LIBRE-PROPOSPANORAMA

Zone Cemac : La Guinée Équatoriale et le mur de la honte

Depuis quelque temps, les nouvelles sur la frontière entre le Cameroun et la Guinée Équatoriale sont loin d’être les meilleures.

 

La construction d’un mur barrière par la Guinée Équatoriale à sa frontière avec le Cameroun, remettant du coup en cause le processus de la libre circulation des biens et des personnes, pilier majeur du processus d’intégration régionale en zone CEMAC, porte une atteinte significative au dit processus d’intégration régionale. Œuvre d’une politique étrangère hostile au processus de construction communautaire, le mur construit par la Guinée Équatoriale pourrait être la manifestation éclatante de la transposition de l’intérêt national et des préférences des États membres de la CEMAC comme besoins supra communautaires.

En effet, la politique étrangère est un thème sectoriel de la science des relations internationales. Pour Hans Morgenthau, il s’agit d’un sujet très prisé des internationalistes qui, de tout temps, ont voulu «comprendre la politique étrangère». Elle peut être comprise comme «l’instrument par lequel l’État tente de façonner son environnement politique international». De ce point de vue, il s’agit d’une politique publique «mise en œuvre par les services de l’État avec des moyens précis, dans le but d’atteindre des objectifs bien définis». La politique étrangère va être saisie dans le cadre de ce travail comme toute vision formulée par un État pour structurer son rapport à l’international. Cette vision décline les objectifs de l’État, la conception de sa place et de son rôle dans l’ordre international. Cela inclut dans cette acception le discours qui structure cette vision, les stratégies et les moyens de celle-ci.

Ce travail vise à analyser la politique étrangère de la Guinée Équatoriale en tant que facteur de neutralisation du processus de construction communautaire.

Dès lors, comment comprendre la politique étrangère violente, mieux, les choix politiques hostiles de la Guinée Équatoriale dans la zone CEMAC?

Notre hypothèse est que, la politique étrangère d’un État peut aussi bien dynamiser, voire propulser la dynamique d’intégration régionale, tout comme elle peut neutraliser ladite dynamique, le tout étant dans les objectifs définis par cet État dans ses relations avec l’extérieur; et la Guinée Équatoriale semble bien vouloir profiter de la liberté qu’elle a dans la définition de sa politique étrangère pour reconfigurer et adapter, en fonction de ses besoins, la scène internationale CEMAC.

La politique étrangère de la Guinée Équatoriale dans l’espace CEMAC pourrait donc se résumer comme la contestation de l’ordre géopolitique préétabli et la maitrise des «enjeux géopolitiques» au sens de Jean Lucien Ewangue en Afrique centrale CEMAC.

 

La politique étrangère de la Guinée Équatoriale ou la contestation de l’ordre géopolitique préétabli.
Aux origines de la mise en œuvre de la politique étrangère hostile de la Guinée Équatoriale dans l’espace CEMAC se trouve une volonté inavouée de cette dernière de protester contre un ordre géopolitique établi par ses pairs de la CEMAC à un moment donné de l’histoire politique de l’organisation sous régionale: le consensus de Fort-Lamy.

Le Consensus de Fort Lamy ou le partage géopolitique de l’Afrique centrale UDEAC/CEMAC sans la Guinée Équatoriale.

Le consensus de Fort-Lamy, de l’ancienne appellation de la capitale du Tchad, actuellement Ndjamena, s’entend par Paul Elvic Batchom comme «le reflet des rapports de force à un moment précis de l’histoire d’une institution, l’état d’esprit d’un moment». Autrement dit, le consensus de Fort-Lamy, adopté en 1975, est un accord conventionnel relevant de l’ordre de la coutume, c’est-à-dire, non écrit, qui répartissait les postes de compétence de l’UDEAC/CEMAC entre les États membres de cette instance institutionnelle.

Du coup, grâce à ce consensus la répartition des postes au sein de l’UDEAC/CEMAC disposait que le siège de la BEAC se trouvait essentiellement à Yaoundé au Cameroun et le gouvernorat était assuré par le Gabon. Les destinées de la Banque de développement des Etats de l’Afrique centrale (BDEAC) revenaient à un Congolais, tandis que la Commission — ancien secrétariat de l’UDEAC — dont le siège se retrouve à Bangui en RCA revenait à un Camerounais. Le Tchad quant à lui assurait le secrétariat de la BEAC.

Au regard de ce qui précède, le constat est clair. La Guinée Équatoriale ne figurait pas dans la répartition des postes au sein de l’UDEAC/CEMAC. Fait compréhensible cependant, puisque cette dernière n’était pas à la fondation de l’organisation sous régionale.

Les réaménagements institutionnels effectués au lendemain de la création de la CEMAC le 16 mars 1994 à Ndjamena au Tchad, avec la création et la mise en service du Parlement CEMAC, avaient pour objectif principal d’intégrer la Guinée Équatoriale dans la géopolitique sous régionale. C’est exactement dans ce sens que dès la création du parlement communautaire, il avait été décidé de donner le siège de ladite institution législative à la Guinée Équatoriale; question de calmer ses ardeurs revendicatrices dans la sous-région CEMAC. Peine inutile, car aussitôt que l’organe avait été mis en place, la Guinée Équatoriale comprit qu’elle n’influençait pas véritablement le processus décisionnel de la CEMAC. Il fallait donc viser plus loin et engager la contestation de l’ordre géopolitique préétabli: c’est la rupture du consensus de Fort-Lamy.

La rupture du consensus de Fort-Lamy ou le changement du rapport de force dans l’espace CEMAC.
Dans son article intitulé «Valeurs et puissance dans les relations internationales: de la construction axiologique d’une dynamique hégémonique en Afrique centrale», le professeur Paul Elvic Batchom écrit: «La puissance est une donnée construite dans les rapports entre États. Sa construction est souvent favorisée par l’invocation des normes et valeurs qui justifient l’action hégémonique des puissances de la scène internationale».

Autrement dit, la volonté de puissance de la Guinée Équatoriale dans l’espace CEMAC et son action hégémonique dans la sous-région devait passer par l’invocation du consensus de Fort-Lamy, qui fut à l’époque une norme en total déphasage avec les ambitions hégémoniques de la Guinée Équatoriale, pour aboutir à un contrôle presque total de la sous-région en passant par la réforme institutionnelle au sens de Patrice Libom Badjang.

La maitrise des enjeux géopolitiques dans la sous-région Afrique centrale/CEMAC.
Dans son article intitulé «Comment la Guinée Équatoriale défend ses frontières et son pétrole», Jean Lucien Ewangue montre que la Guinée Équatoriale qui, jadis était considérée comme l’un des pays les plus pauvres de l’Afrique centrale CEMAC, fait, depuis quelques années, l’objet de toutes les convoitises. Du fait de la découverte dans son sous-sol d’importants gisements de pétrole, de nombreux acteurs multiplient des stratégies pour contrôler cette ressource équato-guinéenne. Autrement dit, la Guinée Équatoriale se déploie sur la scène CEMAC avec pour objectif principal la protection de son pétrole et par conséquent de ses frontières.

Le pétrole, source de richesse et de puissance équato-guinéenne.
«Et si la raison du plus riche était la meilleure?». Ainsi, Paul Elvic Batchom introduisait son article intitulé «La rupture du consensus de Fort-Lamy ou le changement du rapport de force dans l’espace CEMAC».
En effet, dans la production pétrolière de l’Afrique centrale CEMAC, la Guinée Équatoriale se trouve largement en tête des producteurs, suscitant la convoitise de ses voisins. C’est dans ce jeu d’abondante production pétrolière que la Guinée Équatoriale tente de reconfigurer la scène internationale Afrique centrale au gout de ses intérêts de l’heure.

C’est la raison pour laquelle Ntuda Ebode écrit: «La Guinée Équatoriale, en tant qu’électron libre dans la nouvelle configuration des alliances dans l’espace CEMAC et soucieuse d’exister dans un environnement sous régional où la plupart de ses voisins sont plutôt de grands États, ne peut s’affirmer qu’en s’opposant, c’est-à-dire, qu’en pivotant. Sa diplomatie ne peut donc être qu’une diplomatie de conjoncture, faite d’alliances instables et changeantes, en fonction de ses intérêts du moment». L’enrichissement subit de cette ancienne colonie espagnole dont le Cameroun hébergeait et faisait travailler les réfugiés politiques de l’ère Macia Nguema dans des plantations industrielles de Mbanjock et d’Akonolinga pour citer Delmas Tsafack, a conduit cet État à revoir sa politique étrangère dans la zone CEMAC.

La défense des frontières terrestres et maritimes par la Guinée Équatoriale.
Le désaccord constaté entre les États de la zone CEMAC au sujet de la question de la libre circulation des personnes trouve ses fondements dans un faisceau de facteurs éminemment subjectifs. Ici, la subjectivité tient au fait que les raisons de la discorde renvoient à des constructions imaginaires plus ou moins entretenues par les pouvoirs politiques locaux, particulièrement au Gabon et en Guinée Équatoriale.

Trois mythes tenaces paraissent soutenir la forte réticence de ces deux États à «ouvrir» largement leurs frontières aux flux migratoires étrangers, qu’ils soient intracommunautaires ou non, de même que l’attitude ouvertement xénophobe de leurs populations respectives à l’égard des «frères» de la sous-région.
En effet, la Guinée Équatoriale conçoit la libre circulation des personnes comme un stratagème destiné à masquer un projet d’envahissement de la Guinée Équatoriale et éventuellement sa déstabilisation.

Pour manifester contre cette immigration jugée par les autorités équato-Guinéennes de clandestine, ces dernières ont fait recours à des expulsions massives, comme nous l’apprend Yves Alexandre Chouala, des ressortissants des autres pays de la sous-région (en l’occurrence le Cameroun), faisant de la Guinée Équatoriale «un exemple de blocage du processus d’intégration en Afrique centrale». Cette psychose contre une éventuelle invasion s’illustre à travers ces propos du président Obiang Nguema, parlant du Cameroun: «Faites attention aux étrangers et surtout aux Camerounais, car ces derniers ont eu de l’argent du pétrole avant, et leurs gisements pétroliers étant déjà épuisés, ils cherchent à nous envahir».

En somme, pour une dilution des préférences de la Guinée Équatoriale dans l’intérêt communautaire, il conviendrait que les autorités de la CEMAC mettent en place une citoyenneté communautaire tout en récitant ces propos du président Ali Bongo, prononcés le 16 mars 2013 à l’occasion des Journées CEMAC: «À côté des marchés, faisons place à des activités propres à promouvoir la solidarité, la coopération, l’association, la mutualité et l’intérêt général.

Ce sera une œuvre passionnante que de donner un contenu social à la CEMAC. Il sera exaltant de voir nos populations s’associer, au-delà de leurs différences et de leurs opinions diverses, pour que la CEMAC ne soit pas qu’un lieu d’affaires et de finance, mais plutôt l’œuvre puissante d’hommes qui construisent leur histoire commune».

François Aurelien NGUENDIA

Diplômé de l’IRIC/ IRMIC

Chercheur indépendant

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *