Edgar Alain Mebe Ngo’o : Le fils de «dieu» entame son long carême

Au terme d’une enquête préliminaire, celui qui fut, tour à tour, directeur du Cabinet civil, délégué général à la sûreté nationale, ministre de la Défense… a été placé en détention provisoire à la prison centrale de Kondengui.

La «créature» (à gauche) et son «créateur» (à droite)

Mercredi 6 mars, les fidèles catholiques entament le carême. 40 jours de pénitence, de privation et de prière. Pour un homme, le chemin de croix a commencé 24 heures plus tôt. Il s’agit d’Edgar Alain Mebe Ngo’o. Après une énième audition par les enquêteurs du Corps spécialisé des officiers de police judiciaire du Tribunal criminel spécial (TCS), l’ancien directeur du Cabinet civil de la présidence de la République du Cameroun est placé en garde à vue dans une des cellules du parquet de cette juridiction spéciale. La descente aux enfers du fils déchu vient alors de connaître une accélération. L’ancien ministre des Transports (octobre 2015-mars 2018) sait que la machine est en marche, et qu’elle ne s’arrêtera pas avant de l’avoir complètement broyé.

Fils adoptif
Souvent présenté comme le « fils » du président de la République Paul Biya, « dieu » lui-même au Cameroun, Edgar Alain Mebe Ngo’o est pour ainsi dire « persécuté » depuis plusieurs mois déjà; selon un membre du directoire du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), le parti au pouvoir, auquel l’ancien ministre appartient en qualité de membre du Comité central.

Depuis le 2 mars en effet, date à laquelle Edgar Alain Mebe Ngo’o est éjecté du gouvernement suite à un décret présidentiel portant « réaménagement » de l’équipe gouvernementale, l’homme n’était plus libre de ces mouvements. Après le retrait de son passeport courant 2018, celui qui a battu le record de longévité au poste de ministre de la Défense (2009-2015) voit sa liberté de mouvement restreinte. Ses sorties publiques sont de plus en plus rares.

En janvier 2019, Edgar Alain Mebe Ngo’o est littéralement assigné à résidence surveillée dans son immense villa cossue d’un quartier huppé de la capitale Yaoundé. Et tout ceci, à mesure que ses auditions au TCS se multiplient. Un samedi du mois de janvier, l’homme est même interdit de se rendre dans son village Nkolfong, par Zoétele, dans la région du sud du Cameroun dont est par ailleurs originaire le chef de l’État Paul Biya.

La chronique mondaine supputait d’ailleurs à souhait et à loisir sur l’estime que le président de la République porte à Edgar Alain Mebe Ngo’o. Ce dernier est le « fils adoptif du président de la République » qui a « grandi au palais » sous la haute protection de son père. Pour certains, Mebe Ngo’o est le rejeton d’un homme qui a été un ami très proche de Paul Biya.

Ascension
Administrateur civil principal diplômé de la prestigieuse École nationale d’administration et de magistrature (Enam), Edgar Alain Mebe Ngo’o se fait remarquer en 1997, alors qu’il est le préfet du Mfoundi, le département abritant la capitale Yaoundé.
Au mois d’avril cette année-là, le sémillant préfet ne sourcille pas, lorsqu’il faut interdire une conférence de presse, puis assigner à résidence surveillée Titus Edzoa.

Son tort : celui qui était encore quelques jours avant le très proche collaborateur du président Paul Biya a eu l’outrecuidance de se déclarer candidat à l’élection présidentielle contre son ancien patron.
Quelques mois plus tard, Mebe Ngo’o est bombardé directeur du Cabinet civil de la présidence de la République, un poste qui vous assure une des plus grandes proximités avec le très distant Paul Biya.

Délégué général à la Sûreté nationale de 2006 à 2009, Edgar Alain Mebe Ngo’o est craint en tant que patron de la Police nationale. Son influence s’agrandit davantage lorsqu’il est fait ministre de la Défense en 2009. Là, commence aussi le début de ses malheurs.

Affaire Magforce
Déjà présenté comme un haut fonctionnaire à la richesse ostentatoire, Edgar Alain Mebe Ngo’o ne cesse d’amasser. Comme lorsque profitant du besoin constant de l’Armée en renouvellement de matériel militaire, il se met en cheville avec la Magforce, une firme française spécialisée dans la fourniture d’équipements militaires. Celle-ci est déjà dans le collimateur de plusieurs gouvernements européens (français et espagnol) pour ses méthodes peu orthodoxes d’acquisition des marchés.

Aujourd’hui, c’est l’affaire Magforce qui fait plonger l’éléphant de Zoétélé. La justice soupçonne l’ancien ministre de la Défense de surfacturation dans l’acquisition de matériel militaire. Ici, des bottes, des tenues militaires, ou encore des équipements d’armement et de protection individuelle. La Magforce vendait ainsi ces équipements plus chers que sur le marché, et encaissait avec l’ex-ministre, le surplus sur chaque unité vendue.

En 2017, une enquête du journal français Le Point révèle un vaste réseau de rétrocommissions qui implique Robert Franchitti, le patron de Magforce, le colonel Mboutou, alors ex-secrétaire particulier du ministre de la Défense, Maxime Mbangue, ancien conseiller technique à la Défense et Victor Menye, directeur général adjoint de la banque SCB.

Rétrocommissions
Selon Le Point, le ministère de la Défense camerounais passait chaque année, une commande d’équipements individuels de 8 à 10 millions d’euros (5,24 et 6,55 milliards de francs CFA) à la Magforce. Dans ces contrats, la Magforce «arrosait» le ministre Mebe Ngo’o à travers ses intermédiaires, notamment le colonel Mboutou. Le Point évoque des rétrocommissions allant jusqu’à 705 000 euros (461,8 millions de francs CFA), dont 400 000 (262 millions francs CFA) versés en espèces. C’est d’ailleurs ce cash qui a attiré l’attention des autorités françaises. Une enquête judiciaire est ouverte contre la Magforce et son dirigeant Robert Franchitti.

Comme le révèle un document qui a « fuité » du TCS, ce sont les transactions financières hautement douteuses impliquant la Magforce, qui valent à l’ex-ministre de la Défense, de se retrouver aujourd’hui emprisonné.

Sous les lambris dorés de Yaoundé, il se murmure que Paris, à travers son ambassadeur au Cameroun Gilles Thibault, reçu maintes fois en audience par le président Paul Biya, avait assuré de la coopération de la justice française, si Yaoundé décidait d’ouvrir une information judiciaire contre Edgar Alain Mebe Ngo’o. Le fils de «dieu» et ses acolytes commencent donc une période de carême qui devra durer plus de 40 jours.

Bobo Ousmanou

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