Can 2021 : Le jeu de poker menteur
Contrairement au discours officiel, à ce jour, rien ne garantit l’organisation de cette compétition au Cameroun.

Une seule chose est pour l’instant indéniable: l’organisation de la Coupe d’Afrique des nations de football (Can) 2019 est retirée au Cameroun. Ce retrait fait l’objet d’une décision du Comité exécutif de la Confédération africaine de football (Caf), instance compétente en la matière. Cette décision a été prise le 30 novembre 2018 à Accra au Ghana, et communiquée au public. Le 8 janvier 2019, la même instance a d’ailleurs choisi l’Égypte pour abriter cette compétition.
Pourtant, le 31 décembre dernier, dans son traditionnel message à la nation, Paul Biya dit prendre acte non pas d’un retrait, mais d’un « glissement de date » décidé par la Caf « au regard de certaines données ». À l’analyse, la sortie du président de la République du Cameroun laisse croire que l’organisation d’une autre édition de la Can a déjà été attribuée au pays. « La Caf a décidé de différer à 2021, l’organisation de la Can au Cameroun », affirmait déjà le 5 décembre 2018, Pierre Ismaël Bidoung Kpwatt, ministre des Sports et de l’Éducation physique d’alors. Il s’exprimait lors de la 22e session du Comité national de préparation de la Can 2019.
Activité épistolaire
En réalité, rien n’est acquis. À la Fédération camerounaise de football, on l’avoue. « Nous n’avons pas encore reçu notification de cette décision du Comité exécutif, encore moins signé avec la Caf un accord-cadre. Ce sont pourtant ces deux documents qui garantiraient la désignation du Cameroun comme pays hôte de la Can 2021 », affirme une source interne. « Le chef de l’État l’a dit sur la base d’un échange de courrier avec le président de la Caf », défend-on au ministère des Sports et de l’Éducation civique.
En effet, le 30 novembre 2018, pour faire passer la pilule du retrait de l’organisation de la Can 2019 au Cameroun, Ahmad propose au pays d’organiser la Can 2021 dans un courrier adressé au président Biya. Dans un communiqué publié le 21 décembre 2018, l’organisation confédérale informe qu’en réponse à cette demande, « le Cameroun a officiellement accepté d’abriter l’édition de 2021 à travers un courrier adressé à la Caf et signé (le 10 décembre NDLR) par le chef de l’État camerounais ». À la suite de cette lettre, le président de la Caf réécrit au président camerounais. Ahmad informe qu’il est en discussions avec les autorités ivoiriennes pour qu’elles acceptent de céder la Can 2021.
Obstacles
La difficulté se situe à ce niveau. Pour opérer le glissement de calendrier souhaité, il faudrait retirer l’organisation de la Can successivement à la Côte d’Ivoire et à la Guinée Conakry à qui le Comité exécutif de la Caf a attribué, le 20 septembre 2014, respectivement l’organisation des Can 2021 et 2023. Sauf qu’à 2,5 et 4,5 ans de la compétition, l’instance suprême du football continental ne peut le faire sans risquer de perdre un procès devant le Tribunal arbitral du sport (Tas), face aux fédérations de ces deux pays.
Pour l’instant, seule Conakry a marqué son accord pour ce décalage. Le 13 décembre, la Fédération ivoirienne de football (Fif) a, pour sa part, saisi le Tas. Elle dénonce la volonté manifeste du président et du vice-président de la Caf de lui retirer l’organisation de la Can 2021. Interpellée, l’instance faitière du football africain assure qu’elle n’a jamais pris une telle décision. « Nous n’avons pas encore reçu leur (les autorités ivoiriennes NDLR) réponse. Nous ne pouvons pas les obliger », reconnait Ahmad invité de France 24 à la suite de la réunion du Comité exécutif du 8 janvier. Un aveu qui met en exergue la dichotomie entre le discours des dirigeants de la Caf et la réalité.
Et même si Abidjan finit par marcher, il faudra en plus faire entendre raison à Moroni. La Fédération de football des Comores menace en effet de trainer la Caf devant le Tas pour la contraindre à respecter l’article 92 des règlements de la Can. Cet article prévoit des sanctions à l’encontre d’une association qui se voit notamment retirer l’organisation d’une Can. Dans le cas du Cameroun, ce serait, entre autres, une disqualification d’office des Can 2019 et 2021. Une telle décision ouvrirait un boulevard aux Comores pour la qualification à la phase finale de la Can 2019.
Aboudi Ottou
Retrait de la Can 2019
Louis Paul Motaze minimise l’impact économique
Pour le ministre des Finances, la non-organisation de cette compétition au Cameroun aura des conséquences très modérées sur les prévisions budgétaires et macro-économiques.
Une réunion s’est tenue le 19 décembre 2018 au ministère des Finances. Au centre des préoccupations, l’impact économique du retrait de l’organisation de la Coupe d’Afrique des nations (Can) 2019 au Cameroun. S’appuyant sur les conclusions de cette séance de travail, le ministre des Finances (Minfi) estime que cette décision aura un impact négatif très modéré sur l’économie du pays. Une position à rebours de celle de certains économistes qui, redoutant un impact budgétaire important, demandent une révision du budget 2019, adopté avant que le Comité exécutif de la Confédération africaine de football (Caf) ne rende son verdict.
Pour justifier cette position, Louis Paul Motaze assure que ce retrait ne va pas impacter les recettes budgétaires parce qu’« aucune ligne de recettes n’est dédiée au fait que nous allons organiser la Can ». Par contre, une économie devrait être réalisée au niveau des dépenses de fonctionnement «du fait que les fonds liés au fonctionnement du Comité d’organisation de la Can (Cocan) seront gelés». Ces économies pourraient même être utilisées en cas «d’effets récessifs», estime le ministre.
Rien à signaler au niveau des dépenses d’investissement qui devraient tirer (en partie) la croissance du pays en 2019. Car malgré le retrait, « les investissements liés à l’organisation de la Can seront réalisés », jurent les autorités. Aucun risque ne serait donc à redouter au niveau des prévisions de croissance que le ministre juge peu audacieuses. De 3,8% en 2018, le Cameroun projette une croissance à 4,4% cette année.
Selon le Minfi, la seule préoccupation concerne le secteur tertiaire. «Nous pouvons nous dire, s’agissant par exemple de l’hôtellerie, que nous aurons moins de recettes», indique le ministre. « Même si personnellement, je ne m’attendais pas à ce que les fréquentations augmentent », tempère-t-il. Bello Bouba Maigari, ministre du Tourisme et des Loisirs, qui a vendu la possibilité d’accueillir un million de touristes internationaux à l’occasion de cette compétition appréciera.
Aboudi Ottou
Les joueurs
Ahmad
Pour des raisons commerciales (et d’autres encore non avouées), le président de la Caf, élu en mars 2017, a précipité la réforme de la Can. Quatre mois après son élection, le Comité exécutif de la Caf décide en effet de faire passer la compétition de 16 à 24 équipes, et de rendre la décision exécutoire dès le prochain rendez-vous. Cette option complexifie l’organisation des Can 2019, 2021 et 2023 pourtant attribuées, le 20 septembre 2014, sur la base d’une compétition à 16. Conscient de ce tacle irrégulier, Ahmad se refuse d’appliquer dans sa rigueur le règlement au Cameroun qui s’est vue retirer la Can 2019. Il veut même imposer un «glissement de date» pour que le pays accueille la Can 2021. Mais tout le monde ne l’entend pas de cette oreille.
Paul Biya
Afin de tempérer ce flop qui inaugure son septième mandat, le président camerounais s’est empressé de saisir la perche tendue par le président de la Caf. Présenté comme un «glissement de date» plutôt qu’un retrait, l’échec est en effet moins cuisant. En présentant les choses ainsi, le chef de l’État camerounais adresse aussi un message indirect à son homologue ivoirien. Après avoir utilisé le football pour se maintenir au pouvoir depuis le 6 novembre 1982, Paul Biya a fini par faire de l’organisation d’une Can une question d’honneur. L’édition de 1972 est la seule et unique abritée par le pays à ce jour.
Alassane Ouattara
Le président ivoirien, qui arrive en fin de mandat en 2020, se montre très peu enthousiaste à l’idée de céder l’organisation de la Can 2021 au Cameroun. 13 décembre 2018, la Fif a même saisi le Tas. Difficile de s’imaginer qu’il ne l’a pas intégré dans sa stratégie post-2020. Ahmad, qui reconnait n’avoir reçu à ce jour aucune réponse des autorités ivoiriennes, annonce une rencontre avec Ouattara. Objectif : lui faire entendre raison. Son principal argument : le pays ne sera pas prêt pour abriter cette compétition. «Nous serons prêts pour la Can 2021», lui répond Kissé Feh. Le président du Cocan 2021 s’est exprimé dans le quotidien ivoirien Fraternité Matin, édition du 9 janvier 2019.