Franc CFA : Bitcoin pourrait-il constituer une porte de sortie? (*)
En 1980, l’économiste camerounais Joseph Tchundjang Pouemi a écrit «Monnaie, servitude et liberté: La répression monétaire de l’Afrique». La thèse : la dépendance monétaire est le fondement de toutes les autres formes de dépendance. Les derniers mots du livre résonnent particulièrement fort aujourd’hui : «Le destin de l’Afrique sera forgé par la monnaie ou ne sera pas forgé du tout».
L’argent et la monnaie sont enfouis sous la surface dans le mouvement mondial des droits de l’Homme. Ils ne sont presque jamais abordés lors des conférences sur les droits de l’homme et sont rarement discutés entre militants. Mais demandez à un défenseur de la démocratie issu d’un régime autoritaire de vous parler d’argent et il vous racontera des histoires étonnantes et tragiques. La démonétisation en Érythrée et en Corée du Nord, l’hyperinflation au Zimbabwe et au Venezuela, la surveillance de l’État en Chine et à Hong Kong, le gel des paiements en Biélorussie et au Nigéria, les pare-feu économiques en Iran et en Palestine. Et maintenant : le colonialisme monétaire au Togo et au Sénégal. Sans liberté financière, les mouvements et les ONG ne peuvent pas se maintenir. Si leurs comptes bancaires sont fermés, si les billets sont démonétisés ou si les fonds sont dévalués, leur pouvoir est limité et la tyrannie progresse.
La répression monétaire continue d’être cachée, et on n’en parle pas dans les cercles polis. La réalité d’aujourd’hui pour les 182 millions de personnes vivant dans les pays de la zone CFA est que, même s’ils sont politiquement indépendants de nom, leurs économies et leurs monnaies sont toujours sous domination coloniale, et les puissances étrangères continuent d’abuser et de prolonger cette relation pour exploiter autant de valeur que possible de leurs sociétés et de leurs géographies.
Ces dernières années, les citoyens de la zone CFA se soulèvent de plus en plus. Le slogan «France Dégage !» est devenu un cri de ralliement. Mais les détracteurs les plus virulents du système, dont Pigeaud et Sylla, ne semblent pas offrir d’alternative viable. Ils rejettent le statu quo et la servitude du FMI, pour ne proposer qu’une monnaie régionale, contrôlée par les dirigeants locaux, ou un système où chaque nation CFA crée et gère sa propre monnaie. Mais le fait que le Sénégal ou le Togo obtiennent leur indépendance monétaire de la France ne garantit pas qu’ils seront performants, ni que les dirigeants du pays n’abuseront pas de la monnaie.
Il y a toujours la menace d’une mauvaise gestion dictatoriale nationale ou d’une nouvelle prise de pouvoir par des puissances étrangères russes ou chinoises. Il est clair que les gens ont besoin d’une monnaie qui casse réellement la roue, une monnaie qu’ils peuvent contrôler et qui ne peut pas être manipulée par des gouvernements d’aucune sorte. Tout comme la séparation historique de l’Église et de l’État a ouvert la voie à une société humaine plus prospère et plus libre, une séparation de l’argent et de l’État est en cours.
Les citoyens des pays du CFA pourraient-ils, avec le temps et un accès croissant à Internet, populariser le bitcoin au point que les gouvernements seraient contraints de l’adopter de facto, comme cela s’est produit dans des pays d’Amérique latine comme l’Équateur avec la «dolarizacion popular»? L’histoire reste à écrire, mais une chose est sûre : la Banque mondiale et le FMI s’opposeront à toute tendance allant dans ce sens. Ils se sont déjà manifestés contre le Salvador.
Il y a quelques semaines, l’acteur Hill Harper était cité dans le New York Times à propos de son militantisme pour bitcoin dans la communauté afro-américaine. Il a dit, tout simplement, “Ils ne peuvent pas coloniser Bitcoin”.
Farida Nabourema est d’accord. “Bitcoin”, dit-elle, est «la toute première fois qu’il existe une monnaie réellement décentralisée et accessible à quiconque dans le monde, indépendamment de sa couleur de peau, de son idéologie, de sa nationalité, du montant de sa richesse ou de son passé colonial». Selon elle, c’est la monnaie du peuple, et elle va même un peu plus loin.
(*) Extrait d’un essai d’Alex Gladstein paru dans Bitcoin Magazine le 28 juin 2021.