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«Le silence de l’Afrique centrale doit contribuer à faire entendre la voix du sang versé des Africains par les Occidentaux»

Par ailleurs, lorsqu’il a été question de la Libye, pays limitrophe de l’Afrique centrale, les occidentaux ont-ils permis à nos dirigeants de s’exprimer pour qu’il en soit le cas aujourd’hui? Et plus récemment sur l’Ukraine, les pays occidentaux ont refusé d’écouter l’Afrique. Ils n’ont accordé aucune importance à la démarche de l’Union Africaine. Pourquoi l’Afrique centrale devrait-elle se croire obligée de donner de la voix alors même qu’elle est victime et qu’elle n’est pas encore considérée comme un acteur à écouter?

Paul Batibonak

Que vous inspire comme commentaire la situation actuelle au Moyen-Orient?
La situation au Moyen-Orient, et plus précisément en Palestine, a suscité un émoi particulier à travers la planète en raison de l’horreur et du degré de violence des actes posés de part et d’autre. Il est évident que cela atteste d’un niveau d’intensité regrettable pour un conflit de longue date qui n’a malheureusement pas connu d’issue satisfaisante pour les protagonistes. Des milliers de morts, des otages, des viols et vols, sont des choses dont le monde aurait pu se passer. Néanmoins, c’est une situation qui ne devrait susciter aucun commentaire africain particulier si l’on considère que les Nations unies et la communauté internationale s’en occupent depuis près de 80 ans et qu’il n’y a pas d’élément nouveau susceptible de provoquer un turning-point. Paradoxalement, le niveau de violence atteint, évitable il y a quelques semaines, est finalement considéré par la communauté internationale comme le chemin légitime pour assurer la paix, tout au moins pour Israël, malgré quelques considérations humanitaires.

Sur cette guerre Israël contre Hamas, on n’entend pas l’Afrique centrale. Pourquoi?
Le silence apparent de l’Afrique centrale devrait être considéré comme un silence éloquent. L’Afrique centrale ne manque sûrement pas de mots pour qualifier ces maux qu’elle n’ignore pas. La conflictualité en Afrique centrale est plus rampante et plus meurtrière qu’en Palestine. Dans la même temporalité (1946-2013), notre région n’a pas été moins meurtrie. Qui connaît le nombre de personnes tuées au Cameroun entre 1946 et 1967 dans le cadre de la guerre d’indépendance? Qui peut oublier les morts d’Angola, du Katanga ou du Tchad? Qui peut occulter le génocide rwandais de la dernière décennie du siècle dernier? La République Centrafricaine et la République Démocratique du Congo sont sous embargo militaire alors que des populations périssent. A-t-on compté le nombre de morts laissés par la domination européenne et ses conséquences en Afrique centrale depuis près de 80 ans?

Par ailleurs, lorsqu’il a été question de la Libye, pays limitrophe de l’Afrique centrale, les occidentaux ont-ils permis à nos dirigeants de s’exprimer pour qu’il en soit le cas aujourd’hui? Et plus récemment sur l’Ukraine, les pays occidentaux ont refusé d’écouter l’Afrique. Ils n’ont accordé aucune importance à la démarche de l’Union Africaine. Pourquoi l’Afrique centrale devrait-elle se croire obligée de donner de la voix alors même qu’elle est victime et qu’elle n’est pas encore considérée comme un acteur à écouter? L’Afrique centrale gagnerait à parler pour ses intérêts, à se concentrer un peu plus sur la rémanence mémorielle. Elle n’a pas assez évoqué la question de la mémoire comme d’autres. Le silence de l’Afrique centrale doit contribuer à faire entendre la voix du sang versé des Africains par les Occidentaux en terre africaine et ailleurs dans le monde.

On voit très bien que ce sujet est très glissant et sensible en Afrique centrale. Pourtant les intérêts d’Israël dans cette partie du continent se comptent au bout des doigts. Que comprendre?
Avant de penser que les intérêts d’Israël en Afrique centrale justifieraient le silence des pays de la Région, il faut resituer le problème dans son contexte. Personne ne doit occulter le fait que la question juive ou israélienne est d’abord un problème européen. Les pays européens sont à la genèse de l’embarras du monde. C’est de la maltraitance du peuple juif en Europe à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle que l’errance de ce peuple devient un problème mondial. Ils doivent se sentir concernés au premier plan avant tout autre pays de l’Afrique centrale. C’est suite à la persécution des juifs en Europe, à l’instar de l’affaire Dreyfus, que le besoin de leur trouver un foyer d’accueil est devenu pressant. Ce qui est survenu pendant la deuxième Guerre mondiale n’a donné qu’un coup d’accélération à ce projet. Entre 1893 et 1905, les juifs avaient longuement discuté d’un site pour leur État. À plusieurs reprises, la possibilité de créer cet État en Ouganda ou au Kenya a été évoquée entre le journaliste austro-hongrois et représentant de la communauté juive, Théodore Herzl, et Joseph Chamberlain, ministre britannique des colonies. Des explorateurs ont d’ailleurs visité les espaces ciblés en Ouganda et au Kenya. N’eût été l’opposition de certains juifs au projet britannique qui tenaient à un État juif sur la terre biblique, Israël serait aux portes de l’Afrique centrale. Mutatis mutandis, l’Afrique doit rester extrêmement vigilante.

En ce qui concerne le « glissement », je note que cette région est habituée aux glissements, même quand il s’agit de la rationalisation des Communautés Économiques Régionales. La sensibilité du sujet évoqué procède en réalité de sa complexité qui exige un peu de temps et d’espace pour apporter plus de clarté à vos lecteurs. De toute évidence, cette complexité voile mal les enjeux géopolitiques et géostratégiques. Néanmoins, il est constant que les pays africains prônent la paix et le dialogue sur la scène internationale tout en étant réalistes. Prenons quelques faits. En 1973, le Zaïre avait rompu les relations diplomatiques avec Israël avant de se raviser pour les rétablir en 1980. Et parallèlement, considérez la posture de la majorité des pays arabes. Que voit-on au-delà des condamnations de forme? Avez-vous examiné les rapports qu’ils entretiennent avec Israël? De nombreux pays d’Afrique centrale entretiennent des relations sereines et excellentes aussi bien avec Israël qu’avec ces pays arabes. Il n’y a donc pas de raison que nos pays, habitués à prôner la paix et le dialogue entre les protagonistes, tiennent aujourd’hui, un autre discours sur le sujet.

Le combat du Hamas et la cause palestinienne sont timidement soutenus aujourd’hui. Tel n’était pas le cas il y a une cinquantaine d’années. Est-ce à croire que les revendications ont vécu en Afrique centrale?
C’est probablement le lieu de mentionner que de plus en plus de pays font une distinction claire entre le combat du Hamas et la cause palestinienne. Sous Yasser Arafat, même le Hamas était aligné derrière l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP). Alors président de l’OLP, Yasser Arafat avait effectivement sillonné l’Afrique centrale et était partout bien reçu, y compris ici au Cameroun. Aujourd’hui, le Hamas s’est considérablement radicalisé au point de se singulariser par rapport à l’OLP dont le leader est devenu inaudible en raison des atrocités de cette faction. Cette évolution crée un malaise en Afrique en général et en Afrique centrale en particulier. Dès cet instant, les pays s’interrogent sur les ressorts du soutien. Les pays tergiversent entre l’idéologie, la morale, le droit international et les intérêts nationaux. À cet égard, Nelson Mandela avait été magistral sur l’idée que les positions des pays devraient être déterminées par leurs propres intérêts et non par ceux des autres pays, fussent-ils des amis.

Pour finir, comment sortir de cette guerre et partant établir une paix durable au Proche-Orient?
Peut-être que dans cette région, il n’y a pas autant de mendiants de la paix qu’en Afrique centrale. Les écarts dans les perceptions sont si importants qu’il est difficile de conjecturer la paix en Palestine. À partir du moment où ces deux peuples, dans leur majorité, n’ont pas montré suffisamment d’envie de vivre côte à côte dans un même État, que la solution à deux États est rejetée par Israël, que le Hamas conteste l’existence de l’État d’Israël en Palestine, et que le rapport de force reste plébiscité par les parties, la sortie de la guerre dépendra de la victoire militaire de l’un des protagonistes. Or, gagner la guerre est différent de gagner la paix. Dans ce clair-obscur sans prédictibilité crédible, les Nations unies devraient éviter que les partisans du tout ou rien ne deviennent ceux du rien du tout.

Certainement qu’il faudra envisager la vie au Proche-Orient sans une paix durable. Les spécialistes doivent se préparer à accoler d’autres épithètes ou qualificatifs au nouveau type de paix qui émergera de ces confrontations et des éventuelles délibérations qui pourraient être initiées par la communauté internationale. Peut-être les uns et les autres supporteront de vivre différemment dans cette région où guerre et paix devront quotidiennement se croiser et se toiser sans jamais s’embrasser.

Interview menée par
Thierry Ndong Owona

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