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«Enfant, ne pleure pas» de Ngugi Wa Thiong’o

Car les magouilles des Sarkozy, Cahuzac, Copé, Fillon et autres Jean-Yves Le Drian sont là pour témoigner que ces gens-là ne sont pas meilleurs que nous et qu’ils sont mal placés pour donner des leçons à qui que ce soit. Des gens qui réfléchissent et se comportent comme Jacobo sont légion en Afrique. On les rencontre en politique, mais également en religion (dans les congrégations religieuses et à la tête de certains diocèses). Ils sont nuisibles parce que ce sont eux qui retardent la libération du continent, parce que c’est avec leur complicité que furent liquidés les Kragbé Gnagbé, Victor Biaka Boda, Thomas Sankara, Sylvanus Olympio, Ruben Um Nyobè, Patrice Lumumba et autres nationalistes africains.

 

Né au Kenya en 1938, Ngugi Wa Thiong’o est incontestablement un écrivain engagé et ce n’est pas la seule chose qui le rapproche de l’auteur de la fameuse phrase: “Le tigre ne proclame pas sa tigritude; il bondit sur sa proie et la dévore.” Comme Wole Soyinka, Ngugi est aussi universitaire. Enfin, les deux auteurs ont en commun d’avoir fait la prison et d’avoir touché à presque tous les genres littéraires: le théâtre (“The River between”, 1965; “The Black Hermit”, 1968; “Devil on the cross”, 1982), la nouvelle (“Secret lives”), l’essai (“Homecoming”, 1972 et “Detained”, 1982) et le roman (“Et le blé jaillira”, 1967; “Pétales de sang”, 1977 et “Enfant, ne pleure pas”).

“Enfant, ne pleure pas” – “Weep not, child” en anglais – est le premier roman de Ngugi. Pourquoi ce roman écrit en 1964 (il sera traduit en français en 1983 chez Hatier) a-t-il connu plus de succès que tous les autres ouvrages de l’auteur? Parce qu’il revisite une époque douloureuse de l’histoire de l’Afrique anglophone, parce qu’il fait revivre la résistance des Kenyans sous la colonisation britannique. Plusieurs personnages tiennent une place importante dans ce roman. D’abord, Ngotho et Boro. Ils sont père et fils. L’un participa à la Première Guerre mondiale, l’autre à la Seconde. Deux guerres qui ne concernaient nullement les Africains mais que l’Afrique accepta de livrer par solidarité avec l’Europe envahie et malmenée par Hitler et dans lesquelles nombre de ses fils perdirent la vie. Que gagnèrent les Africains en retour? Rien en termes d’amélioration de leurs conditions de vie.

Le pire, c’est que, lorsque certains comme les tirailleurs africains du camp de Thiaroye (Sénégal) tentèrent de revendiquer une augmentation de leur solde, ils furent purement et simplement fusillés par l’armée française. L’Afrique anglophone ne fut pas mieux traitée car la majorité des Kenyans ne retrouveront pas leurs terres après la guerre de 1945. C’est le cas de Ngotho dépossédé de la terre de ses ancêtres (pour nourrir sa famille, il est désormais obligé de travailler chez le colon Howlands) et de Boro qui est sans emploi. Ngotho croit cependant à la prophétie d’un certain Mugo selon laquelle le Blanc partira un jour et la terre sera restituée à ses vrais propriétaires. Boro, lui, refuse de croire aux prophéties qui endorment et démobilisent. La seule chose à laquelle il croit, c’est la lutte. Voilà pourquoi il ne tarde pas à rejoindre la résistance du peuple kikuyu appelée également rébellion Mau-Mau.

Grève pacifique
Comment les leaders de ce mouvement mènent-ils la lutte? Comment comptent-ils obliger les colons britanniques à revoir leur politique? En organisant une grève pacifique. Ngotho assiste au meeting qui marque le premier jour de la grève. De nombreux Kenyans n’ont pas voulu rater ce meeting. Ce jour-là, Ngotho aperçoit son fils parmi les orateurs. Kiarie, le premier intervenant, rappelle à la foule que cette terre leur a été donnée par Dieu comme l’Inde a été donnée aux Indiens et l’Europe aux Européens; il explique ensuite comment la Bible et l’épée se sont unies pour voler cette terre. On rappellera ici la fameuse boutade de Jomo Kenyatta: “Quand les Blancs sont venus en Afrique, nous avions les terres et ils avaient la Bible. Ils nous ont appris à prier, les yeux fermés. Lorsque nous les avons ouverts, les Blancs avaient la terre et nous, la Bible.”

Jomo Kenyatta
C’est justement à Jomo Kenyatta qu’est consacrée une grande partie du discours de Kiarie. Pour l’orateur, Kenyatta est le nouveau Moïse envoyé par Dieu pour demander au pharaon blanc de libérer le peuple kenyan. “Et c’est pour dire cela aux Britanniques que nous nous sommes réunis ici. Rendez-nous notre terre! Maintenant!” Mais, à peine Kiarie acheva-t-il sa phrase que la police encercla la foule. Ngotho vit alors un inspecteur blanc monter sur l’estrade avec un riche kenyan prénommé Jacobo. Ce dernier demanda aux grévistes de retourner à leur travail et de ne pas écouter les “agitateurs” venus de Nairobi. Ngotho comprit, à ce moment-là, que Jacobo travaillait contre les intérêts du peuple noir, qu’il n’était qu’un traître et que c’est par lui que les Blancs voulaient passer pour casser la grève. Quelques instants plus tard, le meeting est effectivement interrompu et la foule, dispersée par la police à coups de gaz lacrymogènes. Quant aux meneurs, ils sont arrêtés et conduits vers une destination inconnue. Difficile de ne pas penser ici à Jomo Kenyatta arrêté et embastillé en 1952 par les Britanniques. Mais, loin de le décourager, son arrestation pousse le mouvement Mau-Mau à intensifier la lutte. Le conflit fera plus de 13.000 morts. Face à la détermination des Kenyans, les Britanniques sont obligés de libérer Kenyatta. Et c’est lui, Jomo Kenyatta, l’ancien prisonnier, qui proclamera l’indépendance du Kenya, le 12 décembre 1964.

Enseignement
Le premier enseignement que l’on peut tirer de ce roman, c’est que ceux qui luttent pour la liberté et la justice ne luttent jamais en vain, leur cause aboutit ou triomphe un jour, quelles que soient les épreuves auxquelles ils sont confrontés dans cette lutte. Le second, c’est que les combattants de la liberté et de la justice doivent s’attendre à trouver, sur leur route, des Jacobo, c’est-à-dire des gens prêts à travailler avec l’oppresseur contre leur propre peuple. Et ces traîtres ne manquent jamais d’arguments pour justifier leur sale besogne. En voici quelques-uns: “Le Blanc est trop puissant; c’est lui qui fait et défait les présidents en Afrique; il faut donc coopérer avec lui.” En réalité, nous avons affaire à des gens médiocres, à des hommes et femmes qui n’ont ni honneur ni dignité. Pourquoi? Parce qu’ils ne voient pas plus loin que leur ventre, parce qu’ils nourrissent un inutile complexe d’infériorité à l’égard du Blanc, parce qu’ils sacralisent et divinisent le Blanc. Ils ont tort de penser que le Blanc est supérieur au Noir. Car les magouilles des Sarkozy, Cahuzac, Copé, Fillon et autres Jean-Yves Le Drian sont là pour témoigner que ces gens-là ne sont pas meilleurs que nous et qu’ils sont mal placés pour donner des leçons à qui que ce soit.

Des gens qui réfléchissent et se comportent comme Jacobo sont légion en Afrique. On les rencontre en politique, mais également en religion (dans les congrégations religieuses et à la tête de certains diocèses). Ils sont nuisibles parce que ce sont eux qui retardent la libération du continent, parce que c’est avec leur complicité que furent liquidés les Kragbé Gnagbé, Victor Biaka Boda, Thomas Sankara, Sylvanus Olympio, Ruben Um Nyobè, Patrice Lumumba et autres nationalistes africains. Les Jacobo étaient déjà en Chine et dans la France occupée par l’Allemagne nazie mais nous savons quel traitement Mao Zedong et le général de Gaulle leur réservèrent. C’est le même traitement qu’ils doivent subir en Afrique. Nous devons être sans pitié pour ces traîtres et larbins. En tous les cas, l’un des messages que porte le roman de Ngugi est le suivant: là où il y aura des hommes et des femmes en lutte pour une vie meilleure, il y aura toujours des Jacobo. Il incombe toutefois aux combattants de la liberté d’être vigilants et de neutraliser ces vendus aussitôt qu’ils les ont démasqués. Dans la politique africaine actuelle, qui joue le même rôle que Jacobo dans le Kenya d’hier? Umaro Sissoco Embaló, Mohamed Bazoum, Macky Sall et Dramane Ouattara, le chef des traîtres et marionnettes de la France.

“La littérature n’est efficace que si elle est engagée, c’est-à-dire si elle entraîne 1’homme vers l’amélioration de la condition des hommes et vers l’humanité”, disait Jean-Paul Sartre. Ngugi Wa Thiong’o en aura donné magistralement la preuve dans “Enfant, ne pleure pas”.

Ngugi, qui écrit désormais en kikuyu, plaide depuis 1981 pour une décolonisation par la langue. 5 ans plus tard, il publia “Decolonising the Mind” où il développe sa position sur la question.

Jean-Claude Djereke

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