An 39 du RDPC : Regards croisés sur la machine électorale de Paul Biya
Observateurs avertis, ils puisent dans leur expérience, connaissances en politique et autres pour discourir sur les réalisations du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RPDC), parti au pouvoir au Cameroun.
Philippe Nsoa, journaliste économique
«On ne perçoit pas très bien le discours politique du RDPC»
La première réaction que je peux avoir, c’est d’abord de constater que le RDPC a réussi à résister tant bien que mal à l’usure du pouvoir parce qu’ils sont déjà à la 39ᵉ année. Et malgré le passage au multipartisme dans les années 90, ils ont réussi à résister à la montée en puissance de l’opposition qu’ils ont par la suite presque réussi à réduire à sa condition congrue, donc je pense que c’est quelque chose à mettre à leur actif. Ensuite, je dois malheureusement regretter que, bien que ce parti dispose à la fois de ressources humaines et de ressources matérielles suffisantes, je reste sur ma faim quant à la production idéologique et politique proprement dite de ce parti. Je veux dire qu’on ne voit pas très bien le discours politique produit par le RDPC en matière de formulation des orientations en termes de politiques publiques, on ne voit pas très bien comment le RDPC s’exprime par rapport, par exemple à un processus constitutionnel que le gouvernement dit irréversible, comme la décentralisation. Ce d’autant plus que, le RDPC est ultra-majoritaire au niveau des collectivités territoriales décentralisées, que ce soit au niveau des communes ou au niveau des communautés urbaines ou au niveau des régions. Nous voyons que ce processus est en bute à propos de contraintes liées à un manque de volontarisme de la part du gouvernement. Les premières victimes ce sont les élus locaux du RDPC, c’est à ce niveau que des réflexions, à mon sens, auraient pu être produites, dans le but de permettre au gouvernement de mieux mettre en œuvre cette décentralisation dont nous espérons qu’elle peut être porteuse de beaucoup de progrès en termes de bien-être pour la population.
Je peux également regretter que le RDPC ne se montre pas particulièrement intéressé sur les questions de bonne gouvernance. Le Cameroun occupe une position peu commode en matière de corruption par exemple, en matière de répression des différentes fraudes. Or, il se trouve que le RDPC qui est le parti au pouvoir se fait en quelque sorte complice, au moins d’une manière factice de ce type d’écart. Je pense que c’est à ce niveau également que le sursaut devrait venir pour éviter d’entacher le régime politique du RDPC. Mais j’ai le sentiment qu’en interne le parti fait un peu la politique de l’autruche et ne table pas pour s’impliquer dans cette lutte-là.
Pour ce qui est de l’enracinement de la démocratie, les différentes élections organisées depuis 1992 ont presque toujours été suivies par un laborieux processus de contestations, avec un important contentieux post-électoral. Je crois que là aussi, il est de la responsabilité du parti au pouvoir de s’assurer que sa victoire est sans bavure. Et donc le RDPC à mon sens, devrait se montrer un peu plus volontariste sur l’amélioration du processus électoral. Or, tel ne semble pas être le cas. Par exemple, l’organe en charge du processus électoral a fait une série de recommandations qui semblent pertinentes. Ce d’autant plus qu’elles sont neutres et ne semblent pas particulièrement favoriser un parti, pour ce qui est par exemple de la convocation électorale ou de ramener l’âge électoral à moins de 20 ans ou encore de l’indépendance de cet organe. Mais malheureusement, dans ce plaidoyer, Elecam ne bénéficie pas de l’aide du RDPC; ce qui aurait pu permettre de penser que le RDPC est partisan d’une démocratie d’État. Or son silence ou à la limite sa résistance est de nature à argumenter les accusations formulées par l’opposition sur le fait que le RDPC serait le principal bénéficiaire d’un système inefficace. Je crois qu’il y a là un ensemble d’éléments sur lesquels le RDPC pourrait travailler de manière à être utile à la fois à la société et à l’État de droit.
Maintenant pour ce qui est du fonctionnement du parti au plan interne au plan strictement politicien, force est de constater que ce parti n’a pas réussi à organiser un congrès depuis près de dix ans alors qu’il a la ressource matérielle et humaine. Cela est d’autant plus surprenant que c’est ce parti qui tient tous les leviers du pouvoir et que nous nous approchons d’une période électorale, avec un ensemble d’éléments qui font l’objet de sanctions à différents niveaux, y compris des exclusions et des radiations. Beaucoup de ces hauts cadres sont soit décédées, soit en prison pour des questions d’éthique. Malheureusement, sans un congrès, ce parti n’a pas réussi à faire le ménage dans ses rangs de manière à rassurer l’opinion sur sa volonté d’être un allié de la bonne gouvernance au niveau du gouvernement. Donc c’est une surprise autant qu’une déception à mon sens. Maintenant, toutes ces choses-là justifient-elles une célébration au sens des réjouissances? Mais je pense qu’il y a beaucoup de travail à faire en interne tel que si le RDPC se privait d’un déploiement festif, cela ne serait qu’à son honneur.
Félix Boum Bebey, Universitaire
«Des velléités d’amélioration sont observées malgré l’impunité»
Le bilan du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) en 39 ans est mitigé. Il y a une certaine propension vers le négatif. En effet des avancées significatives sont à féliciter. Des velléités d’amélioration sont observées, malgré l’impunité au sommet de l’État: Cangate, Covigate etc… Le train de vie élevé de ce dernier fait peser le poids des dépenses nationales sur le bas peuple, ce qui rend inefficace les mesures de redressement adoptées. Le bilan est approximatif, car les effets positifs ne contribuent pas à l’amélioration du train de vie des populations. Il y a une nette impression que c’est une population à deux vitesses, avec d’un côté les pauvres et de l’autre les riches. À l’état actuel du paysage politique Camerounais, sauf Tsunami de dernière minute, aucun parti de l’opposition n’est en mesure de défier le RDPC. Plusieurs faits motivent cette réflexion, le premier étant l’implantation nationale; en effet le parti au pouvoir est le seul à bénéficier d’une représentativité à même de couvrir l’ensemble du territoire national. Secondement, le nombre pléthorique des partis de l’opposition. En effet les voix qui reviennent à l’opposition sont encore divisées par tous ces partis satellites. Enfin le manque de motivation au sein de la jeunesse qui traine le pas à s’inscrire sur les listes électorales.
Serge Merlin Engueno, étudiant en Sciences politiques
«Une transition, sans transition»
Le bilan du RDPC en 39 ans est mitigé. Si nous examinons tous les secteurs d’activité et que nous commençons par le plan politique, on observe une certaine ouverture politique. Depuis les années 1990, avec le processus de démocratisation, il y a le multipartisme qui est revenu après la période de parti dit unique. Il y a une concurrence politique, à travers des élections concurrentielles depuis 1992. Même si, parmi ces partis il y a ceux qu’on appelle des partis satellites qui manœuvrent pour le compte du parti au pouvoir. On a eu l’arrivée sur la scène politique de grandes figures comme Ni John Fru Ndi, Cabral Libi, Maurice Kamto. Cepndant, on observe qu’on avance à reculons. Avec des arrestations et interdictions des manifestations. Toute chose qui témoigne du statu quo, une forme d’immobilisme. Cela s’assimile à ce que Patrick Cantin a appelé «une transition, sans transition», c’est-à-dire un progrès sans progrès, une ouverture sans ouverture. Ce que Luc Sindjou a appelé «l’ouverture cynique» qui n’a pas profité à l’opposition et à certains leaders, puisqu’on n’a pas connu d’alternance. La transparence des élections n’est pas la chose la mieux partagée. Sur le plan macro- économique, on note le lancement des projets structurants pour booster l’économie et amener l’économie du pays à concurrencer d’autres économies. Au niveau micro-économique, on note l’émergence des entreprises locales, qui, peu à peu, acquièrent la capacité de concurrencer quelques entreprises internationales. En revanche, il faut souligner que la gestion économique n’est pas transparente. On a la corruption galopante, les détournements massifs, le néo-patrimonialisme qui s’est installé. Beaucoup d’entreprises publiques et parapubliques sont gérées comme des entreprises privées.
Pour ce qui est de l’élection de 2025 bien que le RDPC dispose des moyens humains, logistiques et financiers, le problème de transition n’est pas le parti au pouvoir, c’est l’opposition, peut-être qu’on aura l’arrivée sur la scène politique d’un homme providentiel. C’est à l’interne du RDPC que viendra le changement, au cas où le président de la République Paul Biya décide ne plus se représenter. Au cas contraire, il n’y aura pas de concurrent, même l’opposition ne pourra faire le poids.