Consommation : Le maquereau pose des devinettes sur le marché
Ces dernières semaines, face au prix exorbitant de la variété dite «Oya Oya», les populations ne savent plus à quelle sauce cuisiner sa rareté. Enquête.
Files d’attente kilométriques devant une poissonnerie à la sortie nord du marché Mvog-Mbi (Yaoundé 4e). Sous un soleil de plomb, de nombreuses femmes prennent leur mal en patience comme elles peuvent. Au téléphone, l’une d’elles dit avoir «appris que le poisson est arrivé». Interviewée par une télévision locale, une autre Dame est plus claire : «le maquereau manque partout». Elle explique que la situation est telle que, pour gagner leur vie, de nombreuses revendeuses recourent à d’autres espèces. Raison : «le prix Oya Oya (variété de maquereau très prisée par les menagères, NDLR) a augmenté. Le carton de 20 kilogrammes est passé à 28 000 voire 30 000 francs CFA». «Des chiffres bien éloignés du seuil de tolérance maximum (25 000 FCFA) fixé par le gouvernement», observe Léopold Désiré Obougou, revendeur de poissons au lieu-dit «Petit Marché Mimboman», toujours dans le 4e arrondissement de la capitale. Il souligne que les rares stocks qui sont encore disponibles se vendent au marché noir… «à presque 2 000 FCFA le kilogramme!» Un comble pour le président exécutif national du Réseau national des consommateurs du Cameroun (RNC). «C’est assez préoccupant que le maquereau, jauge des ménages pauvres, soit vendu à ce prix», déplore-t-il. Selon son calcul, dans une ville comme Douala, le panier de la ménagère a pris un sérieux coup : «+ 3,9% en l’espace de deux semaines».
Dans la capitale économique justement, les acteurs de la chaîne de commercialisation du «Oya Oya» font la pluie et le beau temps. Depuis quelques jours, ils démarrent les livraisons au petit matin. «Ici au Marché New Deido, nous vendons nos maigres stocks au plus offrant avant le lever du jour. Seuls sont privilégiés les détaillants venus des villes environnantes», glisse Mathurin Yonen, demi-grossiste. «Dans plus offrant, il faut comprendre celui qui accepte de prendre le carton de 20 kilos à 32 000 FCFA», souffle-il en aparté.
Causes
Quand il fait des commentaires sur la rareté du maquereau Oya Oya sur le marché camerounais ces derniers temps, Patrice Dongmo estime que l’histoire se répète avec une nuance. «D’habitude, entre février et avril de chaque année, ce poisson manque. Mais cette fois, il faut aussi considérer que la situation liée au coronavirus y est pour beaucoup. Également, pendant la période d’abondance, les importateurs ont eu des problèmes avec leurs fournisseurs et plusieurs commandes faites en Chine, au Chili ou de l’Espagne ont été annulées du fait des restrictions au niveau des devises. Il y a aussi la surpêche. Alors que des pays tendent vers une meilleure gestion de leur pêche, la situation se dégrade chez nous avec les Chinois qui capturent tout», explique le chef d’agence d’une importante enseigne d’importation des produits halieutiques. S’il est facile de remarquer que notre interlocuteur dévoile les causes de l’absence du maquereau sur les étals des marchés camerounais, il reste qu’il prend quelques précautions oratoires. Celles-ci lui permettent d’éviter de reconnaitre qu’une caste contrôle le marché et en abuse.
D’après certaines rumeurs relayées par une bonne brochette de détaillants, l’indisponibilité du maquereau (et bien d’autres variétés de poissons) est surtout due à l’injustice du système. «Si l’État s’engage à installer la transparence, s’il est aussi exigeant face aux prébendes qu’il est sévère face à la moindre incivilité, alors, une sortie de la crise actuelle du poisson deviendra possible», entrevoit Léopold Désiré Obougou. Et ils sont nombreux à rêver que la fin du «monopole» soit le prélude à une paix sociale. Francis Hervé Eyalla Saba est parmi ceux-là.
Pour le président exécutif national du RNC, «c’est une situation qui est dû au monopole qu’on observe dans le secteur de la distribution du poisson et notamment de l’importation du poisson et du maquereau en l’occurrence. Il y a un monopole qui s’est installé depuis de nombreuses années avec un ou deux opérateurs qui ont l’exclusivité d’importer cette denrée». Il rebondit : «Et aussi longtemps que cette situation perdurera, vous n’aurez pas de prix attrayant, pas de quantité suffisante, et il n’y aura pas toujours la qualité. Donc voilà un élément à mettre sur la sellette et qu’il faut relayer de toute urgence pour éviter d’arriver à des situations où il n’y a plus la disponibilité du produit, et même lorsqu’il est disponible, qu’il n’y ait pas la quantité et la qualité suffisante pour approvisionner 25 millions de personnes».
Gros poissons, petits filets
Chaque année à la même période, le maquereau Oya Oya se «retire» des étals. Chaque année aussi, le gouvernement «hurle».
Curieusement, dans les archives du marché camerounais du poisson, on trouve trace de quelques importateurs seulement et de l’État. Dans les mêmes archives, l’on trouve presque la même histoire, racontée par «les contraintes et les rationalités propres du marché», selon l’expression d’un cadre du ministère du Commerce. «Tous les maillons de la chaîne du poisson sont liés par de multiples interdépendances, de l’approvisionnement à la distribution. Mais il y a une hiérarchie», développe la même source ce 4 mars 2021.
À l’échelon élevé, il y a donc les pouvoirs publics. Le mode de régulation pour lequel ils ont opté pour le marché du poisson camerounais donne à voir la préservation du consommateur. Au ministère du Commerce (Mincommerce), on cite par exemple la mise place d’un dispositif facilitant le transfert des fonds par les importateurs de poissons. «C’est le gouvernement qui fixe tous les prix et il joue exclusivement ce rôle pour tous les produits de consommation courante comme les poissons», martèle-t-on dans cette administration publique.
Au bas de l’échelon, il y a quelques importateurs seulement. «C’est toujours avec eux que les pouvoirs négocient lors des situations comme celles que nous vivons», pointe Francis Hervé Eyalla Saba. La suite déballée par le président exécutif national du RNC est bien véhémente. «En négociant avec des gens qui sont en position de monopole, c’est toujours traiter le symptôme sans s’attaquer aux vraies causes, et déformer le marché en multipliant les effets pervers. En pratique, ces négociations mettent en scène de gros poissons (importateurs) qui, chaque fois, passent dans les mailles du petit filet gouvernemental. Chaque année, le marché est violenté par des pratiques digne de la mafia», fulmine Francis Hervé Eyalla Saba. Il pense par ailleurs qu’au sein de la filière du poisson, «l’État peut appliquer des mesures qui, conjuguées selon un calendrier judicieux et ciblé et selon un dosage rationnel, sont susceptibles d’opérer une décélération substantielle des prix imposés aux consommateurs par une poignée d’individus».