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Marché financier : La révolution que prépare la Cemac

En vue de renforcer le rôle de la bourse dans le financement des économies de la communauté, un acte additionnel, signé le 19 février 2018, exige des réformes aux Etats-membres. Celles-ci appellent la modification de leur idéologie économique.

Jusqu’ici, l’attention des citoyens de la Communauté économique et monétaire des Etats de l’Afrique centrale (Cemac) est focalisée sur la fusion des deux bourses en activité dans la sous-région. Concomitamment à ce processus, une révolution beaucoup plus importe se prépare pourtant dans le secteur.

Elle est contenue dans l’acte additionnel du 19 février 2018 portant justement unification du marché financier de la Cemac. En vue de renforcer le rôle du marché financier dans le financement des économies de la Cemac, l’article 8 de ce texte donne deux ans, c’est-à-dire jusqu’au 19 février 2020, aux Etats membres de la Cemac pour effectuer un ensemble de réformes pour le moins révolutionnaires au regard du contexte.

Cet article dispose en effet: «en vue de renforcer le rôle du marché financier dans le financement des économies de la Cemac, dans un délai de vingt-quatre (24) mois, à compter de la date de signature du présent acte additionnel, les Etats procèdent à la cession partielle ou totale en bourse de leurs participations dans le capital d’entreprises publiques, parapubliques, ou issues de partenariat public-privé, notamment dans le cadre de programme de privatisation.

A l’adoption de cadres législatifs rendant obligatoire la cotation ou l’ouverture en bourse du capital d’entreprises ayant pour profession habituelle, la gestion ou la conservation de l’épargne publique (banques, compagnies d’assurance etc.). A l’adoption de cadres législatifs rendant obligatoire la cotation ou l’ouverture en bourse du capital d’entreprises multinationales ou filiales de multinationales exerçant leurs activités sur le territoire des Etats membres.

A l’adoption de mesures incitatives permettant d’assurer le recours des entreprises des secteurs économiques stratégiques aux marchés financiers. A leur entrée dans le capital de la bourse régionale à hauteur de 30%, soit 5% par Etat membre».

Changements

L’obligation faite aux entreprises publiques et parapubliques, aux microfinances, aux banques et aux compagnies d’assurance d’entrer en bourses, appelle de la part de ces structures des changements importants. D’abord en termes de transparence. Il faudra désormais tenir une comptabilité régulière et fiable sanctionnée par la production annuelle des états financiers crédibles (bilan, tableau financier des ressources et emplois, compte de résultats, états annexés, déclaration statistique et fiscale).

Ce qui est loin d’être le cas à ce jour.  Cette situation va contraindre les Etats d’améliorer la gestion des entreprises où ils sont actionnaires (unique, majoritaire, minoritaire…). Ensuite, beaucoup d’entreprises devront revoir leur statut juridique. Dans une interview au bihebdomadaire Défis Actuels, édition du 03 au 06 mai, l’économiste Jean-Marie Biada, indique que pour accéder au marché financier, «il faut être une société de capitaux, notamment une société anonyme avec conseil d’administration».

Or, constate cet expert des questions boursières, «la grande majorité des PME et grandes entreprises au Cameroun, ne sont pas des Sociétés anonymes avec conseil d’administration. (…) la grande majorité de sociétés de capitaux recensées, n’est faite que de sociétés anonymes avec administrateur général : ici, la taille du tour de table ne dépasse guère trois actionnaires». «Le vrai changement doit s’opérer à ce stade : au niveau des mentalités de nos opérateurs économiques à qui, Aimé Césaire, d’heureuse mémoire, rappelle dans Cahier d’un retour au pays natal, que l’ère des Destinées solitaires est révolue», estime l’économiste.

En somme, les six Etats membres de la Cemac sont fondamentalement conviés à modifier, dans un délai de 24 mois, leur idéologie économique. Celle-ci devrait davantage se muer vers une économie de marché clairement assumée. Mais l’intervention de l’Etat comme agent/client et agent/régulateur suggère davantage un keynésianisme proche de l’ordolibéralisme allemand. Un courant libéral selon lequel la mission économique de l’État est de créer et maintenir un cadre normatif permettant la concurrence libre et non faussée entre les entreprises. L’ordolibéralisme est parent du système d’économie sociale de marché.

Un marché peu développé

L’atonie actuelle du marché des capitaux en Afrique centrale est une préoccupation pesante. Jusqu’ici, les entreprises publiques et parapubliques, les microfinances, les banques, les compagnies d’assurances et les filiales multinationales exerçant dans la Cemac sont très peu présentes en bourse.

Au niveau du Cameroun, seules trois sont cotées au compartiment des titres de capital (Semc, Socapalm et Safacam). Au 31 janvier 2017, le montant des fonds levés sur le marché financier régional s’établit à 800 milliards de francs CFA. Aujourd’hui, sur les bourses du Cameroun et d’Afrique centrale réunies, la quantité de fonds levés ne représente que 1,4% du PIB.

Au Nigéria, les volumes de transactions boursières représentent 40% du PIB, même si on ne prend comme indice que la capitalisation. Au niveau de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa), le seuil avoisine 20% du PIB. Il y a donc du pain sur la planche. L’exemple des Etats-Unis montre bien que le marché est le meilleur moyen de financement. Le pays de l’oncle Sam finance son économie à 80% par l’intermédiaire des marchés financiers et à 20% par les banques.

Les pays d’Afrique centrale financent leur économie à 80% par les banques et à peine 0,5% par les marchés financiers. Le potentiel est pourtant réel. L’étude du cabinet Roland Berger sur le potentiel du marché financier régional révèle que le marché de la Cemac avait une profondeur estimée de 250 milliards de francs CFA en 2015 et pourrait atteindre 2 150 à 2 450 milliards de francs CFA en 2025.

Zacharie Roger Mbarga

 

Fusion des régulateurs: Le clair-obscur persiste

Malgré la signature le 11 avril 2018 d’une convention de coopération entre la Cosumaf et CMF, le flou demeure sur le processus d’unification des deux structures.

Signature de la convention de coopération entre la Cosumaf et CMF.

Alors que les craintes d’une autorégulation se propagent, les inquiétudes rejaillissent sur la fonte définitive de la Commission de surveillance du marché financier (Cosumaf) de la Cemac et la Commission des Marchés Financiers du Cameroun (CMF). Les pays de la sous-région reconnaissent l’avantage comparatif de l’institution camerounaise en expertise.

Mais la peur de voir le Cameroun «envahir» cet organe spécialisé de la Cemac rallonge les réflexions sur la méthode d’imbrication à mettre en œuvre. On en saura certainement davantage le 26 août prochain. A en croire Abbas Mahamat Tolli, gouverneur de la Beac et responsable du processus d’unification du marché financier, à cette date, «il va y avoir une réunion technique à Douala impliquant tous les acteurs des bourses et les régulateurs pour déterminer un calendrier avec un échéancier clairement établi pour nous permettre d’accélérer la mise en place de cette réforme».

Pour l’heure, seule une plateforme d’échange lie les deux institutions. Cessant ainsi d’être concurrente, la Cosumaf et la CMF ont récemment contractualisé une collaboration transitoire. Devant prendre fin en juin 2019 au maximum, la convention entre les deux institutions concerne l’échange d’informations et de documentations.

Le premier alinéa de l’article 2, section 2 de la convention du 27 mars 2018 postule en effet que «les autorités s’obligent, pendant la période transitoire, à se transmettre, recevoir ou échanger toutes les informations et la documentation jugées utiles à l’exercice de leurs missions respectives, en matière de délivrance de visas et d’agréments, de contrôle ou de surveillance des opérations et des entités assujetties».

Le second axe majeur est la reconnaissance mutuelle des visas relatifs aux opérations de bourse. L’article deux indique «les visas relatifs aux opérations de marché délivrés dans le cadre de l’exercice de leur missions par l’une ou l’autre des autorités aux émetteurs de leur juridiction sont mutuellement reconnus et acceptés par elle. Ces visas produisent leur effet sur le territoire des 6 Etats de la Cemac. Aucun émetteur ou opérateur ne peut se voir contraint de solliciter simultanément les visas des deux autorités parties à la présente convention»

Craintes

Le troisième trépied de cette convention concerne la reconnaissance mutuelle des agréments et habilitations délivrés aux entités assujetties. Il s’agit ici, tel que précise l’article 4, du fait pour les deux parties à la convention d’accepter, dans le cadre de l’exercice de leurs missions, les agréments et habilitations délivrés par l’une ou l’autre.

Ces parchemins sont investis du pouvoir que leur confèrent leurs signataires sur toute l’étendue du territoire sous régional. La convention encadre bien d’autres domaines tels que participation mutuelle aux réunions des organes délibérant (article 5), l’échange d’expérience (article 7), coopération technique et opérationnelle des bourses (article 10), tarification des services (articles 11).

Avec des structures étatiques comme principaux émetteurs des capitalisations boursières et obligataires, se dirige-t-on vers l’autorégulation ? Ou vers une détention majoritaire des capitalisations des Etats ? Le régulateur nouveau devrait, semble-t-il faire montre de séduction à l’égard des opérateurs privés ?

Zacharie Roger Mbarga

 

‘’Le principe premier qui gouverne les opérations du marché financier est la transparence’’

Jean-Claude Ebe-Evina

L’information et la formation constituent les deux pieds de la stratégie de vulgarisation des marchés financiers, à graduer en fonction des cibles et des produits

Le Camerounais est conseil expert financier près les Cours d’appel du Cameroun et enseignant-associé des universités. Il décrypte les ressorts de l’acte additionnel pourtant unification du marché financier de la Cemac.

 

La signature récente de l’acte additionnel portant unification du marché financier de la Cemac acte enfin l’unicité de l’entreprise de marché, de l’autorité de régulation et du dépositaire central. Que vous suggère cette décision des autorités sous régionales ?

Notons tout d’abord que cet acte qui date du 19 février 2018, survient peu de temps (soit trois mois et demi) après la résolution prise dans le cadre de la dernière session extraordinaire de la Conférence des chefs d’Etat de la Cemac à N’Djamena (du 31 Octobre 2017), et la consacre de ce fait.

Rappelons que ladite résolution qui faisait elle-même suite au communiqué de la session extraordinaire de la Conférence des chefs d’Etat de la Cemac du 23 décembre 2016 à Yaoundé d’une part, et à la décision prise le 27 février 2018 dans le cadre de la session du comité de pilotage du Programme des réformes économiques et financières de la Cemac (Pref-Cemac) d’autre part, visait à établir une seule place financière dans notre zone par voie de fusion de la place régionale domiciliée à Libreville avec la place nationale basée à Douala.

A l’observation du délai de réactivité des chefs d’Etat de la zone, cela est l’expression d’une réelle volonté politique commune mise au service de l’intérêt communautaire, qui a si souvent manqué et a été tout autant très souvent attendue, tant il est vrai que l’intégration régionale, puisqu’il s’agit bien de cela, est avant tout le produit d’une volonté politique, c’est-à-dire des hommes qui animent et tiennent le destin des Etats.

Dans ce sens, l’«avènement» de cet acte ne peut qu’être salué, surtout par les fervents de l’intégration régionale que nous sommes, s’agissant particulièrement de l’intégration financière qui constitue un puissant contributeur ou levier, à la croissance économique.

La plateforme transitoire des régulateurs financiers que crée la convention de Brazzaville sonne pour d’aucuns comme une mise à niveau de la Cosumaf par la CMF. Quel usage commun des ressources ces deux institutions peuvent entretenir à terme ?

La « Convention de coopération et d’échange d’informations entre la Cosumaf et la CMF », a été faite à Yaoundé le 27 mars 2018. Elle a pour objet «… d’organiser, pendant la période transitoire, la coopération, l’assistance mutuelle sur tous les sujets d’intérêt commun et l’échange d’informations entre la Cosumaf et la CMF ». On note que le période transitoire qui est d’une durée limitée, est la période comprise entre la date de signature de l’acte additionnel portant unification du marché et la date butoir (30 juin 2019) pour l’achèvement du processus d’unification du marché financier sous-régional.

Il s’agit pendant ladite période de prendre toutes dispositions utiles visant à poser dans un premier temps « la passerelle » entre les deux places concernées à l’effet de fluidifier les transactions financières sur l’ensemble du territoire zonal, et dans un second temps, à assurer la cohérence, C’est-à dire l’harmonisation des pratiques. D’où la nécessité de procéder par la phase initiale d’échanges d’informations en vue de leur analyse puis de leur validation le cas échéant.

Il s’agit notamment des textes organiques, des documents relatifs au processus de délivrance des visas et agréments ou licences, des documents relatifs aux instruments financiers qui ont cours sur les marchés, et toutes informations concernant la connaissance des opérateurs et acteurs des marchés.
Dans cet esprit, il n’est nullement question d’une quelconque inféodation ou suprématie d’une place par rapport à l’autre, mais plutôt de la mise en commun au profit de tous des infrastructures qui seront jugées efficaces.

Pour finir, il est utile de signaler que cette convention est d’ores et déjà opérante dans la mesure où elle dispose en son article 3 que « les visas relatifs aux opérations de marché délivrés dans le cadre de l’exercice de leurs mission par l’une ou l’autre des Autorités aux émetteurs de leur juridiction sont mutuellement reconnus et acceptés par elles. Ces visas produisent leurs effets sur le territoire des six (06) Etats de la Cemac ».

Il s’agit là d’une décision forte, qui consacre les démarches et négociations qui avaient déjà été entreprises depuis près de deux ans, entre les autorités ou régulateurs des deux marchés financiers.

L’obligation faite aux Etats membres de procéder à une cession partielle ou totale en bourse de leur participation dans les entreprises rentrant dans le domaine public contribue-t-il, selon vous, à consolider la présence des Etats ou à accroitre le rôle du marché financier dans le financement des économies locales ?

L’article 8 de l’acte additionnel dispose effectivement «En vue de renforcer le rôle du marché financier régional que les Etats membres procèdent à la cession partielle ou totale de leurs participations dans le capital d’entreprise publiques, parapubliques, ou issues de partenariats public-privé, notamment dans le cadre de programmes de privatisation ».

Pour apporter une réponse à votre question, il faut distinguer deux cas de figure. Pour ce qui est des entreprises existantes : l’incidence sur le financement de l’économie est indirecte, en ce sens que les opérations de cession de titres sont effectuées dans le marché secondaire (la bourse des valeurs mobilières), permettant simplement à l’Etat en l’occurrence de mobiliser son portefeuille, c’est-à-dire d’en tirer de la liquidité.

Cependant, il peut avoir un impact indirect en termes de contribution au financement de l’économie dans le cadre du recyclage qui est fait desdites ressources en investissant dans de nouvelles affaires éventuellement (quid du programme d’affectation des ressources). Par ailleurs, et non des moindres, l’autre effet attendu de cette opération de cession des titres par les Etats réside dans d’animation des marchés en y fournissant des produits, et à vulgariser la pratique d’investir en bourse en élargissant la base des investisseurs potentiels (les particuliers notamment en vue de développer l’actionnariat dit populaire).

L’autre situation relève des entreprises nouvelles. Dans ce cas, l’Etat en faisant appel public à l’épargne (APE) amène le marché financier à contribuer efficacement et de façon directe au financement de l’économie, plus justement et en l’occurrence, des économies.
Toujours en vue de montrer l’intérêt définitivement accordé par les Etats au développement du marché financier régional, il est requis « ….leur entrée dans le capital de la Bourse Régionale à hauteur de 30%, soit 5% par Etat membre ».

Cette orientation n’induit-elle pas automatiquement des réformes économiques et financières des Etats en vue de s’adapter aux exigences pointues du marché financier dont la transparence, la solvabilité, la rentabilité et l’équilibre des comptes ?
En effet. Mais il ne s’agit pas seulement des Etats, mais de l’ensemble des acteurs du marché financier, s’agissant en particulier des entreprises privées. Le principe premier qui gouverne les opérations du marché financier c’est la transparence. Le reste suit, car tout est affaire d’acceptation du risque en fonction du volume et de la qualité des informations disponibles, et de certaines exigences en termes de rentabilité à court ou moyen terme, et de degré de liquidité fonction de la profondeur du marché, c’est-à-dire la capacité dont dispose un investisseur à mobiliser les titres qu’il détient

La Cemac appelle en outre les Etats à adopter des cadres législatifs obligatoires pour l’introduction en bourse des entreprises privées nationales et des multinationales et des mesures incitatives pour le recours des entreprises stratégiques aux opérations du marché financier. A l’épreuve de la réalité, quelle est l’opérabilité d’une telle mesure ?

Le cadre juridique de base existe déjà : il s’agit des dispositions contenues dans l’acte uniforme Ohada relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique.
Pour ce qui est des cadres législatifs à caractère « compulsif », il s’agit là de mesures attendues visant à créer les conditions d’une animation du marché régional, qui me paraissent somme toute du domaine du faisable. Il faut se donner les moyens si et quand on veut atteindre un objectif.

Pour ce qui des mesures incitatives, on peut affirmer qu’il s’agit depuis 1990 d’une réalité, notamment pour le marché national camerounais, notamment en matière fiscale. Cependant, des améliorations demeurent attendues sur certains aspects comparativement aux autres marchés, y compris africains.
En fait, les points repris dans l’acte additionnel relèvent des conclusions de différentes études et diagnostics posées depuis quelques années, au vu de l’atonie constatée des deux marchés financiers de la zone.

Au regard de tout ce qui précède. Règle-t-on l’épineux et structurel déficit en culture financière ?

Certes pas. La question de la culture financière constitue un des points faibles relevés dans les diagnostics sus-évoqués. Dans ce sens, c’est un aspect critique qui entre dans le cadre de la stratégie de développement des marchés financiers de notre zone, comme cela a d’ailleurs été le cas dans le monde entier, et pour tous les marchés. L’information et la formation constituent les deux pieds de la stratégie de vulgarisation des marchés financiers, à graduer en fonction des cibles et des produits.

Interview réalisée par
Zacharie Roger Mbarga

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