Yaoundé : Les langues du terroir en partage avec les migrants
Pour mieux affronter le processus de leur insertion dans la société, les communautés étrangères basées dans la capitale camerounaise se situent dans une dynamique d’appropriation des langues locales.
De plus en plus, de nombreux citoyens originaires d’autres pays d’Afrique s’exercent dans la pratique du parler local.
«Rue des généraux» au quartier Omnisports à Yaoundé, une pièce explose tous les genres de la comédie. Dans une frénésie véritablement risible, Clément Ndotizo est au téléphone. Le réfugié centrafricain gère une affaire. La scène se passe à grand renfort de phrases en langue Ewondo. Le débit suscite moins le rejet qu’un étrange mélange de sentiments contradictoires: répulsion et fascination, interrogation et parfois amusement. À l’observer, Clément Ndotizo enlace joyeusement les fils d’une langue qu’il a apprise. «En arrivant ici il y a 6 ans, je ne prononçais pas un seul mot éwondo», dit-il. Le propos dévoile un répertoire riche de ressentis. Il offre un témoignage évident d’une expérience, éminemment suggérée par la volonté de mieux s’intégrer à Yaoundé. En tentant de le dire en Ewondo, notre interlocuteur fait œuvre de spécimen de migrant avide de saisir le fil de la destinée, l’espoir d’une destinée plus favorable.
Cordon initial
Pour ceux qui, comme Clément Ndotizo, ont déposé leurs valises à Yaoundé, tous racontent leur période d’initiation linguistique. Autrement dit, «pour mieux vivre ici, il faut parler et comprendre la langue que les gens parlent le plus», établit le Rwandais Gaston Buleli. Selon lui, le premier pas consiste à donner une grande importance à la parole parlée dans les milieux publics. En tout cas, cet homme d’affaires affirme qu’en deux ans, il comprenait presque tous les messages en Ewondo avec, néanmoins, des limites dans l’expression orale. Il regrette aussi, qu’il lui arrive souvent d’éviter certaines discussions avec ses collègues natifs, du fait qu’il n’a pas la même fluidité verbale. Abdou Sy, un commerçant sénégalais, dit avoir appris en priorité des blagues et des plaisanteries en Eton.
Pour décrire comment il a mis l’Ewondo à la portée de sa langue, Gaston Buleli va jusqu’à soutenir que l’acte d’acquérir un nouveau savoir a consisté, pour lui, à changer d’univers, à réorganiser en profondeur son rapport aux natifs de Yaoundé et à lui-même. À écouter le Rwandais, le premier acte était celui de la régulation de ses comportements d’apprentissage, c’est-à-dire développer des habitudes d’excellence. «J’allais au marché; j’écoutais des conversations; parfois j’écrivais», relate-t-il. «Vous progresserez petit à petit. Au début, vous ne comprendrez rien; ensuite vous comprendrez un peu mieux, et par la suite vous comprendrez de mieux en mieux. La pratique de l’Ewondo, à mon avis, passe par la compréhension orale. Si au début, vous avez l’impression de ne rien comprendre, vous vous rendrez vite compte que vous saisissez plus de choses que vous ne le pensez», dévoile-t-il par ensuite.
Abdou Sy confesse n’avoir pas eu de professeur. «Contrairement à ce que vous pensez, étudier un nouveau langage est très simple et peut être aussi divertissant. Non, il n’y a pas que la grammaire, les études de textes, l’écriture dans l’apprentissage d’une nouvelle langue», affirme-t-il, vantant son appropriation désormais poussée après 15 ans à Yaoundé.
Jean-René Meva’a Amougou
Yvan Tsala
«La langue est un élément nécessaire,mais non suffisant, dans le processus d’intégration»
Le sociolinguiste camerounais montre les degrés d’importance de la langue comme passerelle d’acceptation dans une société d’accueil.
Vous avez mené un travail
sur le processus d’intégration linguistique chez les migrants installés au Cameroun. Simplement définie, à quoi renvoie-t-elle?
L’intégration linguistique est définie comme un processus qui commence par l’apprentissage de la langue d’accueil et se poursuit par une pratique de plus en plus fréquente de cette langue dans les différentes sphères de la vie quotidienne. Sont intégrés linguistiquement, les immigrants qui ont la capacité d’utiliser la langue véhiculaire locale dans leurs communications à caractère public.
La compétence en langue est-elle une conséquence de l’intégration dans la communauté d’accueil ou un préalable?
L’intégration passe par la possibilité et l’accroissement d’une mobilité sociale, linguistique et langagière à l’intérieur d’un espace social donné. Cette mobilité, à travers différents groupes sociaux, est permise grâce à des compétences dans une ou des langues par l’intermédiaire d’une participation accrue à des interactions variant selon leur fréquence et leur valeur communicative. La langue est un élément nécessaire, mais non suffisant, dans un processus comme celui de l’intégration qui passe par de nombreux méandres, positionnements, repositionnements et légitimités sociales, sociolinguistiques et socio-identitaires. Dans tous les cas, ces particularités linguistiques et discursives sont porteuses de valeurs microsociales.
Elles relèvent également de connivences linguistiques et d’ajustements réciproques au micro-contexte de la communication qui contribuent à l’intégration sociale générale. Plus qu’un niveau de compétence, elles rendent compte de l’intégration linguistique des individus concernés. En effet, elles peuvent émaner d’une fréquentation soutenue d’un groupe particulier de la société d’installation et de la création de réseaux sociaux avec des membres de ce groupe. Il est prouvé qu’une bonne connaissance de la langue est un critère important d’intégration. Elle permet un accès plus large au marché du travail et facilite les contacts sociaux. Mais cela ne signifie pas qu’aucune intégration n’est possible sans cette maîtrise. Tout dépend du sens donné à la notion d’intégration.
Propos recueillis par JRMA