Dirigeants d’entreprise contre consommateurs : la Beac entre le marteau et l’enclume
Les producteurs de cultures vivrières, coton, huile de palme, tabac, sucre…, anticipent de grosses marges bénéficiaires au détriment du pouvoir d’achat des populations. La Banque centrale est appelée à prendre position.

«L’une des missions principales de la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac) est la stabilisation des prix en zone Cemac», rappelle très souvent le gouverneur Abbas Mahamat Tolli. Seule difficulté, l’institution bancaire sous-régionale doit opérer un choix entre d’une part, les populations et d’autre part, le secteur productif. Le pouvoir d’achat des premières ne cesse de s’éroder du fait de la tendance haussière de l’inflation. Le second est quant à lui sur le chemin de la relance et de la consolidation de ses activités et revenus.
La Banque centrale a certes déjà pris l’option lors de la dernière session de son Comité de politique monétaire (CPM) de lutter contre l’inflation. Les chefs d’entreprise de leur côté continuent de faire leurs projections en tenant compte de ces niveaux élevés de prix. Il en est ainsi des producteurs de cultures vivrières, de tabac, de coton, de sucre, etc.
Cultures vivrières
À en croire le Test prévisionnel de conjoncture de la Cemac au deuxième trimestre 2023, l’inflation a un effet d’appel sur les producteurs de cultures vivrières. Les acteurs de ce secteur d’activité anticipent en effet «des perspectives encourageantes». «En lien avec le début de la campagne agricole au Cameroun et en Guinée Équatoriale, couplé à une hausse des prix des produits vivriers sur le marché qui stimulerait leur engouement», rapporte la Beac.
Cet effet est surtout observé au Cameroun. «La production vivrière évoluerait favorablement, le deuxième trimestre marquant le début de la campagne agricole. En glissement annuel, la production agricole évoluerait également par rapport au deuxième trimestre 2022». Et la Banque centrale de constater que «l’inflation observée cette année a créé un engouement chez les acteurs du secteur».
D’autres facteurs entrent également en ligne de compte dans d’autres pays de la Cemac. Notamment en RCA et en Guinée Équatoriale où on projette une stabilité de la production au deuxième trimestre 2023. Compte tenu «de la poursuite de la mise en œuvre de certains projets agricoles en cours ou du démarrage de la période de récolte dans la partie insulaire du pays après une saison des pluies favorable», indiquent les principaux concernés. Mais là aussi, le niveau élevé des prix sur le marché va constituer pour ces producteurs une occasion de faire de gros bénéfices au détriment des populations.
Seulement, l’intervention de la Banque centrale et la perspective de la perte des gros profits escomptés pourraient bien signifier la démobilisation des acteurs et une nouvelle baisse des activités. Lesquelles conduiraient à une chute de la production et de l’offre, et par voie de conséquence, à une augmentation des prix si la demande se maintient au niveau envisagé.
Huileries
Ce qui est observé sur le marché des produits vivriers l’est aussi sur celui du coton ou de l’huile de palme. La branche des huileries a par exemple clôturé à la hausse au premier trimestre 2023 au Gabon. «Suite à l’accroissement de la production locale et des ventes», renseigne la Beac. Il est d’ailleurs prévu au deuxième trimestre que «du côté des ventes, le marché observe une stabilité de la demande pour les produits huile rouge, brute et palmiste, contrastant avec la hausse de l’huile raffinée et des savons», apprend-on.
Industrie sucrière
Le niveau actuel de l’inflation sur le marché du sucre est également un déterminant essentiel des projections des acteurs de cette branche. «Les perspectives sont globalement contrastées avec un trend haussier au Congo porté par une demande intérieure résiliente». Le Test prévisionnel parle ainsi «d’une hausse espérée dans ce pays, en raison de la bonne dynamique prévue de la demande, ainsi que du maintien à un niveau soutenu des prix du sucre sur le marché international, malgré l’augmentation des prix des intrants».
Tabac
La donne est exactement la même dans la métallurgie, l’industrie de la boisson et celle du tabac. Il est par exemple relevé s’agissant du tabac, «que les perspectives sont globalement favorables pour le deuxième trimestre 2023, en lien avec une demande anticipée à la hausse». La corrélation avec l’inflation est plus évidente au Congo. «Une hausse y est projetée, en lien avec le rebondi de la demande, dans un contexte marqué par la mise place d’une politique commerciale plus attractive, couplé à l’adaptation des clients à l’augmentation des prix du tabac», apprend-on. Cette dimension est évidemment intégrée par les producteurs dans leurs calculs. Toutes choses qui rendent la politique de stabilisation des prix délicate dans ce secteur. Les marges de manœuvre de la Banque centrale étant en effet réduites.
Théodore Ayissi Ayissi
Terrain d’entente
L’intervention de la Banque centrale reste par contre la bienvenue dans certaines filières telles la sylviculture, la minoterie ou la construction.
L’inflation n’est pas partout un atout pour les chefs d’entreprise. Bien au contraire. Certaines unités de production pâtissent du coût élevé des intrants sur le marché international ou local. Ce qui induit la fixation des prix des produits finis à un niveau généralement au-dessus des moyens du consommateur final. C’est le cas dans la sylviculture et l’exploitation forestière. Les acteurs du secteur se disent globalement pessimistes. Et pour cause, ils nourrissent «des craintes quant aux approvisionnements en carburant au niveau des sites d’exploitation», relève la Banque centrale. Abstraction faite aussi des effets anticipés de la loi portant sur l’interdiction, au Congo notamment, de l’exportation des grumes.
Construction
La situation est aussi inquiétante dans les branches de la minoterie et de la construction. Il apparaît ainsi qu’«au Cameroun, les activités de construction fléchiraient au deuxième trimestre 2023, en raison de la baisse de la demande, de la rareté des marchés et de la cherté des matériaux de construction», déplorent certains promoteurs d’entreprise. Ces derniers souhaitent donc une rapide inversion de la tendance haussière de l’inflation. À la diligence de la Beac et en vue d’un relèvement définitif de leurs secteurs d’activité respectifs. Le CPM a justement procédé le 27 mars dernier, au relèvement de deux des principaux taux directeurs de la Banque centrale. Le niveau de l’inflation ne devrait cependant être ramené en-dessous du seuil communautaire qu’à partir de 2026. Une perspective de nature à encourager d’autres initiatives à l’échelle des États ou toujours au niveau sous-régional.
Pref-Cemac et projets intégrateurs
La Beac est justement en accord parfait avec certaines solutions déjà proposées par les États de la Cemac. Ceux-ci «prévoient par exemple d’accélérer les projets structurants dans les grands secteurs de croissance à savoir, le transport, l’agriculture et l’énergie; conçus soit avec l’appui du Pref-Cemac, soit dans le cadre des réformes économiques et financières avec le FMI», se réjouit l’institut d’émission de la monnaie en Afrique centrale. L’institution bancaire sous-régionale établit ensuite un lien entre cette initiative et le lancement toujours dans le cadre du Pref-Cemac, d’«un deuxième programme de projets intégrateurs prioritaires pour la période 2023-2028». Cette solution complémentaire présente plusieurs avantages. Entre autres, le mérite de contribuer aussi au «renforcement des échanges intracommunautaires en permettant en outre de tirer davantage profit de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf)», est-il expliqué.