LIBRE-PROPOSPANORAMA

Pays que tout le monde fuit

Tout le monde fuit (ou tente de fuir) le Cameroun. De quelle maladie est frappé ce pays pour qu’on le fuie ainsi ? Ô vous qui connaissez l’histoire, dites-moi, je vous écoute. Oui, tout le monde fuit (ou tente de fuir) le Cameroun.

Timba Bema

Mais alors tout le monde, les riches comme les pauvres, les nordistes comme les sudistes. À ce sujet, il doit y avoir une certaine égalité devant la fuite. Imaginez donc ! Même le président fuit le pays, il passe le plus clair de l’année à l’étranger. Pas dans n’importe pays s’il vous plaît. L’un des plus riches du monde par habitant. Pas dans n’importe quelle ville. L’une des plus chères du monde. Louant tout un étage d’hôtel avec sa nombreuse cour, se baladant dans les cliniques privées en quête de la jeunesse éternelle et donc de la santé. La belle vie et la santé. Les ingrédients assurément du bonheur.

L’homme le plus puissant du pays, celui qui décide de tout, mais n’est responsable de rien, ne parvient pas à s’épanouir, dans cette prison à ciel ouvert que ses lois ont peu à peu rendue irrespirable, au point où il doit aller ailleurs pour avaler une bouffée d’air frais. Il a inventé une tradition qui va infuser lentement dans le reste de la société à commencer par sa tribu d’origine, les Bulu. De la même manière que l’amour de Mobutu pour la Suisse, plus particulière Lausanne, entraîna la constitution d’une forte communauté congolaise dans cette ville, l’amour de Paul Biya pour la Suisse a déversé dans ce pays un certain nombre des siens. Mais, ce n’est pas tout.

Les personnes influentes du pouvoir et de la société civile ne sont pas en reste. Elles fuient également le pays pour venir se soigner ou couler une douce retraite en Europe. Avec l’âge, elles doivent bien souvent y rester en raison des contraintes liées à leur couverture médicale. Parfois, elles ne peuvent pas prendre le risque de retourner au pays, où une rechute signerait leur arrêt de mort. Alors, elles restent là, en attendant que Dieu, qu’elles prient et à qui elles remettent leurs vies, reprenne le souffle qu’il leur a généreusement prêté.

Le Cameroun souffre même de quelle maladie, pour que ceux qui sucent sa sève le fuient aussi ? Quel est le nom de cette maladie qui vide le pays de ses vieux, qui représentent 4 % de la population ? Il faut rappeler que l’espérance de vie à la naissance est de 57 ans et que, selon l’Organisation mondiale de la Santé, l’âge de la vieillesse est de 60 ans. Un autre détail d’importance est que les plus de 64 ans, qui représentent donc 4 % de la population d’après les données publiées en 2014 par l’Office National de la Statistique, détiennent plus de 50 % de la richesse produite dans le pays.

Ils sont nés un peu avant ou un peu après les indépendances, ont bénéficié de bonnes conditions d’éducation grâce notamment aux coopérants blancs, ils ont obtenu des bourses pour étudier à l’étranger sinon à l’université fédérale de Yaoundé, de nombreux parmi eux ont été intégrés dans les administrations publiques ou dans les grandes entreprises privées, ils ont bénéficié de l’embellie économique des années 70 et 80 pour accéder à la propriété et investir dans l’agriculture ou d’autres domaines prisés, et lorsque la crise économique s’est installée, ils ont eu recours à la corruption pour compenser leurs pertes de revenus, certains s’étant constitués des fortunes appréciables investies aux pays à travers des prête-noms.

Leur fuite est plus que paradoxale. Pourtant, elle est bien réelle, motivée d’abord par des raisons de santé et ensuite de qualité de vie. À un certain âge, les deux facteurs sont corrélés, à savoir que la qualité de vie a une influence positive sur la santé. Il serait donc, aux yeux de ces privilégiés, préférable de vivre sa vieillesse en Europe plutôt qu’au Cameroun. À y regarder de près, cet exode touche toutes les générations. Puisque les jeunes suivent les vieux sur les routes incertaines de l’exil.

Tous les jours, ils prennent la route du désert et tentent de briser par leur courage et la force de leurs muscles les nombreux obstacles, comme autant de montagnes vertigineuses, que l’Europe dresse sur leur quête du bonheur. Si, même ceux qui ont les moyens fuient le pays frappé d’une maladie sans nom, pourquoi ceux qui n’ont presque rien, eux qui sont sans emploi, devraient y rester ? Il est vrai que la débrouillardise leur tend les bras, les appelle nuit et jour de sa voix mielleuse comme les sirènes pour dérouter les marins. Ils tentent de résister par orgueil. Certains parmi eux ont des diplômes, ils ont fait des études, ils ont appris à attacher la cravate et à porter la veste, ils ont serré les mains parfumées à outrance de quelques autorités et ne peuvent donc pas descendre dans la boue, au bas de l’échelle de cette société qui a fabriqué deux figures iconiques, qui fonctionnent en miroir, exercent sur les hommes et les femmes une attraction irrésistible : le feyman et la wolowos. L’escroc et la pute. Deux figures accomplies de la débrouillardise, qui ont réussi à sortir de la boue pour être adulée de la multitude y compris les autorités politiques et administratives.

On se souviendra du Premier ministre Simon Achidi Achu recevant à l’immeuble Étoile Donatien Koagné, alors appelé le Roi du Cameroun. Mais, il faut du courage, beaucoup de courage, pour monter des arnaques et les exécuter avec flegme. Comme il faut une sacrée dose de courage pour marchander son corps et tirer une quelconque fortune du plaisir, mais surtout de la convoitise du mâle dominant. Alors, ils sont nombreux, ces jeunes qui prennent la route. On compte parmi eux des adolescents, comme Zachée Otto Koumata né le 10 octobre 2004 de père inconnu et abandonné par sa mère auprès de sa grand-mère qui l’éleva par devoir, lui paya l’école jusqu’au CM2. À 12 ans, Zachée prit la route du désert. À 12 ans seulement ! Il a connu une vie 100 fois plus rude que les enfants nés de Camerounais en Europe. Pourtant, comme lui, ils ont aussi tourné le dos au Cameroun.

Le visage de ce pays est-il si laid que tout le monde le fuit ? Quelle est donc cette maladie qui a assombri ses yeux ? Quel est, dites-le-moi, le nom de cette maladie dont le souvenir hante les gens longtemps après la fuite, et qu’ils transmettent, parfois sans le savoir, à leurs enfants, qui sont pourtant nés et ont grandi en Europe ? Ils y sont allés une fois ou deux pour les vacances. Ils ont certainement mangé quelques plats camerounais durant leur enfance comme le ndolè et les beignets haricots.

Pourtant, ils ne s’identifient pas au Cameroun, ils ne se sentent pas du tout concernés par les tourments que traverse le pays d’origine de leurs parents, tourments qui expliquent sans doute pourquoi ils ont dû le quitter un jour et se sont ingéniés à l’oublier. Parmi ces enfants, on dénombre quelques sportifs qui, en raison de leur exposition médiatique et du choix qui leur est accordé à 18 ans de choisir le pays pour lequel ils aimeraient porter les couleurs, nous renseignent sur l’état d’esprit de la diaspora. De nombreux parmi eux ont refusé les propositions de jouer pour l’équipe nationale de football du Cameroun.

L’argument, lorsqu’il est avancé, a souvent un rapport avec la désorganisation chronique de cette équipe, ce qui change avec leurs habitudes en club. Sans compter que, pour les plus talentueux, qui pourraient être alignés dans les rangs de leurs pays d’adoption, le choix du Cameroun serait préjudiciable à leur carrière. En sport, le patriotisme passe après les intérêts individuels. Le cas le plus célèbre est celui de Kylian Mbappè à qui les Camerounais avaient inventé, en raison de leur ressemblance, une filiation avec Mbappè Léppé, le célèbre milieu de terrain de l’Oryx de Douala et de l’équipe nationale. Kylian Mbappè coupa court à la rumeur en affirmant qu’il était français.

Les vivants, quelle que soit leur origine, quelle que soit leur fortune, fuient le pays. Mais, il se trouve que les morts, oui, les morts aussi le fuient. Comment cela est-il possible, pensez-vous, que des morts, qui n’ont donc plus le pouvoir de décider, fuient un pays ? Il est vrai que dans l’imaginaire collectif, la dépouille d’une personne décédée hors de la terre de ses ancêtres doit y retourner pour son dernier repos. C’est même une obligation. Au pays, c’est très souvent le cas. Les enterrements ont lieu dans le village d’origine du défunt, même si ce dernier a vécu toute sa vie hors de celui-ci.

Quant à ceux décédés en Europe, leurs corps étaient également rapatriés au pays, même si cette démarche pouvait entraîner, pour ceux qui n’avaient pas souscrit une assurance obsèques, des dépenses conséquentes de la part des familles. Mais, depuis quelques années, la tendance s’est inversée. Pour diverses raisons, les dépouilles de Camerounais ne sont plus systématiquement rapatriées au pays : elles sont donc inhumées en Europe.

Il faut reconnaître que la forte immigration récente s’est faite autour du noyau familial. À savoir qu’une personne, une fois installée, fait venir ses frères et sœurs, son conjoint, sa conjointe ou ses enfants, et ensuite viennent leurs parents. Certaines familles se sont donc reconstituées au complet, en conservant certaines habitudes comme la fréquentation des tontines, de la chorale ou de l’église. Elles reproduisent un modèle qui paradoxalement les éloigne du pays. Par conséquent, le rapatriement des défunts perd son caractère impératif.

Quand même les cadavres fuient un pays, c’est que la situation y est devenue grave. Le nom de ce pays c’est le Cameroun, frappé d’une maladie honteuse dont ses enfants taisent le nom, préférant fuir le plus loin possible pour assurer leur survie. Pourtant, le silence, la fuite, n’arrêtera pas la saignée humaine. Il faudra bien qu’un jour, un enfant se dresse devant ce peuple et lui dise la vérité qui plane devant ses yeux, mais qu’il se refuse de voir, la recouvrant du voile réconfortant du mensonge. Mais, n’est-ce pas là aussi une métastase de la maladie, que de se mentir à soi-même dans l’espoir que le temps, comme par miracle, recollera les morceaux du miroir brisé ?

Par Timba Bema

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