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Homosexualité : C’est l’argent qui fit le «malheur»

Temps d’arrêt

Du 8 au 20 juillet 2019, le «Festival Mvet Oyeng» a fait vibrer Ambam. Pendant plus de deux semaines, dans cette ville nichée au Sud-Cameroun, le peuple Ekang (Fang/Beti) a tenu à valoriser son patrimoine. L’homme Ekang relève de plusieurs logiques telles que le développement urbain ou rural, la cohésion sociale, les solidarités intergénérationnelles et les interactions entre le matériel et l’immatériel. Il est venu exposer sa culture comme appartenant à un écosystème dont la soutenabilité est tributaire du bon équilibre entre ses fils et filles éparpillés au Cameroun, au Gabon, en Guinée Équatoriale et au Congo Brazzaville.

Cependant, sous toutes ses formes, le patrimoine Ekang est constamment menacé de rupture de transmission de son immatérialité, qui pourtant lui donne vie et sens. En effet, ledit patrimoine tend à disparaître avec les femmes et les hommes qui en sont les détenteurs. Face à cette situation, un temps d’arrêt et d’évaluation était nécessaire afin d’éviter le gel patrimonial, au moment où les préoccupations de survie quotidienne supplantent celles du devenir des Ekang.

C’est donc dans ce sens que le Festival Mvet Oyeng a servi de thérapie pour faire le deuil d’un passé douloureux, pour réapprendre à faire la fête et reconstruire l’espoir collectif, sur la foi que le passé est modulé selon les regards du présent, pour se projeter dans l’avenir. En ce sens aussi, le Festival Mvet Oyeng a témoigné de l’identité et du génie créatif de l’une des plus grandes communautés africaines (4 800 000 individus en 2013).

À l’initiative de la commune d’Ambam, le Festival Mvet Oyeng s’est donc chargé d’inclure à la fois un rapport à l’histoire et à l’avenir de ce peuple. Il est question de partager, sans angélisme ni catastrophisme, une vision de la réalité. « Plus qu’un bouillon de culture : un concentré ! », selon le mot de l’anthropologue gabonais Olivier Nguema. Déclinée en plateforme événementielle, l’affaire a aussi permis de réfléchir sur les thèmes entrecroisés de la sexualité, de la religion, de la politique, du patrimoine culturel et du développement local.

Dès cette édition, votre journal ouvre une série. Celle-ci revient sur les lignes de force d’une douzaine de réflexions menées autour de ces thèmes par des panels aux profils variés, sur le site du Festival Mvet Oyeng.

 

À travers des exposés, quelques intellectuels issus des Ekang tiennent la recherche effrénée du bien-être matériel pour responsable de l’émergence des pratiques sexuelles déviantes au sein de la communauté.

Un Ekang en suspension: la virilité en un symbole

Une scène: le site du festival des peuples Ekang, près du marché central d’Ambam. On parle d’homosexualité. Le thème est à la fois accrocheur et orienté à travers son libellé: «Homo, pas moi Ekang». Si de nombreux éclats de rire la saturent ce 21 juillet 2019, c’est qu’un panel de juristes, de sociologues et d’anthropologues ne fait pas dans le style de faux-semblants. «Chez les Ekang, ça se pratique davantage qu’il ne se dit», démontre d’emblée le Pr Olivier Nguema. Entre deux phrases, le «ça» utilisé par l’universitaire gabonais fixe des histoires surprenantes et diverses. Celles-ci mettent en scène des fils et des filles Ekang ces 20 dernières années.

Entre abstraction et parler-vrai, il y a surtout un besoin de s’éloigner de toute polémique. Au moins, «ce festival donne enfin l’occasion de dévisager un vécu sexuel qui s’incruste dans le quotidien de notre peuple», affirme Jean-Pierre Nguede. C’est donc un pari osé, avec à la clé un message qui se veut davantage un réquisitoire contre une pratique. «Face à la gravité de la situation et des enjeux éthiques soulevés, nous estimons qu’il est de notre devoir et de notre responsabilité morale d’intellectuels Ekang de prendre publiquement position afin de faire entendre une voix alternative et raisonnable par rapport à une sexualité déviante», souligne l’anthropologue congolais.

Chiffre
Avec lui, tout le panel déclame l’évolution de l’homosexualité parmi les Ekang. «Depuis une vingtaine d’années, nos frères et sœurs s’y adonnent à hauteur de 15%, selon mes études. Ils sont sans doute plus nombreux en réalité, mais se cachent, ayant peur d’être dépeints comme dangereux et sombres», établit le Pr Olivier Nguema. «Cela est le signe que depuis le tournant des années 80, certains parmi nous tracent leur vie sexuelle avec des partenaires du même sexe qu’eux», ajoute-t-il. À elle seule, l’énonciation du chiffre et de l’époque propose un ensemble opérant des «noces contre nature» entre certaines civilisations étrangères et les nouveaux choix sexuels en milieu Ekang.

Fric
La nouveauté, ce sont les notions de liberté et de confort. «Dans nos villes et villages, la maxime «Mon corps m’appartient» s’est transformée en «mon corps est disponible pour des pulsions sexuelles pires que l’adultère!», martèle Jean-Pierre Nguede. Selon lui, les années 1980 ont, avec la révolution sexuelle, jeté par-dessus bord les principes stricts d’une société conservatrice. Ainsi, quelques personnes s’estiment étouffées par ce qu’elles perçoivent comme d’incessantes injonctions à jouir sans entrave.

Pour le panel, «le mal», longtemps dissimulé, s’est révélé urgent et profond, ce d’autant plus qu’il est toléré quand un homo peut subvenir aux besoins de sa famille. «La société Ekang a migré vers une société où les valeurs morales sont en perte de vitesse, où l’argent est roi, quelle que soit la manière dont il est gagné, où la majorité de la population est en proie à d’incommensurables difficultés économiques et sociales», décrit Jean-Pierre Nguede. Ainsi, chez les Fang/Beti du Gabon, du Cameroun et de Guinée Équatoriale, règne une forte tendance qui entraîne les jeunes de ces pays vers les relations homosexuelles, «celles-ci étant considérées comme le meilleur moyen de devenir riche».

«À cause de l’argent, le couple hétéro est mort. La génération des moins de 30 ans s’identifie grâce à une multitude de nouveaux termes définissant leur orientation sexuelle. Aujourd’hui, certains jeunes Ekang créent un panorama plus large pour se définir sexuellement, même lorsqu’ils sont montrés du doigt comme étant des individus loufoques et égarés du bon chemin», assume la sociologue congolaise Émilie Asse’e Koma. De son point de vue, les vrais enjeux convergent vers le substantif argent. «De plus en plus, si l’on est homosexuel, avec une bonne situation, pas de soucis !» La suite développe une destruction d’une opinion de plus en plus répandue. «Un bon Ekang ne connaît pas l’homosexualité, contrairement à ce qu’on veut faire croire».

 

Prochain article: Les Ekang,

maîtres devenus esclaves de la nature

 

Émilie Asse’e Koma

«Les ancêtres des Ekang ne pratiquaient pas l’homosexualité»

Contre cette orientation sexuelle, la sociologue congolaise a une ligne de défense toute trouvée.

Parler de sexe, pire d’homosexualité en public, cela relève de l’inédit…

« Homo, pas moi Ekang », il s’agit d’une communication à caractère exploratoire, qui présente donc les limites inhérentes à ce type d’exercice. Le but du panel était de redire à toute la communauté Ekang que, contrairement à ce qu’une certaine littérature veut faire croire, l’homosexualité n’émane pas de sa culture.

Dire que l’homosexualité existe depuis des millénaires dans la culture Ekang, qu’y a-t-il de pertinent en cela ?
Rien absolument ! Une telle utopie, pour généreuse qu’elle soit, reste formatée selon des critères politico-idéologiques, avec pour effet de limiter la diversité des regards et de concourir à la diffusion d’un mode de représentation du monde, d’un mode de pensée et d’un mode de vie qui tendent à s’uniformiser. C’est fâchant de voir des gens se promener avec ça sur la tête.
Par contre, le débat, le vrai, porte sur les problématiques relevant de la circulation des idées et des transferts culturels. C’est là le fondement du travail d’anthropologie structurale que vous avez observé. C’est pourquoi, au cours de nos exposés, nous avons passé au crible de l’analyse sociologique et/ou historique les processus de diffusion, d’assimilation et d’ajustements qui interviennent lors des changements culturels au sein d’une société ou d’un groupe dont les frontières sont perméables aux influences extérieures. Alors, en repérant et en répertoriant les « invariants » ou les « universaux », c’est-à-dire ces matériaux culturels toujours identiques d’une culture à l’autre, on n’a pas pu trouver quelque chose qui prouve que les ancêtres Ekang pratiquaient l’homosexualité.

Comment expliquer donc que l’homosexualité soit entrée dans les mœurs sexuelles Ekang ?
Les mots ont un sens. Le terme « mariage » a un sens précis. Il est probable qu’aucune explication ne soit valable à elle seule dans tous les cas. Pourtant, les incertitudes sur son origine ne doivent pas obscurcir la signification de l’inversion au point de vue éthique, car même les animaux de la forêt savent faire le distinguo mâle/femelle. Mais l’homme suit la voix de l’argent et des intérêts ; les considérations économiques et de recherche d’un meilleur bien-être matériel en général entrent donc en jeu. Mais nous proposons ici de développer les études sur la diversité de facteurs qui se combinent pour pousser une poignée d’Ekang à un évitement ou à une remise en cause des formes classiques d’hétérosexualité matrimoniale.

Propos recueillis à Ambam par

Jean René Meva’a Amougou

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