PANORAMAPORTRAIT DÉCOUVERTE

Transports urbain et périurbain

Quand les bœufs suivent la charrue

 

Nul débat n’a autant secoué les populations camerounaises ces dernières années que celui de la «vie chère». Les ménages ont, aujourd’hui, avec la même quantité d’argent qu’hier, le sentiment de ne plus pouvoir acheter la même quantité de biens et services, en raison de la hausse des prix de certains produits, le carburant notamment. A les écouter, la situation pénalise les consommateurs les plus pauvres, ceux qui ont déjà le plus de mal à boucler leur budget. La question des prix comme enjeu politique ne cesse d’énerver les ventres affamés et de mobiliser des instances de la contestation, elles-mêmes nourries d’un fort sentiment d’injustice. Cette colère muette est peu prise en charge par les organisations syndicales ou politiques, dont les mots d’ordre et les actions portent avant tout sur les salaires.

Entre temps, la hausse (une de plus) des prix du carburant fait craindre un retour de l’inflation, elle-même amplifiée dans un contexte où de nouveaux modes de consommation couplés à des besoins toujours plus nombreux, font face à des salaires qui ne progressent que très faiblement ou stagnent le plus souvent dans le secteur privé.
Dans un tel contexte, les économistes du courant dominant adoptent un profil bas, surtout qu’ils s’accordent pour dire que la situation risque d’être longue et pénible. Ce d’autant plus que, visiblement, tout semble être fait à l’envers.

Bobo Ousmanou

Transports urbain et périurbain: la triche à tous les virages

1-La hausse en complément circonstanciel de temps
L’augmentation du carburant à la pompe le 2 février dernier va entrainer une hausse des tarifs de transports. Patrice Samen, président de la Fédération nationale des syndicats des chauffeurs professionnels du Cameroun ( FNSCPC) fait savoir que les nouveaux tarifs seront de 350 FCFA en journée et 400 FCFA la nuit, et 15 FCFA au lieu de 14 FCFA le Km pour le transport périurbain. Selon l’interlocuteur, les nouveaux prix à la pompe rendent le travail difficile. «Le secteur du transport est de en plus asphyxié malgré le contexte économique hostile et difficile. Les syndicats de transport l’ont compris et ils se battent pour trouver le juste milieu afin de ne pas étrangler les populations qui aussi rencontrent des problèmes existentiels». «Pour le moment, il est urgent, très urgent que le gouvernement nous convoque à une réunion pour un réajustement du prix du transport, parce que nous sommes éreintés de séparer les différends entre les chauffeurs et les passagers, entre les chauffeurs et les propriétaires de véhicule», fulmine-t-il. Le gouvernement a fait usage de la force pour faire passer les prix du carburant à la pompe. En revanche « il devrait avoir dialogue et les négociations en amont avant d’augmenter les prix du carburant et gasoil, pourquoi augmenter les prix avant les négociations? Il s’agit là d’une gouvernance par embuscade. Il faut que l’Etat joue franc jeu avec les partenaires sociaux. On devrait préparer l’augmentation et l’annoncer avec les mesures d’accompagnement», Poursuit-il très remonté.

Les plaintes
Il y a lieu de souligner qu’avant l’homologation de nouveaux tarifs, les plaintes fusent de part et d’autre. Dans la ville de Yaoundé, se déplacer n’est pas évident. Les passagers sont contraints de dépenser plus. «Les tarifs ont augmenté de 100 FCFA, et voire plus c’est trop. Pour qu’un chauffeur accepte le client il doit proposer pour la destination. Le trajet qui coutait 300 FCFA est passé à 400 FCFA et plus en journée», s’indigne Claude passager. Et de poursuivre que les taximen exagèrent, il faut que les autorités se penchent dessus. «Les pouvoirs publics doivent faire leur travail pour traquer ces les chauffeurs véreux qui mettent en difficulté les populations, qui aussi souffrent. Même si on parle d’une revue des salaires à la hausse, ces populations ne sont pas concernées. Les populations végètent et s’enlisent au quotidien dans l’extrême pauvreté, il faut manger, payer le loyer, nourrir les enfants et d’autres situations liées au déterminisme. Nous souhaitons que dans la résilience que les chauffeurs fassent preuve de retenu et de ne pas infliger des souffrances psychologiques aux passagers nous attendons les prix officiels des autorités compétentes sur ce dossier». Selon Marcelin Beyeke, président du syndicat des transports urbains et périurbains du Cameroun (SYNCTRAPUIRCAM) face aux spéculations des prix «nous demandons à nos camarades de Yaoundé de respecter les tarifs homologués en vigueur dans les différents secteurs de transports, cependant la possibilité de négocier à la hausse ou à la baisse est aussi envisageable pour un gré à gré d’accord parti».

2- Bénis oui oui, à bord!
A quoi bon mettre à la tête de l’avion un commandant de bord chevronné si la manœuvre se réduit à un simple tour de piste? Traduction : si on peut soi-même fixer les tarifs de transport sans s’appuyer sur des syndicats lointains ou inopérants, pourquoi pas? Sur l’axe routier Yaoundé-Mfou, c’est presque un réflexe. Les chauffeurs qui font le transport des personnes et des biens sur ce tronçon ont insidieusement conditionné les usagers. Au lendemain de l’annonce du relèvement des prix des litres de super et de gasoil à la pompe, ils se sont lancés dans une analyse économique de la relation entre les charges d’exploitation et les contrôles de police. «Nous sommes assujettis à une fiscalité d’arnaque sur cette route. C’est pour cela que le moindre frémissement dans la grille des prix du carburant se répercute immédiatement sur celui du transport», explique un chauffeur.

Sur la pertinence de ces arguments, beaucoup parmi ses collègues hésitent à se prononcer. Et du coup, tout se joue autour des relations directes avec les passagers. Les uns affichent un vaste refus sur fond de dénonciation. Les autres se cramponnent à la résignation, tout en faisant coïncider la hausse des prix du carburant à la pompe avec la maxime «on va faire comment». Et pour tout passager qui la reprend à son compte, cela ne lui laisse plus la possibilité de s’y soustraire et d’opérer un écart entre les prescriptions gouvernementales et les explications brandies par les chauffeurs. Ces derniers disent avoir la peine à verser la recette. Plus encore, les propriétaires de véhicules ne tiennent pas compte de cette augmentation. «Ma patronne sait que je dois verser 14 000 FCFA, à la pompe le prix du litre de super a été augmenté. Je mettais 8 000 FCFA pour 100 km. Maintenant je mets 10 000 FCFA pour la même distance», explique Jean Louis.

3- Menaces
Les conséquences de l’augmentation du prix du carburant à la pompe le 3 février ne se sont pas fait attendre. Ayant évalué l’impact de cette mesure gouvernementale sur leur activité et revenus, plusieurs transporteurs prennent sur eux d’augmenter les tarifs du transport, à leur guise. Cas pratique au lieudit Auberge Bleue Odza. «Depuis quelques jours, les mototaximen ont augmenté le prix du transport de 50 FCFA, d’autres vont jusqu’à 100 FCFA. Ils prétendent que le carburant est devenu cher», explique Nathan. Le commerçant venu effectuer une livraison de marchandise dans ce coin de la cité capitale ce 5 février en est déçu. Non loin de là, le même sujet fait l’objet d’un débat houleux entre Tamo et sa cliente. Celle-ci reproche au conducteur de taxi qui l’a transporté du quartier Tropicana au lieudit Poste centrale de lui réclamer 400FCFA, au lieu de 300 FCFA. La cause, explique-t-il, elle «a simplement évoqué la destination sans préciser qu’elle allait payer 300FCFA». «Jusqu’ à preuve du contraire, aucun ministre n’a encore annoncé une nouvelle augmentation du prix du transport en commun. Donc, si je ne propose pas un prix, je paie 300CFA. C’est toujours le tarif normal», explique-t-elle. Tandis que son vis-à-vis soutient mordicus que le «tarif normal» est désormais de 400. Le parfait dialogue de sourd ne s’achève que grâce à l’intervention de quelques passants bien informés et bien outillés.

Ayant eu vent de ce genre de scènes, Luc Magloire Mbarga Atangana a adressé une correspondance aux présidents des syndicats des transporteurs le 5 février dernier. Le ministre du Commerce (Mincommerce) s’y insurge énergiquement contre cette «augmentation unilatérale et sauvage des prix du transport urbain, périurbain et interurbain». D’ailleurs, le membre du gouvernement rappelle que «gouvernement et syndicats se sont engagés à ouvrir sans délai des concertations en vue d’examiner l’impact du réajustement des prix des produits pétroliers et d’envisager des mesures d’accompagnement possibles, avant de s’accorder sur une augmentation éventuelle du coût des prestations de transport», détaille-t-il.

Par conséquent, Luc Magloire Mbarga Atangana ne s’encombre pas de paroles vaines. Dans sa correspondance, il demande aux présidents des syndicats d’inviter les concernés à «rejoindre cette démarche commune de responsabilité citoyenne, en renonçant sans aucune autre formalité à leurs agissements déstabilisateurs et répréhensibles». Et pour mieux s’en convaincre, le collaborateur du chef de l’État met en garde les contrevenants désormais exposés aux sanctions stipulées par la règlementation en vigueur.

Vue sous un angle, la sortie du ministre du Commerce est légitime. Seulement, elle s’éloigne du quotidien des transporteurs. «Moi j’ai augmenté le prix du transport de 50 FCFA pour pouvoir gagner quelque chose. Par le passé, je pouvais avoir plus de trois litres de carburant à 2500 FCFA. Mais aujourd’hui, à ce prix, je ne peux qu’avoir trois litres dans ma moto. Et cela a un impact sur mon revenu», se défend Daouda, conducteur de moto au quartier Odza-Auberge Bleue. «Le coût de la vie qui va crescendo. De la location d’une maison à l’achat des vivres et jusqu’au payement de la pension dans les écoles et autres. On ne peut pas faire autrement. Mais on va s’arrimer et s’en remettre à nos syndicats pour que la situation soit résolue». Ce n’est pas ce que pense tout le monde. «Comme à chaque fois, le gouvernement camerounais prend des mesures, nous subissons et c’est après qu’ils pensent à des mesures d’accompagnement. Une fois encore, ils ont mis la charrue avant les bœufs. Ce n’est pas normal. Ils doivent prévoir les conséquences et y trouver des mesures palliatives avant la moindre annonce».

Dans son adresse à la jeunesse camerounaise le 10 février dernier, Paul Biya, a pourtant indiqué toute la nécessité de cette mesure, ainsi que la rationalisation y relative. «Je sais que, comme vos parents, vous êtes préoccupés par la récente augmentation des prix des carburants à la pompe. Vous êtes également, sans doute inquiets, des répercussions qu’elle pourrait avoir sur vos conditions de vie. Je tiens à vous assurer que les efforts nécessaires ont été faits, pour maintenir dans des proportions raisonnables ce réajustement. Afin de préserver le pouvoir d’achat des ménages, j’ai également donné des instructions pour geler les prix du gaz domestique et du pétrole lampant. Vous devez savoir que cette opération s’est avérée inévitable, en raison des contraintes budgétaires actuelles et de notre souci d’éviter les pénuries.», a déclaré le chef de l’État du Cameroun.

André Gromyko Balla, Olivier Mbessite, Josph Julien Ondoua

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