Cabral Libii, jeune premier… aux dents longues
Certains le présentent volontiers comme le «Macron camerounais». Lui-même dit avoir assez de tigritude pour dévorer l’homme lion en octobre prochain.
On se demandait. On se demandait qui pourrait briser le couvercle de la grosse et bouillante marmite à slogans politiques, avant la présidentielle d’octobre prochain au Cameroun. Le hasard a voulu que ce soit un apprenti gracieux: Cabral Libii Li Ngwe. C’est lui. Sans doute, ce jeunot (38 ans) a pris la mesure d’un manque, avant de lancer le «Mouvement 11 millions de citoyens». Par la grâce médiatique, son nom et ce slogan, tels des chapes plus lourdes que des plombs, retentissent désormais dans l’espace public.
Aux yeux et dans les oreilles de l’opinion nationale et internationale, Cabral et (surtout) son initiative passionnent autant qu’ils intriguent. Il s’explique: «Jeunes Camerounais aux parcours et expériences complémentaires, nous avons décidé de nous réunir afin de contribuer activement à la refondation de la conscience nationale, en lançant le mouvement. Nous voulons apporter une réponse aux attentes légitimes des Camerounais, une vision alternative pour le pays».
Dans le sang…
En tout cas, sur le coup, certains collent à l’inventeur du slogan «Mouvement 11 millions de citoyens», l’étiquette de «bon animateur de la démocratie au Cameroun». D’autres, y décelant amour du verbe et art du mot, concision et force de frappe, estiment que tout y est dit de ce qu’il y aurait à dire sur la candidature de ce neveu de Ruben Um Nyobe.
Là, l’ethnologue Cyprien Mekoa Tsala parle d’«une ascendance surprenante, pas étonnante». Et pour repeindre Cabral en «fils» du nationaliste de vénérée mémoire, la connexion s’opère par une première phrase: «Il ne faut jamais insulter complètement l’avenir». Prononcés par Mpodol le 12 avril 1950 à Eséka, ces mots sont repris, in extenso, par Cabral lors d’une conférence sur le panafricanisme au musée «Blackitude» à Yaoundé le 26 mai 2017. Interrogé ce jour-là sur ses ambitions pour l’avenir, Cabral n’a pas exclu de briguer un jour la magistrature suprême. «J’en sais rien. (…) Ça me paraîtrait incongru, mais la vie doit être faite d’incongruités», a-t-il déclaré.
Pleine table
En avril 2017 à Bamenda, la digue des mots voilés saute, avec la confirmation de sa candidature. Entre temps, son jeune âge, sa personnalité, son parcours atypique ou son peu d’expérience deviennent autant d’ingrédients qui inspirent l’opinion nationale. Elle l’appelle désormais le «Macron Camerounais». Il incarne, croit-on, la nouveauté, l’aube, l’espoir. Surtout qu’auparavant, l’on avait découvert un jeune intéressant, sympa, intelligent sur les écrans de télévision et antennes de radio. «C’est toujours ainsi», constate Clémence Menye. La présidente du fan club Cabral Libii au lycée de Nkoabang (Mefou-et-Afamba) apprécie son idole lorsqu’on en vient aux questions politiques sur les médias.
«Il s’exprime de manière plus grave, plus forte, assénant chaque mot pour qu’il rentre bien dans notre tête d’ignorant», indique-t-elle. Normal, le garçon a un parcours académique objectivement brillant. C’est un provocateur intello pour les uns, visionnaire interdisciplinaire pour les autres. Toutes choses pour que les amis, les affidés, les «sabras» du Mouvement 11 millions de citoyens l’appellent «Président». Président de quoi, personne ne sait trop l’expliquer, mais enfin c’est ainsi. Les vieux compagnons de la fac disent «Cabral». Les adversaires politiques: «petit basa’a».
Regard
Reste qu’une dizaine de candidats déclarés pour la présidentielle d’octobre, ça lui fait de la peine à deux titres. Et pour cause: «Je reste convaincu que c’est une action consensuelle, coalisée de l’opposition qui ouvrira à cette dernière les meilleures chances d’évincer Paul Biya du pouvoir. La deuxième démarche pour laquelle ça me fait de la peine, c’est que tous ceux qui annoncent leur candidature prennent cela comme un amusement. C’est à croire que la politique est devenue au Cameroun comme la samba. Quelqu’un se lève un matin, il fait des grimaces devant le peuple, il dit qu’il est candidat et puis il s’arrête là. Il dit qu’il est très fort. Surtout quand il circule dans la rue et tout le monde l’appelle président. Dans son esprit, il croit vraiment qu’il est président. Je crois que quand Paul Biya voit tout ça, il rit en envoyant les deux pieds en l’air».
«Prépa Etoudi»
Au moins lui, il paraît presque «naturellement» fait pour le rôle. Visiblement, sans le vouloir, il a dû opérer une transfiguration. Glisser du statut d’individu normal à celui d’homme d’Etat. «Fendre l’armure», selon le mot du journaliste Gilbert Tsala Ekani. En somme, s’introduire dans la peau de ce président qui, dans l’esprit camerounais, promène toujours quelques oripeaux d’un roi. C’est un long cheminement. Intime. Imperceptible tout d’abord, même aux yeux des entourages, la métamorphose s’accomplit peu à peu et les premiers signes sont à chercher dans l’adoption d’une nouvelle discipline: aller à l’élection présidentielle est un renoncement à la légèreté. Ce n’est pas une entrée au monastère. Mais une nouvelle hiérarchie des priorités pour marquer la forte détermination de battre Paul Biya. Des réunions politiques, Cabral les enchaîne. Des notes politiques et économiques, il les ingurgite. Des tours du Cameroun éreintants, il les effectue. Et la présidence de la République pour seul objectif.
Programme
A l’instar de tous les candidats, on dit : voici un candidat qui présente une situation visible et propose un lot de mesures. Par exemple, il réitère les convictions qu’il défend: la décentralisation et son hostilité à l’envol de la dépense publique. Par exemple aussi, il dresse un tableau douloureux de l’action politique telle qu’elle est devenue. De son point de vue, ceux qui la mènent n’inventent donc plus rien face à l’inquiétude grandissante à l’échelle nationale.
Car, avise Cabral, voici trop longtemps que le régime actuel est trahi par certains de ses cadres, qui, depuis au moins l’indépendance du Cameroun, semblent honteux d’avoir travaillé pour le chaos. Littéralement, Cabral n’en revient pas, et craint pour sa perpétuation. Au moins, croit-il en avoir identifié la cause: l’unité nationale, qui fédérait les âmes et jouait un rôle d’adjuvant ou de substitut au désastre, s’est ossifiée, perdant toute efficacité symbolique. «Elle a éclaté en sectes idéologiques mutuellement hostiles», juge Cabral.
Avec un supplément d’horizon, il flâne sur la question anglophone. «Globalement ces compatriotes anglophones sont derrière l’opération «onze millions d’inscrits». Eux aussi disent qu’il est temps pour le changement au Cameroun, et que, c’est par la voie des urnes que ce changement va arriver. Vous voyez donc que contrairement à ce qu’on raconte, la crise anglophone n’est pas pour créer du désordre, mais une crise qui vise simplement la satisfaction d’une tranche de la population camerounaise d’expression anglaise», tranche le jeune leader.
Après avoir pris la mesure de ces écrouelles, Cabral propose un avenir meilleur, à travers le slogan: «demain on sera heureux». A l’en croire, plus ce programme sera audacieux et clivant et plus il sera un produit passe partout. Destiné à favoriser son élection, ce projet de société pourrait impliquer une rupture rapide, en permettant un renouvellement démocratique. Renouvellement du personnel politique, avec l’avènement de figures issues de nouveaux horizons. Renouvellement des institutions également en redonnant aux citoyens la faculté de faire entendre leur voix sur le processus des réformes – et non pas seulement à l’heure des grandes messes électorales.
Pour l’instant, Afrik-Inform et le baromètre Elmed (du nom des trois chercheurs qui l’ont conçu: Dr Célestin Elockson, du Pr Joël Müller et du Pr Emmanuel Djuatio), concluent que Cabral reste le challenger que Paul Biya doit prendre le plus au sérieux. Afrik-Inform, un média en ligne a, du 17 au 30 mai 2018, soumis quelques candidats aux internautes pour un vote. À l’issue de celui-ci, Cabral Libii vient en tête avec 1710 voix. Et selon le baromètre Elmed, «sur un échantillon représentatif de la société camerounaise, de 4 154 individus (inscrits sur le fichier électoral ou en voie de l’être)», soit 1768 à Douala et 2 386 à Yaoundé, les deux plus grandes métropoles camerounaises, 57% des individus interrogés préfèrent Paul Biya comme président de la République. Le président sortant, est suivi de Cabral Libii (16%). Même si la crédibilité de ces sondages est remise en cause notamment par ses adversaires politiques, le fils de Mahomey dans les environs d’Eséka y voit un signe du destin.
Le candidat et l’intégration
Formellement, Cabral Libii Li Ngwé ne dit pas grand-chose sur cette thématique. Sauf qu’à écouter le candidat à l’élection présidentielle prochaine, il n’ignore pas la signification du concept d’intégration, maintes fois rappelée (par lui), en tant que processus par lequel des éléments composites créent la dynamique d’une réalité nouvelle par des échanges et des emprunts réciproques dans tous les domaines de la vie sociale et culturelle. Parce que le concept lui semble délicat, il use souvent d’un langage voilé. Plus globalement, le phrasé de Cabral Libii se fait plus léger et pensif quand, pour décrire la réalité camerounaise en matière d’intégration nationale, il rappelle la place de celle-ci au cœur de la nation. Cela a constitué l’une des lignes du discours adressé à ses compatriotes en fin d’année 2017. L’occasion lui a permis de se servir des exemples : la diaspora et les minorités. De son point de vue, ces deux communautés devraient être prises très au sérieux. Le débat structuré autour d’elles, croit-il, est fondamentalement politique car il touche directement à l’unité nationale et à la République. Sous le prisme de Cabral Libii en effet, ce débat débouche sur la problématique de l’intégration nationale. Or, semble-t-il dire, l’évocation de celle-ci ne doit pas être facile uniquement pour draguer, à bon prix, l’électorat des minorités et de la diaspora.
Bio express
Naissance: 29 mars 1980
Nationalité: Camerounaise
Formation: Droit public international
Activités: Journaliste, homme et consultant politique, activiste,
juriste et enseignant d’université
Marié à Murielle Peggy Libii
Parti politique : UNIVERS
Idéologie: Socialisme progressiste
Récompense: 2017 : lauréat du Prix d’excellence du
«Meilleur booster de la démocratie camerounaise»
Source: Wikipedia
Présidentielle 2018 au Cameroun :Here we are !
A moins de quatre mois de l’élection présidentielle, la fièvre de la campagne s’empare du pays.

«Pour le Cameroun, cette année marque le début d’une nouvelle période, surtout sur le plan politique, avec un bon zeste de compétition», prédit Herman Nyeck Lipot en ce 1er janvier 2018 sur le plateau de «Canal matin», une émission de Canal 2 International. Pour donner du relief à son affirmation, l’astrologue camerounais ajoute : «les élections, surtout la présidentielle, événement saillant de cette année, s’annoncent chaudes».
Flânant quelques minutes sur ce thème, l’horoscopiste finit par s’intéresser au nombre de candidats officiellement déclarés. Au 25 octobre 2017, l’hebdomadaire Jeune Afrique en avait recensé dix (Corantin Talla, Bernard Njonga, Jean Blaise Gwet, Olivier Bilé, Garga Haman Adji, Dieudonné Mbala, Serge Espoir Matomba, Akéré Muna, Paul Eric Kingué et Cabral Libii). Sur fond d’approche de la «date», Maurice Kamto et Joshua Oshi sont venus corser cet effectif de challengers de Paul Biya, au cas où celui-ci daigne enfin officialiser sa candidature «naturelle» sous la bannière du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC).
Autour du calendrier électoral, la vie politico-médiatique se focalise. On reconnaît que l’affaire est presqu’à sa phase terminale. A quatre mois de l’échéance, des politiciens purs sangs et des politiciens sans morale s’écharpent et s’étripent. Consensus et dissensus s’enchaînent. Le glamour aussi prend sa place. L’espace public national est désormais le point de convergence de toutes les trivialités. «C’est le moment du folklore électoral», conclut Eric Mathias Owona Nguini. Même si le sociopolitiste déplore la disparition du débat d’idées et de projets au profit d’une vision de la politique dominée par l’obsession narcissique et des arrangements politiciens.
Néanmoins, chaque jour, la vie politique s’anime au Cameroun, sans qu’on parvienne à savoir aujourd’hui qui en dicte le rythme, au milieu des inquiétudes générées par la situation dans la partie anglophone du pays. Une certaine expertise codifie cela de «crise anglophone». Cette crise-là, ici et là, tous les candidats ou presque, se sont lancés dans une course effrénée pour tenter de la retourner à leur avantage, alternant gravité un jour et proximité le lendemain, altitude internationale le matin avec les grands de ce monde et familiarité feinte le soir à la rencontre des Camerounais de la rue. «C’est l’événement permanent. On n’a plus besoin de tendre l’oreille», disent les experts de la cuisine électorale. Le seul truc à comprendre, selon eux, c’est que la campagne pour le scrutin présidentiel prévu en octobre prochain au Cameroun est lancée.
Le changement ou la continuité, c’est maintenant !
Dans ce brouhaha, la publicité politique et des professionnels de la com’ événementielle font une entrée en force auprès des candidats. Parce que «le registre de la présidentielle a changé», assure Sosthène-Médard Lipot. L’expert en communication poursuit: «Celle que nous vivons met en valeur le modernisme électoral en ce qu’elle éclipse le style de 1992, 1997 et de 2011». Il est clair que pour ce spécialiste de la communication politique et non moins cadre du parti Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), la présidentielle de cette année au Cameroun est, à quelques nuances près, faite «à l’américaine». Les indices se découvrent dans l’ambiance de kermesse ou de cirque électoral que symbolisent les flonflons d’orchestres populaires, majorettes et une panoplie sans cesse enrichie de gadgets frappés au nom du candidat ou son slogan. Ces indices ont investi les grands carrefours, les meetings, les journaux, la radio, la télévision, les réseaux sociaux et les conférences de presse, où ils déferlent, à dessein, devant les objectifs de caméras.
Le parfait exemple est donné par le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), le parti de Paul Biya. Les «meetings de soutien» organisés à la gloire de l’actuel locataire du palais de l’Unité sont les points de ralliement où se précipitent, indifférenciés, tous les caciques et rebuts de cet appareil politique. Ils espèrent ainsi être maintenus, lessivés, ou réhabilités en signant l’«appel à candidature» ou en entonnant des louanges diversement déclinées au profit du président du RDPC. Lequel voit son image s’épaissir inévitablement.
Pour cet exercice, le timing ne doit rien au hasard. Durant ces moments affranchis de toute décence, les orateurs dévoilent les cargaisons d’œufs pourris de l’opposition. «On fait là comme aux Etats-Unis», rigole un membre suppléant du Comité central du RDPC. En fait, les «boules puantes» des adversaires de Paul Biya sont entrées dans les éléments de langage des tribuns du RDPC. A Yaoundé dernièrement, lors d’un meeting tenu à l’esplanade de l’hôtel de ville, Cabral Libii en a fait les frais. A lui, par exemple, les supporters de Paul Biya n’ont attribué que «le charisme de jeune gérant de banque villageoise».
Le scrutin approchant, côté opposition, on dit commencer à rentrer dans le concret. À l’heure des tweets et des batailles rangées sur le web, des leaders politiques continuent la même œuvre contre le régime en place. Les séquences se succèdent. Les formats varient. La propension à penser sa communication dans une métamorphose se renouvelle sans cesse. Là-bas, la lieutenance éditoriale se charge elle-même de faire prendre la bonne direction aux boulets tirés. Leurs mots cinglent. Ils frappent. Ceux prononcés par certains blessent. Lancinants, ils reviennent comme pour éroder toujours plus l’image de Paul Biya. Akéré Muna par exemple n’hésite pas à dire ouvertement qui saccage sa candidature, qui instrumentalise politiquement le désastre familial le mettant aux prises avec d’autres Muna. Certains n’hésitent pas à désigner cela «une fuite en avant» du leader du mouvement «Now», à quelques semaines seulement de la convocation du corps électoral.
Côté public
Dans cet environnement, les citoyens passent tour à tour de l’indifférence passive à la participation active. A travers le pays, l’élévation du niveau d’attention aux péripéties politiques conduit à tenir pour acquis que le public redevient attentif aux discours, notamment aux propositions des candidats. On présuppose aussi que les électeurs suivent les rebondissements de cette effervescence collective, notamment les principaux meetings électoraux, la participation des principaux candidats aux émissions de radio ou de télévision. Les transformations de la couverture médiatique renforcent ces présupposés.
Il existe désormais des chaînes télévisées qui martèlent en boucle tous les sensationnalismes, à commencer par les tournées ou sorties de tel ou tel candidat. Et avec en bonus, une avalanche de commentaires, qui en scrutent le contenu, les intentions et les effets potentiels. Voilà donc planté le décor. Un décor annonciateur d’une série sur les portraits des candidats. Ce que propose Intégration à la veille de cette élection présidentielle au Cameroun entend s’écarter de toute vampirisation du débat. Il s’agit, au fil des éditions, de dire et de lire les programmes des uns et des autres, sous le prisme subjectif de la programmation de la rédaction.
Jean-René Meva’a Amougou