Thierry Marchand au Cameroun : le système métrique de l’Histoire (*)

Par Pr Joël Narcisse Meyolo (**)

 

Meyolisme Acte 31

Théodore Paul marchand (1923-1933)-

Thierry Marchand 2022- : Comment comprendre l’arrivée de l’ambassadeur « général » au regard de l’histoire française du Cameroun.

 

Le 4 mars 1923, soit 7 ans après la partition du Kamerun, sur proposition du Ministre des Colonies, Théodore Paul Marchand était nommé Commissaire de la République de France au Cameroun. Il est important de préciser que sa désignation intervient dans un environnement marqué par l’entrée en vigueur du Mandat de la SDN donné à la France le 20 juillet 1922, pour administrer la partie du territoire qu’elle s’était octroyée en mars 1916.

 

L’arrivée du Commissaire Marchand, ancien officier de l’armée française, s’est faite dans un contexte particulier. D’une part, la montée en puissance du courant germanophile faisait peser sur le Cameroun sous mandat de la France, la menace d’une déflagration. D’autre part, les nombreuses richesses du Cameroun appelaient au minimum à la collaboration des Camerounais dans l’œuvre d’exploitation qu’envisageait la France.

 

De ce point de vue, la mission de Marchand était donc simple. S’agissant du premier axe, l’urgence était de déconstruire l’idée du retour des Allemands au Cameroun. Concernant le second axe, dans l’esprit de Marchand, comme le précise le Professeur Abwa, « la condition sine qua non de l’exploitation des ressources du Cameroun c’était la reconnaissance par les populations locales de la supériorité de l’homme blanc sur l’homme noir. I fallait donc anéantir en elles toute velléité de rébellion et les transformer en sujets docile de la France ». Telles étaient les déclinaisons de la mission de Marchand au Cameroun.

 

Cent ans plus tard…

 

La France, dans un contexte quasi similaire, envoie un officier à la retraite comme ambassadeur au Cameroun. Faut-il y voir une tentative de pousser à la répétition de l’Histoire ? Doit-on s’attendre, comme entre 1923 et 1933, à une guerre rangée mettant aux prises d’un côté les partisans camerounais de la politique  française et de l’autre côté, des Camerounais opposés à toute forme d’aliénation de leur droit ? La France se sent elle autant menacée comme cela a été le cas il y a un siècle ? Quelles  peuvent être les leçons à tirer de cette situation historiquement similaire ?

 

Voilà quelques questions dont la structuration des réponses, constitue l’architecture du 31ème acte du meyolisme que je vous livre cette semaine.

 

L’environnement camerounais à l’arrivée de Marchand

 

Une phrase du Professeur Koufan, reprise par le Professeur Abwa, résume le contexte expliquant en partie l’arrivée de Théodore Paul Marchand au Cameroun en 1923 : « La psychose de l’invasion (allemande) avait fait place vers la fin de l’année 1919 à l’obsession du complot (allemand) ». S’il est communément admis que le partage du Kamerun le 4 mars 1916, sonnait le glas de la présence allemande sur son ancien protectorat, il s’agit en réalité de la fin du contrôle officiel de ce territoire par l’Allemagne. Dans les faits, au quotidien, la présence allemande se faisait ressentir de part et d’autre du Moungo.

 

 

Du côté français, celle-ci s’est accentuée dès 1919, obligeant le gouvernement français à prendre un certain nombre de mesures pour mettre fin au courant germanophile. C’est dans ce cadre que le Commissaire Carde décida en 1921 de transférer la Capitale du Cameroun de Douala à Yaoundé.

 

Symboliquement, la ville de Douala représentait pour les Allemands et pour les Kamerunais une place forte. C’est en effet dans cette ville que furent signés les traités majeurs entre les commerçants Allemands et les Chefs Duala, marquant ainsi le début de la présence allemande. Mieux encore, dans l’esprit des commerçants allemands et même dans celui de beaucoup d’analystes, Douala était le « Hambourg africain » pour parler comme Claude Burgaud.

 

En procédant de la sorte, la France marquait son territoire en poussant à l’oubli le rôle central que cette ville joua dans l’histoire récente. Dans la même lancée, c’est avec un engouement frénétique et identique que le Commissaire Cadre se pressa à opposer un refus catégorique à toutes les demandes des Allemands et même des Camerounais qui souhaitaient revenir au Cameroun. Pour les Français, le retour des Allemands et des Camerounais sur lesquels était posé le soupçon de fidélité à Berlin, était un danger qu’il convenait de juguler. Ceci est d’autant plus pressant pour les Français que des rumeurs indiquaient que la Deutsche Kolonial Gesselschaft, ambitionnait la création de dominions économique en Afrique.

 

À terme, cette initiative aurait entretenu une présence allemande effective sur le territoire que contrôlait la France. Pour les autorités françaises, il n’était pas opportun qu’un tel destin se réalise. Avant sa mise en œuvre, quoi de plus pressant pour la France de s’attaquer aux vestiges culturels et judiciaires allemands pour garder le point de vue du Professeur Abwa ? Ce fut donc le troisième exercice favori de Carde. Dans ce cadre, la première initiative fut la substitution de la langue allemande par la langue française. Il va en être de même du système judiciaire qui désormais, fut d’inspiration français.

 

Ces développements montrent à quel point la France était dans la psychose d’un retour éventuel des Allemands. Ils traduisent également le fait que la France, consciente du danger qui pesait sur le territoire que venait de lui octroyer officiellement la SDN, se devait de riposter farouchement. Pour ce faire, elle dépêcha un ancien militaire au Cameroun.

 

 

Le rôle du Commissaire Marchand dans la francisation du Cameroun et la spécificité camerounaise.   

 

 

D’entrée de jeu, je fais mienne cette conclusion du Professeur Daniel Abwa : « Dès qu’il mit pied au Cameroun, il se rendit si indispensable que l’autorité de la métropole l’y laissa dix ans durant, tant le travail qu’il abattait était très apprécié. C’est lui le véritable colonisateur du Cameroun ».

La méthode Marchand était simple. Soumettre les populations camerounaises pour qu’elles soient dociles et par conséquent, réceptives aux méthodes d’exploitation des nombreuses ressources que regorgeait le Cameroun. Pour cela, il s’employa à mettre en œuvre un ensemble de mesures tendant à imposer l’illusoire suprématie raciale.

 

La première est prise par un arrêté du 22 juillet 1924 promulguant au Cameroun le décret sur le vagabondage. Désormais, les Camerounais étaient confinés dans leur circonscription d’origine. À défaut, il leur fallait un laisser-passer délivré par l’autorité française. Au fond, cette méthode permettait de s’assurer une main d’œuvre locale stable et donc mieux exploitable. Cette pratique n’a pas été réalisée sans heurts. Certaines populations en effet s’y sont opposées farouchement.

 

La révolte menée par certains peuples montrait clairement le rôle joué par les autorités coutumières. Mieux encore, elle traduisait le prolongement des guerres de résistance qu’ils livrèrent aux envahisseurs venus d’Europe et d’ailleurs. Dans la logique du Commissaire Marchand, il était important, pour la suite des événements que les chefs coutumiers soient neutralisés. Daniel Abwa va même plus loin en affirmant que Marchand fut le Commissaire de la République qui reçut pour mission de réaliser la soumission du chef, de lui insuffler le réflexe d’obéissance.

 

Ceux qui ne se prêtaient pas à ce jeu morbide était soit tués, soit destitués les exemples sont légions. Mieux encore, quand bien même les chefs se soumettaient, Marchand imposa l’instauration des conseils de notables. Cette instance permettait de créer au sein des chefferies, un contre-pouvoir dans l’objectif de minorer celui du chef.

 

Cette politique, très tôt, a fait émerger deux principaux camps. D’un côté, il y avait des Chefs a fière allure, et de l’autre côté, des Chefs soumis, friands des gadgets que leur apportaient Marchand et ses administrés. Cette dualité explique l’observation très curieuse de prises de positions contradictoires des Camerounais. Il y en avait, affidés du système qui systématiquement trouvaient des mots et des attitudes justifiant le bien -fondé de la présence française.

 

En agissant de la sorte, ils conféraient à la gloire les actes de Marchand et implicitement, encourageait ce dernier dans sa fonction de colonisateur. Charles Atangana peut légitimement être considéré comme l’un des soutiens inconditionnels de cette approche. En face, se dressent les hommes et des femmes très peu portés à partager l’héritage ancestral qu’est la fierté. Ils font de mon point de vue, légitimement partie des pères et des mères du nationalisme charismatique camerounais. Dans ce camp, peuvent aisément être rangés, le Sultan Njoya, le Lamido Yagarou, Jemba Muduru, Etika Dika.

Pour Marchand, cette opposition entre Camerounais était une très bonne occasion.

 

Elle lui rappelait sans doute ses années passées dans l’armée française où la technique pour venir à bout d’un adversaire était de créer la zizanie et de frapper. Mais ce que Marchand n’avait pas intégré dans sa stratégie, c’était la conscience qu’avaient les Camerounais d’être différents des peuples dont l’histoire a fait de leurs territoires des colonies françaises. Lui le soldat qui rêvait d’une bonne colonie, s’est retrouvé dans les faits, avec dans les mains, un territoire peuplés d’hommes et de femmes convaincus de leur singularité.

 

La sensation d’appartenir à une destinée particulière a poussé les Camerounais dans leur majorité à harceler Marchand au point où, le 19 juin 1933, il quitta Yaoundé pour un congé de convalescence, lui qui n’était revenu au Cameroun que le 6 février, après une absence de 8 mois. C’est dire que le Cameroun, filtre de son histoire, tient pour raison de son existence le respect de sa spécificité.

Un nouveau Marchand, cent années plus tard, ne changera rien à cette réalité. Ceci d’autant plus que le Cameroun vit dans un monde multipolaire et sa population dans son écrasante majorité, est opposée à toute forme d’ingérence.

 

 

(*) Ce titre est de la Rédaction 

 

(**) Maître de Conférences et enseignant (spécialiste de la diplomatie parlementaire et du processus de la Réunification) au département d’Histoire de l’Université de Yaoundé I. Il est également le chef de la cellule de communication du ministère de l’Enseignement supérieur.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *