Semaine du foncier : Bulle de nerfs contre les Asiatiques
Les géants agro-industriels chinois et indonésiens sont soupçonnés d’avoir volontairement boycotté les débats sur l’accaparement massif des terres au Cameroun.
«Ça va être énorme!» Après son discours d’ouverture, Henri Eyebe Ayissi, répétait, à qui voulait bien l’entendre, à quel point les débats de la Semaine du foncier allaient être historiques. Le ministre des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières (Mindcaf) jetait ainsi les bases d’un événement décliné en creuset de réflexion participative face aux enjeux fonciers à l’échelle nationale. Pour certains représentants d’organisations de la société civile (OSC) présentes à l’hôtel Mont Febe ce 25 janvier 2021, l’implication personnelle d’au moins 5 membres du gouvernement augurait de riches échanges dans un contexte marqué par les accaparements massifs de terres agricoles au Cameroun. Au milieu de ceux qui s’en sont félicités, il y en a qui se sont avoués «déçus».
«Déception»
Le mot est lâché. Il est prononcé par quelques dignitaires traditionnels. «Nous sommes nombreux à dire qu’il faut que ces étrangers s’expriment et expliquent à tous au nom de quel droit ils nous arrachent impunément nos terres», regrette Lucien Mbanga, chef de groupement Samo (Région de l’Est). Pour rejoindre l’une des analyses de Kisito Ebode, chef de 3e degré officiant à Lobo (région du Centre), il est clair que les «ogres fonciers» asiatiques ont boudé la Semaine du foncier, «parce qu’ils se savaient ciblés».
Quelques hypothèses sérieuses valident que l’absence des représentants des multinationales agricoles est «un tabou qui tient d’une autocensure permettant de ne pas assister à la mise en place de verrous réglementaires sur les achats de terres agricoles par des étrangers». Ce raisonnement, on le doit à de nombreuses organisations de la société civile conviées. À l’unisson, elles revendiquent des conclusions ayant reconstitué, parfois à l’unité près, les listes de villageois illégalement expropriés par des géants agro-industriels asiatiques dans plusieurs régions du Cameroun. Galvanisées par la tenue de la Semaine du foncier, des OSC étaient pourtant là pour «affronter» Chinois et indonésiens. «Nous sommes ici pour tenter de trouver des convergences de luttes et des alternatives concrètes à opposer à ces gens», fulmine Lucien Mbanga.
En novembre 2020, un rapport d’une quarantaine de pages publié par l’ONG Environnemental Investigation Agency (EIA) et le Centre pour l’environnement et le développement (CED) dénonçait comment des sociétés vietnamiennes vident illégalement les forets camerounaises sans être inquiétées. De même, la liste des griefs est longue contre Sud Cameroun Hévéa, filiale du géant du caoutchouc de Halcyon Agri, basé à Singapour parle d’elle-même: 10 000 hectares de forêt rasés en huit ans, accaparement des terres, expropriation des populations autochtones pygmées sans indemnisation, menace sur la réserve naturelle du Dja, l’un des poumons verts de la planète… Dans le sud du Cameroun, la société exploite une concession de plus de 100 000 hectares de terres.
Mais les Asiatiques ne sont pas les plus gourmands. Il y a aussi des investisseurs privés venus d’Amérique, d’Europe et d’Afrique. Selon le «Länder Matrice» de 2013, les dix plus importants acteurs des acquisitions foncières en Afrique sont les Emirats arabes unis (1,9 million d’hectares), l’Inde (1,8 million d’hectares), le Royaume-Uni (1,5), les USA (1,4), l’Afrique du Sud (1,3), l’Italie (0,6), l’Allemagne (0,5), le Soudan (0,5), l’Éthiopie (0,4) et le Portugal (0,4).
Jean René Meva’a Amougou