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«Orphée noir» de Jean-Paul Sartre

Comment aurait réagi Sartre à cet empire qui refuse de mourir? Qu’aurait-il répondu à Macron qui, tout en parlant de la fin du pré carré français, est opposé à la fermeture des bases militaires illégalement installées en Afrique? Il lui aurait probablement suggéré de laisser les Africains se débrouiller tout seuls, de « cesser d’étouffer l’Afrique » (pape François), de faire rentrer ses soldats en France, de ne plus s’ingérer dans les affaires des Africains, de leur rendre leur argent qui «dort» dans le Trésor français.

Jean-Paul Sartre

En 1948, Jean-Paul Sartre (1905-1980) préfaçait «L’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française» de Léopold Sédar Senghor. Cette préface, le philosophe et écrivain français l’avait intitulée «Orphée noir» en référence au héros de la légende grecque qui serait descendu aux Enfers pour en ramener son épouse Eurypide. Pour Sartre, le poète noir descend, non pas dans le royaume de Hadès comme le Grec Orphée, mais en lui-même pour récupérer, assumer et affirmer son identité à la face du monde. Une identité dont il n’a plus honte comme ces Nègres souffrant d’un grave complexe d’infériorité et ne rêvant que d’être et de faire comme le Blanc dans «Peau noire, masques blancs» du Martiniquais Frantz Fanon, comme ces Africains qui, quoiqu’ayant étudié et séjourné en Occident, continuent de penser que seul le Blanc est à même de produire le beau, le bon et le vrai et que rien de bon ne peut sortir de leur continent.
Si Sartre accepta d’écrire cette préface, c’était parce que, d’une part, il se réjouissait de la prise de conscience, par le poète noir et par le Noir en général, de son identité et parce que, d’autre part, il voulait attirer l’attention de ses frères blancs sur le fait qu’était révolu le temps où “le Blanc a joui du privilège de voir sans qu’on le voie”, le temps où “l’homme blanc était blanc comme le jour, blanc comme la vérité, blanc comme la vertu”. En un mot, Sartre désirait partager avec ses frères occidentaux l’idée que les Noirs s’étaient mis debout et que “leurs bouches n’allaient plus chanter les louanges du Blanc”.
75 ans plus tard, peut-on affirmer que tous les Noirs sont debout? Ma réponse est “oui” et “non”. Oui, parce que des hommes et des femmes, marchant dans les pas des Victor Biaka Boda, Um Nyobè, Mamadou Dia, Patrice Lumumba, Thomas Sankara, Anne-Marie Raggi, Marie Koré, Joseph Ki-Zerbo, Harris Mémel-Fotê, Mongo Beti, n’ont jamais songé à courber l’échine, ni à baisser les yeux, ni à faire le pitre afin de bénéficier des miettes qui tombent de la table du Blanc. Le Centrafricain Faustin-Archange Touadéra, les Maliens Assimi Goïta, Choguel Maïga et Abdoulaye Diop et les Burkinabè Ibrahim Traoré et Apollinaire Kyelem font partie de ces Noirs dignes et libres. À côté d’eux, nous avons les éternels complexés, la cohorte des “oui, patron”, des “oui, mon Père”. Ces derniers ne se contentent pas de se faire manipuler par le Blanc, ni de prendre systématiquement fait et cause pour lui. Ils sont prêts à accomplir les besognes sales et odieuses : ôter la vie à leurs propres frères que l’Occident trouve gênants pour ses intérêts, détruire leur propre pays, pourvu que le Blanc leur concède un semblant de pouvoir. Pour ces adeptes de l’adoration du Blanc et de l’agenouillement devant lui, le Blanc reste toujours “blanc comme le jour, blanc comme la vérité, blanc comme la vertu”, même s’il est de notoriété publique que des soldats français ont violé et sodomisé des mineurs au Burkina Faso et en Centrafrique, que ces soldats ont eu leur part de l’argent volé par les rebelles de Ouattara à la BCEAO de Bouaké, Man et Korhogo en 2003, qu’ils ont tiré à bout portant en novembre 2004 sur des jeunes manifestant pacifiquement devant l’hôtel Ivoire d’Abidjan pour la souveraineté de leur pays, qu’ils étaient au Mali, non pour combattre les terroristes, mais pour piller l’or et l’uranium de ce pays, que plusieurs de leurs prêtres et religieux pratiquent tranquillement l’homosexualité ou la pédophilie tout en jugeant leurs confrères africains incapables de vivre la chasteté.
Dans quel camp peut-on placer Senghor, dont «L’Anthologie» fut préfacée par Sartre? Était-il un Africain debout? Il est indiscutable que le premier président du Sénégal contribua à la prise de conscience et à l’affirmation de notre identité en lançant et en promouvant le concept de négritude avec le Martiniquais Aimé Césaire et le Guyanais Léon-Gontran Damas, en organisant à Dakar le Premier festival mondial des arts nègres (1er-24 avril 1966), tout comme il est incontestable qu’il fut bien inspiré de ne pas s’accrocher au pouvoir comme les Houphouët, Omar Bongo ou Eyadéma. Cela dit, lorsque Senghor décida de passer ses vieux jours en France, ne transmettait-il pas le message que l’Occident vaut mieux que l’Afrique et que, quoi qu’on dise, le Blanc est supérieur au Noir? Une des choses que je reproche au président-poète, c’est précisément cette incohérence. Si nos chemins avaient pu se croiser, je lui aurais dit, gentiment mais fermement, qu’il n’est pas suffisant de vanter l’identité noire ou de proclamer sa négritude mais qu’il importe aussi de la valoriser concrètement en construisant chez soi des hôpitaux, écoles, centres de recherche, bibliothèques, routes, ponts et maisons de retraite dignes de ce nom. Car aimer l’Afrique et être digne, c’est, entre autres choses, ne pas “dormir sur la natte des autres” (Joseph Ki-Zerbo). Un principe qu’Abdou Diouf et Abdoulaye Wade n’ont jamais pris en considération, puisqu’ils n’ont pas hésité à emprunter le même chemin que l’enfant de Joal en choisissant de prendre leur retraite en France, ce qui est bien dommage pour le Sénégal qui compte quand même des fils dignes et sérieux comme Sembène Ousmane et Cheikh Anta Diop. Ceux-là et d’autres n’ont jamais eu honte de l’Afrique, de leurs cultures, de leurs langues, de leurs religions. Sartre soutenait leur combat comme en témoigne cet extrait de sa préface : «C’est en s’abandonnant aux transes, en se roulant par terre comme un possédé en proie à soi-même, en chantant ses colères, ses regrets ou ses détestations, en exhibant ses plaies, sa vie déchirée entre la «civilisation» et le vieux fond noir, bref en se montrant le plus lyrique, que le poète noir atteint le plus sûrement à la grande poésie collective : en ne parlant que de soi il parle pour tous les nègres ; c’est quand il semble étouffé par les serpents de notre culture qu’il se montre le plus révolutionnaire, car il entreprend alors de ruiner systématiquement l’acquis européen et cette démolition en esprit symbolise la grande prise d’armes future par quoi les noirs détruiront leurs chaînes.»
Comment aurait réagi Sartre à cet empire qui refuse de mourir? Qu’aurait-il répondu à Macron qui, tout en parlant de la fin du pré carré français, est opposé à la fermeture des bases militaires illégalement installées en Afrique? Il lui aurait probablement suggéré de laisser les Africains se débrouiller tout seuls, de « cesser d’étouffer l’Afrique » (pape François), de faire rentrer ses soldats en France, de ne plus s’ingérer dans les affaires des Africains, de leur rendre leur argent qui «dort» dans le Trésor français, etc.

 

Jean-Claude DJEREKE

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