Produits agricoles : Le Cameroun, grenier de la Cemac
Commercialiser ses produits alimentaires dans la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), voilà une autre opportunité que le Cameroun peine à saisir pleinement. Selon des experts, cela constitue, sans doute, l’une des voies royales vers la diversification de l’économie du pays. Jusqu’ici, à peine 1% de ses exportations formelles des produits agricoles sont destinées à la sous-région.
Un marché existe pourtant. Entre 2004 et 2015, les importations agricoles de la Cemac provenant du reste du monde ont augmenté de 179 % ; alors que les importations en provenance des pays de la sous-région n’ont augmenté que de 41%. La communauté continue donc d’aller chercher très loin sa pitance.
Sur le chemin, encore et toujours, la multiplication des points de contrôle. Selon un nouveau rapport de la Banque mondiale sur ces check-points publié le 30 août dernier, il est établi que le Cameroun met lui-même des crocs-en-jambe à ses propres producteurs désireux de conquérir le marché de la Cemac. Intégration vous présente les principales conclusions et les recommandations de cette étude.
Le pays est de loin le plus grand producteur et exportateur des produits agricoles de la sous-région.

«Briser les obstacles au commerce agricole régional en Afrique centrale». Ainsi s’intitule l’étude de la Banque mondiale publiée le 30 août dernier à Yaoundé. Mais bien que titré ainsi, «le rapport est axé sur le cas du Cameroun qui est actuellement le principal producteur et exportateur agricole de la Cemac [Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale]». A l’exception notable du Tchad, les autres pays de la Cemac n’exportent quasiment aucun produit agricole vers le Cameroun, bien qu’ils importent des quantités importantes de ce pays.
Selon les données officielles sur le commerce, le Cameroun a exporté des produits agricoles au sein de la Cemac pour une valeur de 13 millions USD en 2015 (soit plus de 7 milliards de francs CFA à la valeur du dollar au 7 septembre 2018). Au vu de ces données, les principales exportations sont : le riz blanchi, les soupes et bouillons, l’eau minérale et autres préparations. La République du Congo, qui vient après le Cameroun, n’a exporté des produits agricoles (principalement de la canne à sucre et ses dérivés) que pour une valeur de 2 millions USD la même année. La République Centrafricaine, le Tchad, la Guinée Equatoriale et le Gabon en ont exporté vers leurs partenaires de la Cemac pour moins de 1 million USD de produits agricoles.
Opportunités
N’eût été les entraves au commerce, les parts de marché du Cameroun seraient encore bien plus importantes. Les exportations de produits agricoles à destination des pays de la Cemac ne représentaient que 0,7% de toutes les exportations des produits agricoles en 2015. Ces exportations pourraient d’ailleurs être un peu plus élevées. Le commerce agricole régional se faisant également par voie informelle, les transactions ne sont toujours pas enregistrées dans les systèmes de données nationaux. C’est le cas des 155 000 tonnes de produits agricoles et horticoles non enregistrés et expédiés du Cameroun vers ses voisins de la Cemac en 2008 pour une valeur estimée à près de 38 milliards de francs CFA.
Cette position de premier importateur va de soi. Avec 61% de la production agricole (voir graphique) de la sous-région, le Cameroun est de loin le plus grand producteur de la Cemac. Le Tchad et la République Centrafricaine sont de très loin derrière pays «grenier de la sous-région». Même en tenant compte de la croissance démographique, la production alimentaire a considérablement augmenté au Cameroun.
La Cemac compte 6 pays et 48 millions d’habitants. Et le marché sous-régional de produits agricoles reste à satisfaire. Entre 2004 et 2015, les importations agricoles de la Cemac provenant du reste du monde ont augmenté de 179 % alors que les importations en provenance des pays de la sous-région n’ont augmenté que de 41%. Le Nigéria est un autre vaste marché qui tend les bras au Cameroun. Certaines cultures sont très prisées. Mais pour saisir toutes ces opportunités, le Cameroun doit encore booster sa production et réduire les entraves au commerce qui restent nombreuses (voir article page 7).
Aboudi Ottou
Les grands bassins de production
Toutes les régions du Cameroun disposent d’un potentiel important de production agropastorale. Le Nord et l’Ouest concentrent l’essentiel de la productivité. Ils constituent par ailleurs les principaux viviers de produits vendus en zone Cemac.
Ouest-Cameroun
Le rapport de la Banque mondiale identifie comme principal bassin de production la région administrative de l’Ouest. «Elle représente une zone de production importante et dynamique pour les produits commercialisés dans la zone Cemac et au Nigeria», annonce ledit rapport. On y cultive la banane plantain (également produite en abondance dans les régions administratives du Sud-ouest, du Centre et du Littoral), l’avocat, la tomate, le maïs, les haricots. On y produit aussi de la viande de volaille et des œufs.
Nord-Cameroun
La partie Nord du Cameroun (comprenant les régions administratives du Nord et de l’Extrême-nord) est une autre zone d’intérêt en raison de son importance dans la production de céréales sèches, d’arachides et de légumineuses. Sa position géographique pour le commerce agricole et le transit du bétail entre le Tchad, la République Centrafricaine et le Nigéria est une autre propriété indéniable de cette région.
Entraves au commerce
Le Cameroun se fait hara kiri
Seulement entre Foumbot (Ouest) et Kye-ossi (Sud), les exportateurs doivent franchir 52 barrières et débourser plus de 65 000 F CFA.
«Les tracasseries sont généralisées dans la région de la Cemac et constituent un facteur important de coûts du commerce régional. Il s’agit d’une forme généralisée de corruption constituée de nombreux petits paiements sans délivrance de reçu et sans cause à des fonctionnaires, notamment à la police, à l’armée, la gendarmerie, aux responsables des ponts bascules, aux agents de la circulation routière et aux autres autorités», constate le rapport de la Banque mondiale, codirigé par Joanne Gaskell et John Keyser.
Entraves locales
Le rapport démontre que le Cameroun lui-même commence par obérer la compétitivité de ses exportateurs. Tenez, entre Foumbot (Ouest) et Kye-Ossi (Sud), un camion de marchandises de 12 tonnes doit franchir 52 barrières réglementaires et non règlementaires. Ce qui lui fait perdre 140 minutes en arrêts (en cas de traversée rapide) pour un coût de 65 000 francs CFA.
Entre Foumbot et Douala (Littoral), les tracasseries augmentent les coûts de transport de 0,03 dollar par tonne et par kilomètre (soit une augmentation de 25%) si la valeur du temps du conducteur et le coût d’opportunité de l’immobilisation du véhicule ne sont pas pris en compte (voir tableau 1). Entre Foumbot et Kye-Ossi, les tracasseries augmentent les coûts directs de 0,02 dollar par tonne par kilomètre (une augmentation de 15%) (Voir tableau 2).
Systématisation
Une fois sortie du pays, les entraves s’aggravent. En terre équato-guinéenne, entre Kye-Ossi et Bata, un camion de 7 tonnes endure 32 contrôles, 3 heures et 55 minutes pour un coût moyen total de 124 500 francs CFA. En direction du Gabon, un camion de 20 tonnes sur le corridor Abang-Minko’o-Libreville fait face à 44 contrôles pour une durée de 15 heures et 34 minutes et un coût moyen total de 1, 98 francs CFA.
Les enquêtes sur le terrain menées par les équipes de la Banque mondiale révèlent que le long des corridors, il est universellement perçu que, même si tous les documents sont en ordre, les paiements sont toujours nécessaires. Sans ces paiements, les agents publics retardent tout simplement l’expédition jusqu’à ce que le paiement soit effectué. L’un des exemples les plus fréquemment cités, qui a été à l’origine de la grève des transporteurs en mars 2018, est le cas des postes de pesée non étalonnés. De ce fait, ces postes donnent des résultats très différents à chaque arrêt, nécessitant plusieurs paiements «correctifs» sans délivrance de reçu.
Zacharie Roger Mbarga
Les recommandations de la Banque mondiale pour briser les obstacles au commerce agricole régional