incontestés de nombreuses émotions positives, dont le bénéfice est reconnu sur le chantier de la consolidation de l’unité nationale». Il ne fait aucun doute que, commentant pour le compte de la radio à capitaux publics (CRTV), un reporter a accueilli, à sa façon, la nouvelle limousine présidentielle.

Aperçue pour la première fois le 20 mai dernier au Boulevard éponyme, le flamboyant véhicule est venu s’inscrire dans l’étreinte spectaculaire du défilé cette année. A peu de choses près, cette «nouveauté» est venue dissiper la déconvenue vécue, il y a quelque temps, au cours de pareille occasion. En ce jour du 20 mai 2018, il y a dans le phrasé du commentateur, comme une résonnance de réparation d’un couac. En fait, sur ce coup-là, tout est à la portée de la compréhension de tous pour donner le ton du reportage.

Tout à la fois

La ligne de force qui, d’emblée, agit sous l’œil d’un caméraman de la CRTV, est celle de Paul Biya face au drapeau de la République. Dans un contexte sociopolitique abondamment explicité par les reporters de la télévision nationale, la séquence draine, selon eux, un gothique  héritage transmis comme un patrimoine précieux. En s’inclinant, il est dit du chef de l’Etat qu’«il a ratatiné les têtes et les cœurs». Plus loin, on entend: «Pour qui connaît les codes de convenance en pareille circonstance aurait pu dire que se tisse, sous un nouveau jour, une nouvelle  histoire des relations entre le président de la République et ce symbole républicain».

Bien que cela soit inscrit dans une logique convenue, on ne peut s’empêcher d’évoquer une dose d’ingéniosité, voire d’ingénierie déployée par ce carrousel médiatique. Belle symphonie qui a pu rythmer la revue des troupes. Instant condensé dans un commentaire: «l’attitude présidentielle est servie par trois qualités rarement réunies : une démarche sans jargon, une connaissance méticuleuse des vrais problèmes du pays et un sens du dialogue politique sans faux-semblant», même si les passages du SDF et du Mrc ont montré un président différent.

Au pas !

Et que dire de l’armée et autres corps para – militaires ? Par-delà les multiples interprétations de leurs expériences respectives, le 20 mai 2018 donne à tous l’occasion d’exprimer et de souligner la confluence de leurs histoires propres comme celle de la grande histoire du pays. «Bien sûr, ils se pensent comme pris dans une série d’épreuves parallèles et comme le relève souvent le président Paul Biya, c’est la communauté de ces épreuves qui dessine l’être-ensemble et le vivre-ensemble au sein de ces corps», commente, pour le compte de la télé nationale, un haut-gradé.

Et sur le fil du défilé militaire, pas de changement de tonalité…même dans les airs. Dans une embardée bien construire, la flotte aérienne n’a cessé de renauder, à sa manière, le thème de l’unité du Cameroun. Porté par un même élan que les troupes pédestres, les appareils des forces aériennes configurent un ciel aux couleurs du Cameroun. «Le tout est à mettre à l’actif du président Paul Biya, chef suprême des forces de défense», ajuste-t-on aussitôt.

Instant civil

Au Boulevard du 20 mai, la politique se dit essentiellement au pluriel. Pour ce faire, les militants du RDPC (Rassemblement démocratique du peuple camerounais) semblent s’être regroupés au sein de carrés chargés d’inventer des preuves que Paul Biya reste «le meilleur choix». Ce slogan-là a investi les domaines les plans variés des caméras, avec en bonus, des pancartes portées contre «les ennemis de la paix». A titre d’exemple: «Paul Biya assomme le coup de grâce à la division» ; «Quel bilan pour les diviseurs ?» ou encore «le vivre-ensemble à sang pour sang».

De leur côté, les jeunes des grandes écoles (Enam et INJS notamment) semblent s’être passés le mot pour un usage responsable des réseaux sociaux dans un environnement balloté par les appels à la division, non sans y mettre du «Paul Biya». «Président Paul Biya: «Jeunes, Internet c’est un boulevard d’inepties», a-t-on pu lire sur une pancarte de l’INJS. Comme pour oser le vrai diagnostic, les étudiants de l’Enam ont brandi que «le grand roman national ne s’écrit pas sur watshap et facebook. Dixit Paul Biya».

Jean-René Meva’a Amougou

SDF et MRC, insoumis du 20 mai

A Yaoundé et dans certaines autres localités du pays, ces formations politiques ont marqué l’événement par des attitudes controversées, afin, disent-elles, de baliser un autre espace de solution de la crise anglophone. D’autres ont simplement fait le choix du boycott.

On pourrait penser que la paix, la démocratie ou encore la crise anglophone, tels que clamés, réclamés ou exposés au cours des précédentes éditions de la fête de l’Unité au Cameroun ont pris une couche supplémentaire de sens cette année au Boulevard du 20 mai 1972 à Yaoundé. A elle seule, l’actualité sociopolitique a fait naître un tissu d’images, gracieuses ou simplement audacieuses en ce lieu symbolique.

A décrypter les passages du Social Democratic Front (SDF) et du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), il est incontestable que ces deux appareils politiques (opportunément porte-paroles des zones anglophones) avaient tous en commun, plus ou moins confusément, un certain nombre de convictions qui permettent de mieux les catégoriser par rapport à la crise anglophone.

Et le 20 mai dernier, leur passage devant Paul Biya a pris les contours d’un aveu public de leurs angoisses relativement à ce qui se passe au Nord-ouest et au Sud-ouest du Cameroun. Sur la place du défilé, ces deux partis politiques ont choisi de manifester leur ras-le-bol aux autorités de Yaoundé, relativement à «la gestion très calamiteuse de la crise dans ces régions».  De fait, pour parler symboliquement à Paul Biya, les partisans du Chairman Ni John Fru Ndi et du Pr Maurice Kamto n’ont pas circonscrit l’élan de leurs émotions.

Lors de leurs passages respectifs, l’on a aperçu des défilants au torse nu pour le cas du SDF et les bras sur la tête en signe de deuil pour le MRC. Tous adressaient des  incantations bruyantes et des appels débridés. Là encore, ont-ils scandé,  c’est en réaction contre le chef de l’Etat. Les militants du SDF et ceux du MRC accusent Paul Biya d’avoir perverti le débat, et surtout d’avoir oublié que «le rêve d’unité nationale a pris l’allure d’un pari démodé du fait de la crise anglophone». Pris dans leur globalité et leurs modes d’expression, leurs messages disent clairement que l’antienne de l’unité nationale ne suffit plus comme poncif à la résolution du problème.

Pour certains observateurs, il est tout aussi possible que le SDF et le MRC aient opté pour un usage stratégique la 46ème édition de la fête de l’Unité. «En cette année électorale, pense le Pr Eric Mathias Owona Nguini, tout levier capable de subvertir les paramètres politiques est actionné avec une plus grande solennité par ceux qui aspirent à la victoire à la prochaine présidentielle».

A en croire le socio-politiste s’exprimant ce matin sur la radio urbaine Magic Fm, ce qui s’est passé à Yaoundé est la preuve que la fête de cette année a été l’espace d’expression de forces contraires qui se disputent l’opinion nationale à la veille du scrutin. Il en est ainsi de ceux qui, à l’instar du Cameroon People’s Party (CPP) de Edith Kah Walla, ont délibérément choisi de se tenir à l’écart de toute civilité républicaine liée à l’événement.

Les sécessionnistes n’ont pas hésité à mettre à exécution leurs menaces d’un 20 mai à feu et à sang dans les zones anglophones du pays. Ils ont en effet fait flotter au-dessus des populations de cette partie du pays un vent de déstabilisation et de terreur. On ne peinerait que difficilement à l’établir au regard de certains faits: enlèvement d’une autorité administrative dans le département du Lebialem ; incendie perpétré, le même jour, au poste de police d’Ekona (département du Fako, region du Sud-ouest) avec à la clé au moins deux morts ; affrontements larvés entre l’armée et les sécessionnistes à plusieurs endroits du Sud-ouest.

Jean Réné Meva’a Amougou

 

Unité nationale, intégration nationale, vivre ensemble

Les Camerounais perdent leur latin

Dissemblables dans la réalité qu’elles incarnent, les notions en question tendent à la réalisation d’un objectif commun. Comprendre !

Des étudiants scandant des slogans sur le vivre ensemble.

Au plus fort des tensions dans les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest, le débat sur la forme de l’Etat camerounais a très vite exhumé les critiques sur l’appartenance commune à un pays appelé Cameroun. Pour atténuer voire dominer cet envenimement de l’opinion, la riposte consiste à exacerber les déterminants de la communauté nationale.

Face à un emploi régulier, il est utile de préciser l’étendue de chacune des notions suivantes : unité nationale, intégration nationale, vivre ensemble. Confusions et incompréhensions jalonnent leur usage depuis la montée en puissance du débat sur la forme de l’Etat.

I- Résoudre les cloisonnements à différents niveaux
La réalisation d’une communauté nationale exige la convergence sur plusieurs fronts de ce dessein. Aux plans ethnique, territorial comme sentimental, il est question d’adapter des réponses «multimodales» à une dynamique unique. L’unité nationale, pour l’expert statisticien Dieudonné Essomba, renvoie à «la qualité des interactions qu’entretiennent les divers segments d’une communauté nationale, individuellement et collectivement, dans leurs activités civiles et citoyennes : mariages, transactions diverses, associations, etc.»

Pour lui, c’est donc la symbiose entre les entités ethniques. Sa finalité est de «créer un citoyen unique et des Camerounais sans différence aucune, surtout tribale», ajoute Joseph Ntigui, chercheur en philosophie à l’université de Yaoundé I. Charly Atchom, chercheur en science politique, illustre temporellement ce point de vue: «l’unité nationale émerge avec la crise de Boko Haram, s’intensifie avec la crise anglophone et vise la domestication des particularismes ethniques par une identité camerounaise construite par l’Etat».

Quant à l’intégration nationale, elle est la dévolution de l’ensemble des corps sociaux à une entité supérieure commune. Mais aussi le processus qui «favorise la collaboration harmonieuse des différentes segments sous une entité supérieure» analyse Charly Atchom. Dans son ouvrage Pour le libéralisme communautaire, Paul Biya considère que la construction d’un réseau routier qui désenclave et relie les villes permettant la circulation, sans discrimination, des camerounaises et des camerounais sur l’ensemble du territoire national, est un catalyseur de l’intégration nationale.

Le vivre ensemble est le sentiment d’une appartenance à un destin commun. D’où le terme «communauté de destin» qui est récurrent. Pour Joseph Ntigui, c’est le pan axiologique qui fait référence aux valeurs communes, à une vision commune. Et d’ajouter, «on parle ici d’une morale ouverte et inclusive». Et même à une histoire commune (origines, ancêtres) comme le soulève le Pr. Daniel Abwa. Moins opposés, les concepts sont plus des notes au service d’une même musique.

II- Un objectif commun : l’identité camerounaise
La construction de l’identité camerounaise est le nœud qui donne une connexion aux trois concepts. Pour Charly Atchom, Intégration et unité nationales sont au service du vivre ensemble dans l’opérabilité de la communauté camerounaise et de son identité.

C’est dire que la dématérialisation culturelle et les interconnexions des peuples et des territoires sous la bannière d’une nation sont les meilleures braises du sentiment d’appartenance à une nation et à une histoire. Ceci pour une reconnaissance mutuelle et pour un contenu concret à la réalité camerounaise.

Au demeurant, Dieudonné Essomba pense que les occurrences sémantiques analysées consolident la dévolution à un Etat unitaire. Car, estime-t-il, «la nation camerounaise est unie et n’a plus besoin d’une unité nationale. Par contre, c’est l’Etat qui est le problème, dans sa prétention morbide à effacer l’hétérogénéité naturelle du Cameroun, autrement dit, l’histoire quelquefois multimillénaire de nos communautés, pour fabriquer son peuple à lui».

Sous le prisme de la sociologie politique, Charly Atchom y décèle la crise du monopole de l’Etat dans la construction d’une identité camerounaise. Et par conséquent de son incapacité à dominer le champ social.

Zacharie Roger Mbarga

Crise anglophone

Passe d’armes entre Yaoundé et Washington

Les autorités camerounaises accusent les Etats-Unis d’héberger des sécessionnistes et les américains pointent des «assassinats ciblés» imputés à l’armée régulière dans le Nord – Ouest et le Sud – Ouest. 

L’ambassadeur des USA et le Mindef, lors de la remise des aéronefs.

Les 90 minutes d’entretien entre le président camerounais et l’ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique au Cameroun, le 17 mai dernier, ont dû être tendues. Henry Barlerin révèle en effet dans une déclaration publiée après cette rencontre que les discussions avec Paul Biya ont notamment porté sur la crise socio – politique dans le Sud-Ouest et le Nord-Ouest. «Le mois d’avril s’est avéré le plus sanglant pour que les choses s’améliorent. J’ai discuté avec le président de notre point de vue selon lequel les deux parties au conflit ne s’écoutent tout simplement pas», affirme le diplomate américain.

Sans ménager les séparatistes qu’il accuse de tuer des gendarmes, d’enlever des fonctionnaires ou encore d’incendier des écoles, l’ambassadeur des Etats-Unis reproche au gouvernement camerounais «des assassinats ciblés, des détentions sans accès à un soutien juridique, à la famille ou à la Croix-Rouge, et des incendies et pillages de villages ». Et d’ajouter, «Nous continuons d’appeler les deux parties à cesser immédiatement la violence», avant d’affirmer avoir «demandé au président d’utiliser son leadership pour encourager les deux parties à s’écouter les unes les autres».

Méfiance

La rencontre entre Paul Biya et Peter Henry Barlerin intervient quelques jours après ce qui a (plus ou moins) parasité la scénographie de réception d’un don de deux avions militaires offerts par les Etats-Unis d’Amérique. C’était à la Base aérienne 101 de Yaoundé, le 11 mai. Ce jour-là, de petites phrases débitées respectivement par  Peter Henry Barlerin et Joseph Beti Assomo, ministre délégué à la présidence en charge de la Défense (Mindef), avaient tout pour prolonger le miel d’une polémique sur la crise anglophone.

Premier à prendre la parole, le diplomate américain a trouvé en cette occasion un appât commode pour circonvenir les esprits des autorités camerounaises. «Monsieur le ministre,  je sais que vous m’avez rassuré à maintes reprises que les  équipements et le soutien fournis par les États-Unis ne seront utilisés que dans le respect strict des termes de l’accord…Ces deux avions sont destinés à être utilisés exclusivement dans la lutte contre Boko Haram au Nord du Cameroun… Vous m’avez assuré que les équipements fournis par les États – Unis ne seront pas utilisés à d’autres fins, dans d’autres conflits… » a insisté Peter Henry Barlerin, comme pour définir les lignes d’usage des deux aéronefs C-208Cessna remis.

Au vrai, même si le diplomate américain condamne «les discours haineux et les appels à la violence d’une très petite minorité de personnes nées au Cameroun vivant aux États-Unis», Washington interdit à l’armée camerounaise de mettre ces appareils de surveillance sous le ciel de la partie anglophone du pays, en proie à une crise sociopolitique depuis 2016.

Berger à la bergère

Et ce fut comme une étincelle. Dans son discours, Joseph Beti Assomo a fait œuvre des propos de l’ambassadeur des Etats-Unis. «Le gouvernement camerounais se réjouit de votre condamnation publique en direction de l’opinion nationale et internationale des activistes, dont les donneurs d’ordre du mouvement sécessionniste auquel notre pays fait face en ce moment, sont tapis à l’étranger, en Amérique et en Europe où ils possèdent à des levées de fonds pour venir porter la déstabilisation au Cameroun.

Nous comptons sur la coopération active de nos amis pour que leur pays ne serve pas de base de conception, d’endoctrinement, de collecte de fonds pour venir déstabiliser le Cameroun» a déclamé le ministre en charge de la Défense. Avec le trésor de significations qu’ils insinuent, les mots du Mindef n’ont plus appelé de tact diplomatique. Pour en cerner les contours, Joseph Beti Assomo a voulu mettre à nu la bienveillance des dollars américains sans la  trahir en mots clairs.

La divergence entre le Cameroun et les Etats-Unis est manifeste sur la crise anglophone. Où Washington voit un problème politique qui devrait se résoudre par le dialogue, Yaoundé appréhende la question comme une lutte contre le terrorisme et pour l’intégrité du pays.

Jean-René Meva’a Amougou

L’Afrique du Sud à la barre

Pretoria est accusé par Yaoundé d’héberger les médias dédiés à la propagande sécessionniste.

L’audience du 17 mai dernier entre le ministre camerounais de la Communication et le Haut-commissaire d’Afrique du Sud au Cameroun avait tout l’air d’un procès. En posture de procureur de la République, Issa Tchiroma Bakary charge l’accusé, en l’occurrence l’Afrique du sud représentée par Mgomosto Ruth Magau: «les sécessionnistes répandent à travers leur télévision, leur radio et Internet des contre-vérités, des mensonges. Avec pour but d’intoxiquer et de désinformer les populations dans les régions du Nord – Ouest et du Sud -Ouest, par leurs discours haineux.

A partir de l’exploitation que les services spécialisés font, ainsi que des éléments techniques à notre disposition, il est apparu que ces sécessionnistes émettraient à partir d’un pays qui se trouve être un pays ami. Toutes choses que le Cameroun ne saurait accepter. Nous avons donc reçu le Haut-commissaire d’Afrique du Sud pour lui faire part de nos inquiétudes», indique le Mincom avec comme témoins à charge  le ministre des Postes et Télécommunications, Minette Libom Li Likeng et le directeur général de la Cameroon Telecommunications (Camtel), David Nkoto Emane.

Le Cameroun souhaite que Pretoria prenne les mesures qui s’imposent en vue d’interrompre leurs émissions à partir de son territoire. A en croire le Mincom, la diplomate sud -africaine s’est montrée réceptive. Au sortir de l’audience, l’accusé n’a mot dit. «Le Haut-commissaire a demandé à avoir toutes les données qui permettront de prendre des mesures nécessaires. Comme elle a si bien dit, l’Afrique du sud ne se permettrait pas d’être une base de déstabilisation d’un pays ami comme le Cameroun. Elle a pris l’engagement de saisir son pays dès lors que des informations fiables seront mises à sa disposition», laisse entendre Issa Tchiroma Bakary.

Aboudi Ottou

 

Crise anglophone : les secrets des câbles diplomatiques français

Ces documents, récemment déclassifiés, concernent notamment la période 1961-1985. Ils montrent bien l’existence d’une volonté d’assimiler le Cameroun occidental-anglophone au Cameroun oriental-francophone, pendant le processus de construction de l’Etat unitaire.

«La réunification s’est faite sur une équivoque, Yaoundé considérant que la fédération ne constituait qu’une phase transitoire alors que outre-Mungo l’on voyait dans la réunification la consolidation d’une très large autonomie à l’égard de toute métropole européenne ou africaine». Nous sommes le 08 janvier 1962 lorsque l’ambassadeur de France au Cameroun écrit ces lignes. Jean-Pierre Bernard, en transmettant ses instructions à Ives Robin, le nouveau consul de France à Buea, fait cette précision pour que son collaborateur comprenne dans quel contexte s’inscrit sa mission. Cette correspondance fait partie de la pile de documents que vient de déclassifier la France. Il s’agit des courriers échangés entre les diplomates français présents au Cameroun et ceux destinés au ministère français des Affaires étrangères. Les lettres en notre possession couvrent la période 1961-1985.

L’ambassadeur de France au Cameroun d’alors illustre mieux cette équivoque lorsque le 28 novembre 1962, il fait, à l’attention du Quai d’Orsay, le bilan de l’an un de la réunification. «Dès le départ, les malentendus étaient nombreux. Les dirigeants de l’ancienne République, formés à l’école des légistes français souhaitaient un Etat fort, centralisé, unitaire. Sur les pentes du Mont Cameroun, on rêvait d’une République pastorale et patriarcale, que des liens plus sentimentaux que juridiques auraient rattachés à une grande sœur. La réunification représentait plus pour monsieur Foncha (Premier ministre du Cameroun occidental) et son entourage l’espoir d’être aidés et secourus par Yaoundé, que d’être gouvernés par lui», analyse-t-il.

Fédéralisme aux forceps

Comme l’ont souvent soutenu nombre d’historiens, le diplomate français affirme que la colonisation est la cause de ces divergences: «les deux Etats fédérés après une brève période d’union sous la domination Allemande, avaient connu des régimes profondément dissemblables. Le système anglais de l’Indirect Rule avait respecté les structures indigènes et délégué aux autorités traditionnelles une bonne part de responsabilité. L’opposition était fondamentale avec un régime centralisateur, unificateur et législateur à outrance, tel que la République du Cameroun l’avait hérité de l’administration française et qu’elle se plaisait à exagérer certains traits», peut-on lire dans ce câble de Jean-Pierre Bernard du 28 novembre.

Ives Robin, consul de France à Buea: «le bilan est largement positif et si le mouvement non d’harmonisation mais « d’alignement » du Cameroun occidental sur le Cameroun oriental n’a pas été aussi rapide que les autorités fédérales l’auraient souhaité, il est néanmoins en bonne voie»

«Depuis la réunification pour laquelle il avait été contraint d’accepter une constitution fédérale, il a poursuivi patiemment ses efforts en vue d’une centralisation effective», écrit Jacques Dupuy, ambassadeur de France au Cameroun de l’époque, en rendant compte au ministère français des Affaires étrangères d’une visite de 48 heures d’Ahmadou Ahidjo, ancien président du Cameroun oriental, devenu, après la réunification, président de la République fédérale du Cameroun. Nous sommes le 21 avril 1972. Un mois plus tard, Ahmadou Ahidjo organise le référendum constitutionnel du 20 mai 1972 qui transforme la «République fédérale» en «République unie». Pour montrer combien la fin du fédéralisme lui tenait à cœur, le 20 mai devient jour de fête nationale. Paul Biya, son héritier idéologique, qui lui succède à la tête du pays le 06 novembre 1982, parachève l’œuvre en passant de «République unie du Cameroun» à «République du Cameroun».

Projet d’assimilation

«La suppression par M. Biya en février 1984 de l’adjectif « unie » et le retour à l’expression « République du Cameroun » (nom du Cameroun francophone avant la réunification) ont été perçus par les anglophones comme « l’acte final » du processus d’assimilation historique de leur identité particulière», soutient l’historien Yves Mintoogue dans une tribune libre publiée en 2004. C’est cette frustration qui constitue d’ailleurs le problème anglophone dont la crise sociopolitique actuelle dans les régions du Nord-Ouest et du Sud – Ouest est l’une des métastases. En fait de perception, les câbles diplomatiques français ne laissent pas de doute sur l’existence d’un projet d’assimilation. A en croire Jean-Pierre Bernard, alors que la «conférence de Foumban de juillet 1961» prévoit de respecter «la personnalité des deux Etats membres», Ahidjo entreprend, après la réunification, de «franciser le territoire occidental».

Dans sa lettre faisant le bilan de la première année de fonctionnement de l’Etat fédéral, le diplomate ajoute: «Le ministre de l’Education nationale et son entourage se sont en particulier institués les promoteurs acharnés d’une instruction bilingue dans l’enseignement secondaire et supérieur. M. Eteki [Mboumoua] considère sans doute que l’adoption d’une telle formule est susceptible de permettre au Cameroun d’échapper à la fois au monopole culturel français et d’autre part, sur la scène africaine, d’ouvrir à son pays d’assez larges perspectives comme trait d’union entre les Etats francophones et anglophones. Une telle tendance va à contre-courant des buts unitaires poursuivis par le président de la République».

Accéder aux vingt-et-un câbles diplomatiques français

La correspondance du consul de France à Buea au Quai d’Orsay portant sur «la mise en place de la fédération et ses à-coups» enfonce le clou. «Un examen de la situation démontre que le bilan est largement positif et si le mouvement non d’harmonisation mais « d’alignement » du Cameroun occidental sur le Cameroun oriental n’a pas été aussi rapide que les autorités fédérales l’auraient souhaité, il est néanmoins en bonne voie et ne semble pas, à moins d’un évènement extraordinaire, devoir être remis en cause», écrit Ives Robin, le 20 octobre 1962. Pour justifier son évaluation, le diplomate cite même quelques exemples de «réussite»: «la gendarmerie fédérale (…) vient de terminer son implantation et d’obtenir pour le compte du 1er septembre l’ensemble des pouvoirs qui sont les siennes au Cameroun oriental. (…) Enfin, c’est dans le domaine de l’exécution du budget fédéral au Cameroun occidental que la victoire la plus nette a été remportée. Une conférence réunie à Yaoundé les 10 et 11 octobre (…) a décidé que l’exécution du budget fédéral au Cameroun occidental se ferait suivant les règles comptables françaises», peut-on lire dans cette correspondance.

Appui de la France

En fait, il apparait que Paris a toujours été conscient que la réunification s’achèverait par une assimilation. «Étant donné l’importance relative du Cameroun oriental par rapport au Cameroun occidental, la différence du chiffre de population, de richesses, de degré d’évolution des habitants, il est évident que cette politique d’unification aboutira en définitive et dans la plupart des cas à implanter au Cameron occidental la langue, les méthodes administratives, les structures économiques de l’ancienne République du Cameroun», avance l’ambassadeur de France en transmettant ses directives au consul de France à Buea, désigné moins d’un an après le référendum du 11 février 1961, actant la réunification.

De ce fait, le soutient de l’hexagone au processus est naturel : «nous ne saurions nous désintéresser de la volonté du gouvernement camerounais de faire bénéficier l’ancienne zone britannique de l’acquis de 40 ans d’administration française. Nous devons au contraire l’appuyer et lui apporter notre entier concours. C’est dans cette perspective que devra être essentiellement orientée votre action», enjoint alors Jean-Pierre Bernard à Ives Robin. Pour la France, l’objectif est d’étendre son influence sur cette zone. Aussi est-elle très active tout au long de la mise en œuvre du projet d’assimilation. On le voit notamment à travers les multiples courriers de ses diplomates en poste au Cameroun, sollicitant davantage de moyens pour appuyer le régime d’Ahmadou Ahidjo et le nombre de câbles portant sur les faits et gestes des agents britanniques et nigérians, de même que sur les officiels américains accusés de vouloir saboter le projet d’assimilation.

Aboudi Ottou

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