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Étiquette : Unité nationale
Financements de la Bdeac: déjà 360 milliards FCFA au profit du Cameroun
Plusieurs institutions sous-régionales, à l’instar de la Commission de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) et de la Bdeac, se sont associées à la célébration de la fête de l’Unité nationale au Cameroun. Pour la Banque de développement des États de l’Afrique centrale, par exemple, ce 20 mai 2022 était aussi l’occasion de passer en revue le portefeuille projets de l’institution bancaire dans ce pays pivot de l’Afrique centrale. Et il ressort des résultats de cet exercice synthétisés dans une carte, que «le volume total des financements de la Bdeac au Cameroun s’élève à 360 milliards FCFA».
En effet, sous l’impulsion du président sortant de la Bdeac, Fortunato-Ofa Mbo Nchama, et sous ses prédécesseurs, 67 projets ont déjà pu bénéficier au Cameroun de l’appui financier de l’institution sous-régionale. La Banque de développement a ainsi su se tenir aux côtés du secteur public, mais également du secteur privé. Ce dernier secteur s’en sort d’ailleurs en termes de quantité, avec 51 projets financés par la Bdeac contre seulement 16 pour le public. Les secteurs d’intervention sont nombreux, transversaux et portent généralement sur des projets à forte valeur ajoutée ou ayant un fort impact sur le développement et la concrétisation de l’idéal communautaire. On retrouve dans ce registre «les infrastructures, l’industrie et l’agro-industrie, l’immobilier, les services, les télécommunications et les finances», fait savoir l’institution bancaire. Ces investissements au Cameroun permettent au final à la Bdeac de confirmer et consolider son statut de «partenaire de référence pour le développement humain et l’intégration régionale en Afrique centrale», pensent savoir ses responsables.
Théodore Ayissi Ayissi
Unité nationale: Ruben Um Nyobe, visionnaire
Remise en contexte des quelques phrases du «Mpodol» appelant à la cristallisation d’une énergie spirituelle fondée sur l’unité nationale.
1-«J’ajouterai simplement qu’il ne servirait à rien de constater et de dénoncer [les injustices et l’arbitraire du système coloniale] si l’action n’est pas organisée pour y mettre un terme». (Extrait du Rapport présenté au premier congrès de l’UPC, Dschang, 10 avril 1950).
2-«La réunification est la condition indispensable pour l’accession du Cameroun à son indépendance.
La réunification est la seule voie par laquelle le Cameroun doit passer pour accéder à son indépendance. Si on ne l’accepte pas ainsi, c’est qu’on est partisan de l’indépendance d’une partie du Cameroun au sein du Nigeria ou du Commonwealth britannique et de «l’indépendance» d’une partie du Cameroun «au sein de l’Union française». De ce fait, le peuple camerounais ne pourra plus jamais réaliser son unité qu’en ayant recours à l’expérience de ce qui se passe en Corée depuis juin 1950 (…) Le 13 octobre 1952, à l’appel de l’Union des Syndicats confédérés du Cameroun, organisation syndicale la plus représentative du territoire, les travailleurs se sont réunis en un grand meeting et ce meeting groupait des travailleurs d’appartenances syndicales diverses et des travailleurs inorganisés. Entre autres revendications soulevées au cours du meeting, la question de la réunification du Cameroun était l’une des plus essentielles, car, les travailleurs camerounais considéraient à juste titre que la division arbitraire de notre pays constitue une sérieuse entrave au progrès économique et social des masses laborieuses de notre pays. Dans de nombreuses sinon dans la plupart des pétitions reçues par la Mission de visite, la question de la réunification du Cameroun est soulevée avec insistance. (Extraits du discours à l’Onu, New York, le 17 décembre 1952).3-«Qu’on ne croie pas […] que nous nous laisserons intimider par les fusillades, les pillages et les tortures pour renoncer à notre noble mission qui est de continuer le bon combat pour la réunification et l’indépendance immédiates de notre beau et riche Kamerun» (Extrait de «Démission ou complicités françaises dans l’aggravation de la situation au Kamerun oriental», maquis, 2 décembre 1957).
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Unité nationale: la petite histoire
Selon certains intellectuels, Ruben Um Nyobe y a pensé. Ahmadou Ahidjo, aidé par le contexte, est venu donner de la consistance et de la pertinence émotionnelle au concept.
«Indépendant depuis le 1er janvier 1960, le Cameroun a axé son action dans la recherche persévérante de l’unité dans un pays qui a hérité de l’histoire la plus grande diversité : d’ordre ethnique, religieux, culturel. Il s’agit d’ériger, d’organiser cette mosaïque de races, de cultures, de valeurs en une «authentique nation». Conçue comme la conscience du peuple camerounais d’être engagé dans un même dessein au sein d’une patrie. Notre grand parti national, l’Union nationale camerounaise, a été le creuset au sein duquel a pu se forger l’unité nationale». Quand Ahmadou Ahidjo prononce ce discours en septembre 1971, il se taille l’image d’un grand visionnaire de la politique camerounaise. «Sauf que c’était sur un ton et avec des mots qui recyclaient un déjà entendu de la parole politique d’avant l’indépendance», nuance Bruno Teufack. Du point de vue de cet analyste sociopolitique, «le concept d’unité nationale n’était plus en germe, il vient de loin». «Le premier président du Cameroun avait saisi un sujet libellé par Ruben Um Nyobe. À ce dernier, il aurait manqué justement des termes d’accroche, propres à ouvrir les cœurs et les oreilles», postule l’universitaire.
Contribuant à cette ligne de réflexion, Achille Mbembe tient à départager les argumentations rationnelles des argumentations fallacieuses. «On aura beau se voiler la face, user de subterfuges, organiser une amnésie de masse. C’est à Ruben Um Nyobé et à l’Union des populations du Cameroun (UPC) que l’on doit la toute première tentative d’articulation de l’idée nationale au Cameroun», écrit l’historien et politologue camerounais dans les colonnes de Jeune Afrique du 9 octobre 2015.
Sur le même sujet, d’autres intellectuels insistent sur une autre constatation précieuse. C’est le cas de Élise Djomkam. La Camerounaise, spécialiste de communication politique a sa version de la paternité de «l’unité nationale». «Quand Ahidjo prononce, ces mots-là ne sont nullement nouveaux, sauf qu’ils sont subtilement et progressivement récupérés et répétés de manière de plus en plus fréquente», théorise-t-elle. La suite révèle que: «Après l’indépendance, le discours politique et la propagande n’ont véritablement pas forgé de nouveaux mots, mais il a changé leur valeur et leur fréquence permettant ainsi à Ahidjo de réquisitionner et de confisquer le concept d’unité nationale puisqu’il a compris que c’est ce qui pouvait faire mouche, et faire avorter tout projet upéciste».
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«La quête de l’unité est un idéal»
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Professeur titulaire des Universités, il est, à la fois, chef de la Division des affaires académiques, de la scolarité et de la recherche à la Faculté des Sciences juridiques et politiques de l’Université de Yaoundé II ; enseignant-chercheur au département d’Histoire de la Faculté des Arts, Lettres et Sciences humaines de l’Université de Yaoundé I. À la faveur du Cinquantenaire de l’unification, il passe certaines actualités sous son expertise.
Intégration : Professeur, si nombre d’entre nous ne connaissent pas nécessairement le sens de la fête de l’Unité dans son menu détail, reste que chacun sait combien la date du 20 mai est ancrée dans les esprits. Pouvez-vous nous rappeler le sens de la fête nationale ?
Pr. Christian Tsala Tsala : Merci de me donner la possibilité de contribuer à ce débat qui est d’actualité. Avant de répondre à votre question, il me semble important, pour bien situer vos lecteurs, de revenir sur un certain nombre d’éléments. La première chose à dire, c’est que le Cameroun est un protectorat allemand depuis 1884. L’Allemagne étant rendue responsable et perdante de la Première Guerre Mondiale, ses territoires d’Outre-Mer lui sont enlevés et confiés à la communauté internationale. Le Cameroun rentre donc dans ce qu’on a appelé le condominium franco-britannique, c’est-à-dire qu’il est conjointement géré, au nom de la communauté internationale, par la France et la Grande-Bretagne. C’est de 1916 à 1922.
Avec la naissance en 1922 de la Société des Nations (SDN), le Cameroun devient un territoire sous mandat de la SDN. Mais, comme celle-ci est une personne morale, la gestion quotidienne continue à être assurée par la France et la Grande-Bretagne. Chaque puissance mandataire reste campée sur ses positions territoriales à savoir, 4/5 pour la France et 1/5 pour la Grande-Bretagne. Sous cet angle, la SDN demande à ces puissances mandataires de favoriser l’émancipation du Camerounais pour que celui-ci prenne la gestion d son pays. C’est donc à partir de la là que les chefs douala saisissent la SDN pour demander la gestion du Cameroun sous leur direction. Charles Atangana Ntsama, chef supérieur des Ewondo et Bene, qui était manipulé par la France va réagir. Il estime que le Camerounais n’était pas suffisamment outillé pour diriger son pays. On va donc se livrer à ce jeu de ping-pong entre les chefs douala qui insistent ; et Charles Atangana Ntsama qui réplique à chaque fois. Et ce jusqu’au moment où Hitler (en 1934) décide de bouleverser l’ordre du monde. Il engage ses actions qui vont déclencher la Seconde Guerre Mondiale en 1939. Cette guerre s’achève une fois de plus avec la défaite allemande. L’on va constater que la SDN n’a pas été capable d’assurer la paix mondiale. Elle sera remplacée par l’Organisation des Nations unies (Onu). Les pays qui étaient des territoires sous mandat deviennent des territoires sous tutelle. Et maintenant, avec plus de précisions, il est demandé aux puissances tutélaires de conduire ces pays à l’indépendance dans un laps de temps.La France et la Grande-Bretagne, gardant toujours leurs positions territoriales, les Camerounais vont reposer le problème de l’indépendance et de la réunification du Cameroun au sein de l’Union des Populations du Cameroun (UPC) qui a vu le jour le 10 avril 1948. Son programme est clair : l’indépendance, la réunification et l’élévation du niveau de vie des Camerounais. Avec cet agenda, l’UPC commence à gagner du terrain. Cela inquiète sérieusement l’administrateur colonial. Celui-ci suscite la création des partis fantoches notamment ESOCAM (Évolution sociale camerounaise), RENAICAM (Renaissance camerounaise), INDECAM (Les Indépendants du Cameroun), CHARFRACAM (Charité française au Cameroun) et RAPECAM (Rassablement du peuple camerounais).
Que se passe-t-il ensuite?
Ces partis politiques ne réussissent pas à faire obstruction à l’implantation de l’UPC. L’administrateur colonial entreprend de détendre l’atmosphère en faisant en sorte qu’en 1951, les Camerounais élisent leurs représentants au sein de l’Assemblée territoriale. L’UPC qui occupe plus d’espace sur le plan politique est malheureusement marginalisée. On va user des stratagèmes pour que l’UPC n’ait pas assez d’élus. L’UPC va contester au niveau international. Ses leaders vont aux Nations unies pour poser le problème du Cameroun. Le problème de l’indépendance et celui de la réunification s’internationalisent.
En 1954, Roland Pré remplace Jean-Louis Soucadaux au poste de Haut-Commissaire au Cameroun. Cela signe la fin de la légalité de l’UPC. Les actions de Roland Pré font en sorte que l’UPC n’ait plus la possibilité de s’exprimer. Les meetings sont interdits. Les leaders sont traqués. À côté de cela, l’Église catholique s’invite à l’affaire en traquant aussi les militants de l’UPC. À côté de cela également, le refus de faire d’abandonner sa politique d’assimilation et d’établir un calendrier clair pour l’indépendance du Cameroun français transforme l’UPC en parti anti- colonial dur, violent et très zélé.En 1955, l’atmosphère tendue au Cameroun se transforme en insurrection armée à l’encontre des autorités coloniales et de leurs partisans. L’administration coloniale réagit le 13 juillet et l’UPC ainsi que ses organes annexes sont dissouts. On assiste à ce qu’on a appelé « le vide politique ». En octobre 1955, une mission de l’Onu arrive au Cameroun à l’effet d’évaluer la situation politique du pays. Cette mission se rend compte que l’unité du Cameroun, bien que n’étant pas menacée, est en péril. « Le vide politique » est là. L’activité politique est terne. On ne voit plus de mouvement. Ce qui semble donner raison à l’UPC aux yeux de l’opinion internationale.
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Le 4 avril 1957, le Cameroun est doté d’une constitution. André Marie Mbida est investi Premier ministre le 10 mai. Il est certes Premier ministre mais n’a pas de prérogative en matière de politique internationale, de justice, de défense et de monnaie. Tout cela est aux mains du Haut-commissaire en poste.
Entre temps, l’ATCAM devient ALCAM. C’est donc sous André Marie Mbida que le Cameroun adopte son drapeau, son hymne, sa devise, ses armoiries et ses ordres nationaux. Malheureusement, Mbida est victime de ce qui arrive au bulldozer, lui qui déblaie la route mais n’a pas le loisir de l’utiliser lui-même. Car, lorsque Mbida devient Premier ministre, il rentre en conflit avec ses camarades d’hier.
Et pourquoi cela?
Ce qu’il faut préciser, c’est que Mbida lui-même sort de l’écurie de Louis-Paul Aujoulat qui défend les intérêts français au Cameroun. La France qui, pour détendre l’atmosphère a besoin d’une indépendance à très court terme. Mais Mbida qui voit une indépendance à moyen ou à long terme, estime que le Cameroun n’a pas encore assez de cadres pour assurer son indépendance. Il est renversé le 18 février 1958 par Ahmadou Ahidjo. Ce dernier Premier ministre du Cameroun et le 1er janvier 1960, le Cameroun français devient un territoire indépendant.
Il se pose un problème. Nous avons dit que depuis le Cameroun est mutilé. 1/5 du territoire est géré par les Britanniques et 4/5 par les Français. Et des deux rives du Moungo, depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, les Camerounais expriment le vœu de se remettre ensemble. Le programme de la réunification trouve tout son fondement pour ce qui est de l’UPC. Il faut préciser que Ahmadou Ahidjo ne voulait pas de la réunification. Devenu président, il se dit d’abord qu’il a déjà le problème de l’UPC qu’il ne réussit pas à régler dans son propre territoire. Ensuite, il arrive au pouvoir de manière apparemment légale. Il n’a pas d’assise populaire. S’il ne réussit pas à gérer l’UPC, s’il continue d’avoir la dure opposition venue de la part d’André Marie Mbida, aller encore toucher le problème de la réunification et importer les Anglophones qui sont d’une autre culture (libertaire), est-ce qu’il va s’en sortir ? Il s’engage tout de même pour mettre l’UPC en difficulté. C’est-à-dire vider le programme de l’UPC et dire aux Camerounais « vous avez demandé l’indépendance, là voici ! Vous avez demandé la réunification, là voici !». Et dans ces conditions, les militants de l’UPC sont vus comme des gens de mauvaise foi. Voilà pourquoi il s’engage dans ce programme et le 1er octobre 1961 dans la partie anglophone. Dans ce contexte, le Cameroun se trouve avec 4 assemblées (assemblée législative du Cameroun français, celle du Cameroun britannique, la Chambre des chefs dans la partie anglophone et l’assemblée fédérale). Le pays a 3 corps de fonctionnaires (ceux du Cameroun britannique, ceux du Cameroun français et des fonctionnaires fédéraux). Nous avons aussi 3 gouvernements (le gouvernement fédéral, celui du Cameroun britannique et celui du Cameroun français).
Vous comprenez que le Cameroun qui vient d’accéder à l’indépendance n’a pas encore assez de moyens. Ahidjo utilise cet argument pour proposer la réunification afin qu’on réduise les dépenses pouvant aider le pays à construire des infrastructures et remettre les Camerounais ensemble comme ils l’avaient souhaité dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale.
Mais avant cela, Ahidjo va aussi utiliser des armes juridiques et la répression. Déjà en 1962, il prend l’ordonnance N° 62/OF/18 du 12 mars 1962. L’un des articles de cette ordonnance disposait que « tout individu qui émet des commentaires tendancieux même sur des nouvelles vraies est passible d’un emprisonnement ». André Marie Mbida, Charles Okala, Bebey Eyidi, Mayi Matip étaient les premiers à faire la prison à partir de cette ordonnance. Celle-ci a fait en sorte que les Camerounais se taisent et qu’on n’ait plus la différence sur le plan politique. Cela a donné naissance au parti unique, l’Union nationale camerounaise (UNC) en 1966. La gendarmerie et la police assurant la répression, on est rentré dans ce qu’on a appelé « la République du silence ». Avec ça, Ahidjo propose en 1972 à l’assemblée nationale de voter une loi en vue de l’organisation du référendum destiné à faire du Cameroun non plus la République fédérale du Cameroun mais la République unie du Cameroun. Le mercredi 20 mai 1972, le référendum est organisé. Et à une écrasante majorité, les Camerounais ont dit oui à la République unie du Cameroun. Voilà le parcours qui a permis de célébrer le 20 mai aujourd’hui.A lire aussi Sur les chemins rocailleux de l’unité nationale au Cameroun : de la réalité projetée à la construction souhaitée
Plus de 60 ans après les indépendances, les francophones et les anglophones sont toujours en quête d’unité nationale, pourtant officialisée par le référendum du 20 mai 1972, que répondez-vous à ceux qui estiment que le Cameroun va célébrer le 20 mai dans la division ?
Il faut déjà se dire que la quête de l’unité est un idéal. Donc, c’est un point asymptotique. Vous allez voir que dans les couples par exemple, on va chez le maire, on dit « nous sommes unis pour le meilleur et pour le pire ». Cela n’empêche pas qu’il y ait, de temps en temps, de petites querelles dans le foyer. On dira qu’on célèbre dans la division mais celle-ci n’est pas que l’œuvre des pouvoirs publics. C’est aussi l’œuvre d’autres responsables politiques et d’autres Camerounais qui ne veulent vraiment pas se mettre sous la peau des Camerounais. Ils veulent d’abord appartenir à des tribus (ce qui n’est pas un crime).
À l’initiative de M. Ahmadou Ahidjo, alors président de la République du Cameroun, le peuple camerounais s’est prononcé par voie de référendum, le 20 mai 1972, en faveur du passage de l’État fédéral à l’État unitaire. Considéré par la doctrine comme ayant constitué rien moins qu’un « coup d’État civil », ce référendum est, de nos jours, à la base de la principale menace d’implosion du Cameroun. On sait par exemple qu’à la faveur du retour au multipartisme en 1990, le débat portant sur la validité juridique du référendum de 1972 s’est ouvert. Comment interprétez-vous cet état de choses ?
«Coup d’État», je ne le dirai pas. Toutefois, il y avait eu une entente qu’on ne pourrait toucher à la forme de l’État sans consulter toutes les parties. Il y a donc une querelle à ce niveau. Nous avions une assemblée fédérale où il y avait des élus de la partie britannique du Cameroun, Ahidjo estime qu’il a consulté toutes les parties en posant le problème à l’assemblée. Et à l’assemblée, les Camerounais de la partie britannique n’avaient pas apporté une quelconque objection. Mais ces derniers pensent qu’il fallait une consultation populaire pour dire oui ou non au référendum. Maintenant, Ahidjo est passé par l’assemblée. Je crois qu’il y a eu une possibilité pour ces populations de dire non pour qu’on comprenne qu’elles n’adhèrent pas au projet relatif à l’unification. Mais à partir du moment où les gens ont voté par une écrasante majorité, je crois que je suis en droit de penser que ce n’était pas un coup d’État civil.
Lorsque les élèves de l’école normale de Foulasse écrivaient les paroles de notre hymne national, pensez-vous qu’ils étaient animés par une volonté de créer un hymne par-delà les tribus?
Je le crois. Il faut se dire une chose: les élèves de l’école normale de Foulassi sont ceux-là qui ont été majoritairement militants de l’Union des syndicats confédérés du Cameroun. C’est au sein de ce groupe qu’on a puisé beaucoup de militants qui ont créé l’UPC. Maintenant, il faut contextualiser. Au moment où l’hymne est composé, on est au Cameroun oriental. Ces élèves ont en projet de se battre pour la réunification du Cameroun, mais sans être sûrs du résultat. Étant au Cameroun français, ils ont pensé un hymne dans un contexte territorial et un environnement psychologique bien déterminé. Mais, au vu des actions qu’ils ont posées par la suite, ils se sont mis au-dessus des tribus.
D’aucuns disent que notre hymne est une très belle mélodie, les paroles sont riches de sens quand on pense au contexte dans lequel il a été composé. Mais, à côté, une opinion pense qu’elle ne reflète pas vraiment l’Histoire de notre pays. Cette opinion soutient qu’il est un chant patriotique sans ancrage géo-identitaire. Quels commentaires cela vous inspire-t-il ?
Tous les hymnes ne retracent pas forcément l’Histoire des pays. Je crois qu’au-delà de l’Histoire, les élèves de l’école normale de Foulassi ont convoqué les Camerounais au patriotisme, à l’unité, à la paix. De mon point de vue ces interpellations sont aussi importantes que le fait de retracer l’Histoire.
«Que tous tes enfants du Nord au Sud, De l’est à l’ouest soient tout amour, Te servir que ce soit leur seul but, Pour remplir leur devoir toujours ». Ces paroles tendent davantage à appréhender la paix sous l’angle d’une lutte, d’un combat en cours et qu’il faut conclure. Qu’en dites-vous?
Ces paroles interpellent les Camerounais au vivre-ensemble, elles les invitent à vivre en harmonie. Tout simplement !
Il est certain que de nombreux chants patriotiques composés à l’époque continuent de meubler vos souvenirs. Quelles thématiques développaient ces chants de votre époque?
Ils traitent du patriotisme, civisme, respect des aînés, respect de la chose publique et l’amour du pays. Tout cela, malheureusement n’est pas le cas aujourd’hui. Car depuis la maternelle, on enseigne plutôt des chansons obscènes aux enfants.
Il se dit couramment que Yaoundé est la « ville des chefs» et de « longs-crayons », la cité des responsabilités et des responsables politiques et administratifs. Ceux-ci ont une claire conscience d’appartenir à l’ « élite» du pays, élite du savoir et du pouvoir, et forment un groupe relativement cohérent dans la capitale ». À partir de ces différentes représentations, pensez-vous que Yaoundé, comme capitale a contribué à consolider l’unité nationale ou à la désagréger ?
Yaoundé, c’est la capitale politique du Cameroun. Même comme à cause des problèmes politiques et de certaines frustrations liées au partage du gâteau national, nous assistons à des remous çà et là. Et je crois qu’il est urgent que les pouvoirs publics essaient de repenser la politique afin de consolider l’unité nationale et à l’intégration à travers la fonction publique et à travers le partage du gâteau national.
Quels commentaires vous inspire la configuration actuelle des lieux symboliques de l’unité nationale à travers le pays ?
Je ne suis pas sûr qu’ils ont été pensés. D’où l’impact minime sur la conscience collective.
Le palais de l’Unité, est aujourd’hui le siège de la présidence de la République, et par extension, la présidence elle-même. Comment ce nom a –t-il été adopté ?
Je ne peux le dire avec exactitude. Tout ce que je sais c’est que, Ahidjo avait trouvé que le premier palais présidentiel est un bâtiment qui avait été utilisé par les administrateurs coloniaux. Quand il a commencé à sortir du contrôle des Français, il était aussi important de sortir physiquement de ce contrôle. Raison pour laquelle il engage le chantier de construction du palais actuel ; surtout qu’à ce moment le Cameroun faisait partie des pays à revenu intermédiaire (l’équivalent de pays émergent aujourd’hui). Il fallait donc avoir une présidence qui cadrait avec la posture du pays à cette époque.
Pr. Christian Tsala Tsala
Sur les chemins rocailleux de l’unité nationale au Cameroun : de la réalité projetée à la construction souhaitée
Depuis ses premières interventions au Conseil de Tutelle des Nations Unies, le Cameroun est apparu aux yeux du monde comme un pays spécial doté d’un peuple qui ne cesse d’affirmer sa fierté, son ingéniosité, sa créativité, sa combativité, son unité, mais également sa partialité, sa médiocrité, sa cruauté et son opiniâtreté.
S’il y a un concept qui y a toujours occupé le nuage des mots en gros caractères, c’est certainement l’unité nationale. L’unité supposée du territoire a connu son premier choc le 4 Mars 1916 avec l’échec du condominium franco-britannique qui a entraîné, dès le 6 Mars de la même année, le partage du territoire. Or, comme l’avait éloquemment et avec justesse relevé le professeur Jean Emmanuel Pondi, jusqu’à cette crise, il n’y avait ni anglophone, ni francophone au Cameroun.
Une administration fractionnelle au détriment de l’unité du territoire
En passant du protectorat allemand aux mains peu heureuses de la double administration franco-britannique, le territoire camerounais a connu une macération des semences de la division à travers un processus de construction des identités plurielles par deux administrations tutélaires concurrentes rapaces et opposées aux valeurs énoncées dans la Charte de l’Atlantique (1941), pourtant prônées par leur mandant onusien. Ainsi, au lieu de préparer le territoire à une « indépendance complète », ces deux figures du colonialisme ont planté, en un peu plus de quatre décennies (44 ans), des semelles architecturales de l’édifice d’un « mini-rideau de fer culturels » entre des Camerounais qui n’en avaient point fait la demande. Malgré les efforts inlassables de l’UPC, principal artisan de l’indépendance du Cameroun, les résultats à l’orée de la décade 60 ne correspondaient pas aux attentes des Camerounais. Pourtant, tout en œuvrant inlassablement à la réunification du Cameroun entre 1959 et 1961, John Ngu Fontcha et Ahmadou Ahidjo, alors principales têtes de proue, n’ont pas su être suffisamment prudents et perspicaces dans la construction de l’unité du Cameroun. Les conséquences des décisions prises alors montrent, des décennies plus tard, qu’il aurait fallu faire plus attention à cette période délicate de l’histoire de notre pays. Nos leaders n’ont pas été inactifs, mais leur travail n’avait pas été suffisant.
Les leaders ont été engagés et décisifs
Il y a lieu tout de même de relever que leur rôle a parfois été sous-estimé. Alors que les mandataires onusiens cherchaient à rattacher les territoires à eux confiés aux grands ensembles voisins conquis précédemment par leurs soins respectifs, les leaders camerounais luttaient pour créer un État unitaire aux contours à préciser. En effet, malgré l’appel et les manœuvres des autorités Nigérianes visant à convaincre nos frères de l’autre côté du Moungo d’abandonner la « politique réunificationiste » avec la partie sous tutelle française, J. N. Fontcha qui avait précisément pris part à la célébration de l’indépendance du Cameroun oriental le 1er Janvier 1960, n’a pas raté l’occasion de la célébration de l’accession du Nigeria à son indépendance le 1er Octobre 1960, pour préciser ses idées lors de son adresse aux peuple et Gouvernement Nigerians, en ces termes : «Mr Prime Minister [Sir Tafawa Abubakar Balewa]. Sir, it may sound a pity to some well-meaning Nigerians to learn that the attainment of independence is the separation of the British Cameroons from Federation. While I appreciate their point of view and disappointment I have to point out that is a matter for the people to decide and that they should be given the chance to do so… you wish us well whichever way we may choose to go». En substance, l’indépendance du Nigeria a marqué la séparation du Cameroun occidental de la Fédération nigériane. Le peuple du Cameroun occidental, qui se prononcera sur son avenir plus tard, venait de faire le pas décisif vers la réunification dont l’élection aura lieu les 11 et 12 février 1961.
Cette posture était conséquente, car, assistant à la célébration de l’accession du Cameroun oriental à l’indépendance le 1er janvier 1960, il s’y était déjà montré engagé dans la marche vers la Réunification. Les propos ci-dessous le confirment : «Today, we of the Southern Cameroons see the beginning of the unity of our country in the independence of Eastern Kamerun, we have always believed that the shortest course to unity of the two sectors is through independence. I have all along been immensely impressed with the unanimity of the demand for independence and reunification in Eastern Kamerun, a unanimity which obliged even United Nations to rule out the need for a plebiscite to ascertain the wishes of the people. Encouraged by this patriotic spirit, I would like to insure you that we of the other sector of Kamerun are working hard to make possible the coming into being of this great country of Kamerun». À son tour, dans sa démarche de convaincre ses frères du Southern Cameroons, Ahamdou Ahidjo prononça un discours marquant le 27 janvier 1960 à Victoria. Il déclara : «On dit, d’autre part que nous n’avons plus les mêmes habitudes, que nous n’avons plus les mêmes langues et moi je dis : si vous, de votre côté, vous avez réussi à avoir les mêmes habitudes que les Anglais en quelques décades et nous, si nous avons réussi à avoir la même langue que la France en quelques décades, comment ne pourrions-nous pas ; nous qui sommes frères, nous sommes appelés à vivre jusqu’à la fin du monde, ne pourrions-nous pas nous entendre et avoir les mêmes habitudes et la même langue ?».
Ensemble jusqu’à la fin du monde, … le chemin peut être parfois rocailleux
De ces « rappels en mémoire », il ressort assez clairement que la construction de l’unité nationale est entravée par l’absence d’une « indépendance complète » voulue par la Charte de l’Atlantique. Entre la déclaration et la matérialisation de l’unité transparaît un écart que les dirigeants ont négligé ou sous-évalué.
La contestation de la légitimité du président Ahidjo et les positionnements politiques de ses partenaires de l’autre côté du Moungo ont semblé prendre le dessus sur le but visé de l’acte référendaire du 20 Mai 1972. Le référendum, quoi que précipité, a porté le Président Ahidjo en triomphe, lui qui souffrait encore d’un déficit de légitimité. Ce contexte a influencé le comportement des artisans de l’unité qui ont davantage mis l’accent sur leurs positionnements personnels respectifs que sur les objectifs communs fixés. Tout en annonçant le multiculturalisme, Ahmadou Ahidjo a réussi à subjuguer les cultures locales en priorisant les cultures tutélaires. Les langues étrangères ont vaincu et surclassé les langues nationales. Il s’est même retrouvé promoteur de la francophonisation du pays, laquelle n’a pas manqué de nourrir la nostalgie de l’option zéro par endroits chez les rétifs de la démarche.
À la différence de son prédécesseur, le Président Paul Biya très tôt a voulu donner un élan particulier à l’unité nationale dès 1984. Certains choix supposés être des avancées ont provoqué des effets contreproductifs. Certes, il a connu la contestation de son autorité et la crise économique entre 1986/1987. Néanmoins, le retour à la valorisation de la dimension culturelle et structurante de l’unité a semblé quelque peu tardif, si l’on considère la consécration officielle du multiculturalisme le 23 Janvier 2017. Malgré le focus mis sur l’unité nationale dans son discours, certaines populations n’ont pas jugé vigoureuses les mesures prises ni transformatrices des mentalités, les pratiques adoptées notamment dans la gestion des structures étatiques. En guise d’illustration, l’adoption du train de mesures prises au milieu de la décennie 2010 renforçant le bilinguisme et le multiculturalisme dans le pays et au sein des institutions intervient dans une atmosphère de revendications. Cela a dû affecter l’effet escompté au sein la «clientèle politique». Les identités culturelles secondaires ont pris une position dominante. La décentralisation consacrée dans la loi fondamentale en 1996 ne prend forme finalement qu’en décembre 2019. Si ces efforts du Chef de l’État sur le plan institutionnel sont indiscutables, l’offre a été inférieure à la demande. Dans ce contexte, les impatiences et incompréhensions ont pris la forme des revendications irréductibles, voire d’une surenchère séparatiste, faisant de la construction de l’unité, un défi permanent.
Bien que les leaders politiques camerounais n’aient jamais négligé la construction de l’unité, il n’est pas superflu d’indiquer que les populations ont souvent jugé les actions et le rythme comme des aspects méritant une amélioration substantielle. Depuis la création de l’État fédéral, les attentes et revendications n’ont pas faibli. La période de 1961-1972 qui a paru plus inclusive selon l’appréciation des populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest notamment, n’a pu durer plus longtemps ; les impacts financiers du fonctionnement des institutions fédérales ont eu raison des préoccupations libertaires. Paradoxalement, l’avancée proposée en 1984 a été interprétée diversement dans certaines parties du pays. En effet, la nostalgie des termes et symboles rappelant l’histoire fédérale ou encore l’origine plurielle des entités ayant formé le Cameroun dont la superficie est de 475 442 km carrés au 1er Octobre 1961, reste un aspect non seulement à prendre en compte, mais à mobiliser en vue d’une mise en perspective consistante d’un avenir national en lien et en cohérence avec son passé.
Plus de focalisations sur les marques et symboles de l’unité à tous les niveaux
À ce stade, il devient utile de s’attarder sur l’intérêt des dates et lieux susceptibles de servir de lieux de mémoire. Entre le 11 février, le 1er Octobre, le 6 Mai et le 20 Mai, laquelle de ces dates servirait mieux la cause de l’unité nationale ? Quel contenu nouveau donner au paquet de l’unité nationale ? Malgré les monuments et autres sites chargés de mémoire, la question a le mérite d’être posée d’autant que certains analystes estiment que le 20 Mai célèbre davantage la victoire d’un homme, le Président Ahmadou Ahidjo, lui qui incarna l’aile souple ayant négocié l’indépendance du Cameroun oriental avec les français, et dont le nom n’est pas véritablement entré dans la prestigieuse liste des auteurs de faits d’armes ou des grands hommes qui ont porté les différents mouvements de libération nationale sur le continent. D’autres, pour y associer son successeur, évoquent le design de la célébration du 20 Mai qui met en avant le patron du défilé. Certes, le Président Paul Biya met en exergue le couple armée-nation en ce « lieu de rencontres », à ce moment d’unité nationale. Les différents thèmes retenus et l’organisation du défilé sont éloquents à cet égard. Néanmoins, la célébration permet-elle aux populations camerounaises de s’approprier le projet politique qui leur a été soumis par les dirigeants successifs autour du vivre ensemble, de la cohésion et de l’intégration nationales ? Le devoir de mémoire rend-il suffisamment service à la nation et son histoire au cours des différentes festivités ? Autant de questions qui méritent un approfondissement de la réflexion en vue de la consolidation des acquis.
Quelle que soit l’option qui pourrait être retenue, les Camerounais ont besoin de voir plus de manifestations de l’unité aussi bien à travers les productions normatives et institutionnelles qu’à travers des politiques publiques symboliques fortes, marquantes, comprises et valorisées par l’ensemble de la population. Sur le parcours de la construction de l’unité nationale, les autorités de Yaoundé devront surtout faire attention autant aux décalages entre les événements et dates symbolisant l’indépendance et la réunification qu’aux défis de désintégration et d’appropriation de l’unification. Cela participera certainement de la construction d’une unité nationale, stable, crédible et durable.
Paul Batibonak
Ministre Plénipotentiaire
Coordinateur du CRÉDIS (Centre de Recherches, d’Études Diplomatiques, Internationales et Stratégiques).
Ô Cameroun, berceau de nos ancêtres… Du chant patriotique à l’hymne national
Au cours d’une conférence donnée le 12 mai 2022 à Yaoundé, le vice-Recteur de l’Université de Yaoundé I Eric Mathias Owona Nguini a entretenu le public sur l’histoire de cet emblème du Cameroun.
En prélude à la célébration de la fête de l’Unité nationale du Cameroun, la Basilique Marie reine des Apôtres s’est muée en amphithéâtre. Les fidèles curieux ont assisté au cours magistral sur l’histoire de l’hymne national dispensé par le Professeur Eric Mathias Eric Owona Nguini. Selon le Vice-Recteur de Yaoundé I, «cet hymne national n’a pas été créé au départ comme hymne national, mais plutôt comme chant patriotique en 1928 par les élèves de l’Ecole Normale de Foulassi notamment Samuel François Minkyo Bamba, René Jam Afane, Manga Nkomo. Le chant patriotique sera adopté en hymne national en 1957, au moment de l’avènement de l’Etat autonome du Cameroun par l’Assemblée législative du Cameroun. Plus tard cet hymne a été entériné en 1960 lors de l’accession à l’indépendance».
Après la Réunification, situe le Professeur Eric Mathias Owona Nguini, le gros œuvre était d’établir un hymne qui devrait être en conformité avec l’évolution du Cameroun, dont les deux parties se sont réunifiées à l’occasion du référendum du 1er octobre 1961. C’est à cette occasion que de regretté de mémoire, le professeur Bernard Folon a composé la version anglaise de cet hymne et en 1970, certaines formulations qui avaient une coloration coloniale ont été enlevées. On fait ici référence aux paroles «à la barbarie et à la sauvagerie»; le Professeur Bernard Folon a essayé de retranscrire ces «valeurs dans la version anglaise qui a été finalement confirmée en 1978 par l’Assemblée Nationale du Cameroun» rappelle Eric Mathias Owona Nguini.
Code de conduite
L’hymne tel qu’il a été conçu porte des valeurs, des valeurs d’abord de la reconnaissance du fait que «nous les Camerounais avons un destin commun, le Cameroun est le berceau de nos ancêtres, ce pays porte aussi des valeurs d’authenticité, c’est la tombe où dorment nos pères et à qui nous rendons un culte» martèle le Professeur. «L’hymne national n’est pas seulement un code de valeur et de sens, c’est aussi un code de conduite, à l’heure où nous fêtons le cinquantenaire les Camerounais doivent bien relire cet hymne national, et comprendre que ses créateurs étaient des visionnaires pour l’essentiel, le message diffusé par ce chant est un message qui dépasse le temps c’est un message atemporel».Lire aussi: Unité nationale: Sens et contresens à l’échelle du pays
Olivier Mbessité
Unité nationale : Paul Biya noie le poisson
A l’approche du 20 mai, Etoudi a engagé une campagne de propagande pour embrouiller le débat sur la construction de cet idéal.
Depuis le début du mois de mai, les comptes Facebook et Tweeter de Paul Biya sont particulièrement actifs. Chaque jour désormais, des messages en français et en anglais, les deux langues officielles du pays, y sont postés. Fil conducteur unique: l’unité nationale. En analysant ces messages, le président de la République semble préoccupé par trois choses: positionner l’unité nationale comme un acquis, «une condition et un facteur de la paix et du progrès» et inviter «tous les Camerounaises et Camerounais à réaffirmer dans les faits leur attachement à cette grande œuvre». Le thème choisi pour la célébration de la fête nationale cette année est dans la même veine. Il est en effet un appel aux «citoyens camerounais» à rester «unis dans la diversité» et à préserver «la paix sociale, pour un Cameroun stable, indivisible et prospère».
Parallèlement à cette campagne menée via les comptes officiels du président de République et de la présidence de la République sur les réseaux sociaux, une autre est en branle dans les médias publics. Les choses ont été bien organisées, les messages sont synchronisés et les éléments de langage identiques. Aussi en lançant la série sur la CRTV, la radio gouvernementale, son directeur général parle du Cameroun comme «d’un modèle de construction patiente d’une nation sur des bases improbables». Pour Charles Ndongo, du fait de la montée des velléités séparatistes dans les régions anglophones, le 20 mai 2018 devrait être pour toute la nation, «comme un premier test de respect et d’attachement au contrat d’unité scellé depuis 46 ans».
Problème anglophone
La méprise est justement là. Car comme l’on souvent indiqué à moult reprises de nombreux experts d’horizons divers, l’unité du Cameroun repose sur des bases fragiles. La construction de l’Etat unitaire qu’on célèbre cette semaine est et a toujours été contestée. La crise anglophone qui secoue actuellement le pays, est une métastase de cette contestation que l’on nomme le problème anglophone. Il est né de la réunification du Cameroun oriental, francophone, d’avec le Cameroun occidental, anglophone et minoritaire (2 régions sur 10), auparavant séparés par la colonisation. Non sans raisons, une partie des citoyens originaires des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest y ont toujours vu un processus «d’assimilation» mené avec l’aide de la France.
Le cardinal Christian Tumi, originaire du Nord‐Ouest, raconte dans son ouvrage «Ma foi: un Cameroun à remettre à neuf», paru aux éditions Veritas en 2011, une anecdote fort saisissante : «(…) Nous étions invités, d’autres évêques d’Afrique centrale et moi, à l’ambassade de France auprès du Saint‐Siège. (…) Un fonctionnaire de l’ambassade m’approcha (…) sans le moindre soupçon de sa part que je pouvais être un camerounais anglophone, il me dit : nous (la France bien sûr) sommes contents que vous soyez en train de réussir l’assimilation culturelle des anglophones».
Yves Mintoogue, historien: «La suppression par M. Biya (?) en février 1984 de l’adjectif « Unie » et le retour à l’expression « République du Cameroun » (nom du Cameroun francophone avant la réunification) ont été perçus par les anglophones comme l’acte final du processus d’assimilation historique de leur identité particulière»
La façon dont le pays passe de la République fédérale issue de la conférence de Foumban d’octobre 1961, à la République du Cameroun tout court en février 1984, aide à renforcer ce sentiment. «Le référendum du 20 mai 1972 sur l’unification a lui‐même été dénoncé à posteriori comme un acte imposé par son seul initiateur, Ahmadou Ahidjo. La suppression par M. Biya (?) en février 1984 de l’adjectif « Unie » et le retour à l’expression « République du Cameroun » (nom du Cameroun francophone avant la réunification) ont été perçus par les anglophones comme l’acte final du processus d’assimilation historique de leur identité particulière», soutient l’historien Yves Mintoogue dans une tribune libre publiée en 2004.
«Le chef de l’Etat continue d’enregistrer des opinions qui semblent ne voir comme issue à cette grave crise, que ce qu’elles appellent un dialogue franc et sincère. Allons donc. Si l’on admet ce principe, quelles en seraient les modalités opérationnelles? Quels visages les représentants de l’Etat auraient-ils en face d’eux? Et puis voyons, quels problèmes cet éventuel dialogue prétendrait-il résoudre autres que ceux clairement identifiés et que le chef de l’Etat a depuis méthodiquement et systématiquement résolus?», interroge Charles Ndongo.
Nombre d’experts (Jean Koufan, Vivianne Ondoua Biwole, Christian Pout …), de hauts commis d’Etat (David Abouem à Tchoyi, Garga Haman Adji, Abakar Ahmat…) et des hommes d’église (Mgr Samuel Kleda, cardinal Christina Tumi…) se sont pourtant maintes fois exprimés sur la question. Et une constance se dégage: le dialogue dont il est question ici, devra permettre de revisiter la marche du Cameroun vers l’Etat unitaire dans le but de construire des compris sur les points de divergence.
Perversion du droit
La vérité est que, de ce dialogue-là, Paul Biya n’en veut pas. Il l’a lui-même clairement dit lors de son discours à la Nation le 31 décembre 2016: «Le peuple camerounais, comme un seul homme, s’est engagé à construire une nation unie, inclusive et bilingue. Il s’agit là d’une expérience unique en Afrique. Comme toute entreprise humaine, notre expérience n’est pas parfaite. Elle a des aspects perfectibles. Nous devons donc rester à l’écoute les uns des autres. Nous devons rester ouverts aux idées mélioratives, à l’exclusion toutefois, de celles qui viendraient à toucher à la forme de notre Etat». «Nous sommes disposés, à la suite et dans l’esprit des artisans de la Réunification, à créer une structure nationale dont la mission sera de nous proposer des solutions pour maintenir la paix, consolider l’unité de notre pays et renforcer notre volonté et notre pratique quotidienne du vivre ensemble. Et cela, dans le strict respect de notre Constitution et de nos institutions», avait-il ajouté.
Pour Paul Biya, le Cameroun ne peut donc être rien d’autre qu’un Etat uni et décentralisé d’où le blocage actuel. Pourtant, lorsqu’il a fallu supprimer la limitation des mandats présidentiels, c’est le même Paul Biya qui affirmait que «les constitutions ne sont pas faites ne varietur, le peuple lui-même détermine ce qui est bon pour lui». Cette attitude, Fabien Nkot l’appelle la «perversion politique du droit». L’actuel conseiller technique au Premier ministère théorise le concept dans sa thèse intitulée «Perversion politique du droit et construction de l’Etat unitaire au Cameroun» soutenue en février 2001 à l’université de Laval au Québec. Le travail de recherche montre notamment que dans le cadre de l’instauration de l’Etat unitaire, «les dépositaires du pouvoir imaginent et élaborent un ensemble de techniques de tricheries juridiques qu’ils mobilisent progressivement et systématique pour atteindre des objectifs politique qu’ils se sont préalablement fixés».
Aboudi Ottou