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Ngaoundéré-Moundou : Des transporteurs roulent… sur la réglementation

Parler de corruption sur une route transnationale! Cela se dit des moyens que l’on emploie pour détourner quelqu’un de son devoir, pour l’engager à faire quelque chose contre l’honneur, contre sa conscience . Parce qu’elle est d’abord un comportement humain dont il convient d’exposer les pratiques, les routes reliant le Cameroun à ses voisins sont de meilleurs laboratoires. Là, elle se décline dans des domaines variés : moral, éthique, pénal, économique entre autres. Perçue d’abord comme relevant de la morale donc de l’éthique individuelle, elle devint ensuite une variable internationale, elle favoriserait le business. Puis, l’effet inhibiteur de la corruption sur le développement est devenu évident, il s’en est suivi une multitude de réglementations nationales et internationales destinées à en limiter les dérives.
À ce jour, cela est vécu sur les corridors d’Afrique centrale. Très visible, incontournable, elle est à la fois très mal ressentie par les transporteurs et tous ceux qui sont immédiatement en contact avec elle dans un service des finances, des douanes ou de police. Dans ces services-là, la situation s’explique pour partie, sans que cela puisse être justifié pour autant, dans un contexte de pauvreté générale. Elle est qualifiée de «corruption de survie» ou encore de «corruption du ventre» et se manifeste chez le corrompu sous la forme d’une aide pour échapper à une obligation légitime, et chez le corrupteur par le versement de petites sommes, qui se multiplient. Leur effet cumulatif leur permet d’atteindre des montants considérables. Le présent zoom décline tous ces visages d’un fléau tentaculaire.

Un gros porteur en difficultés sur l’axe Ngaoundéré-Moundou

Plusieurs acteurs du transit en Afrique centrale brillent par leur indiscipline et la corruption, mettant à mal le patrimoine routier des États.

Le corridor Douala-Ndjamena est en passe d’acquérir une mauvaise réputation. Sur cet axe, parmi les plus importants du trafic et du transit de marchandises en Afrique centrale, plusieurs déviances de transporteurs ont été recensées et sont à condamner. S’agissant de l’axe Ngaoundéré-Moundou, la surcharge des gros-porteurs est devenue la règle. «Il y a une indiscipline et une inconscience qui caractérisent les transporteurs de l’Afrique centrale», commence par indiquer Mahamat Nassour, transporteur tchadien et habitué du corridor. Mais allant plus loin dans sa dénonciation, le transporteur précise que «des gros-porteurs tchadiens se ravitaillent au Nigéria et passent par Moubi-Garoua. Et alors que la réglementation autorise un maximum de 28 tonnes, ces camions sont toujours en surpoids, avec entre 40 et 50 tonnes de plus que ce qu’ils devraient normalement transporter».

Fraudes douanières et corruption
Mais ce constat alarmant est d’autant plus révoltant que les transporteurs indisciplinés arrivent toujours à destination et, plus grave encore, sans jamais avoir été déchargés. Et de l’avis de leurs collègues, cela ne peut s’expliquer que par la complicité au moins passive de certaines administrations, Police et Douane notamment. Mais Mahamat Nassour pense qu’il y a pire. «Les chauffeurs paient aux douaniers et policiers 150 000 FCFA pour sortir de Moundou, sachant qu’ils sont en surcharge et que cela détruit les routes. À la bascule à Ngaoundéré, ils paient également 120 000 FCFA par jour pour poursuivre leur chemin», fait-il alors savoir, sur le ton de la confidence.

Routes et recettes en péril
Pour les transporteurs, un tel état des choses est déplorable à au moins deux titres. D’abord, «cela crée un gros manque à gagner en termes de recettes pour le Cameroun et le Tchad», déplore Mahamat Nassour. Ensuite, la préservation et l’entretien du patrimoine routier vont être plus difficiles encore à assurer. «Ceci, notamment en raison de ce que la dégradation de la route est plus rapide, tandis que la corruption et les fraudes douanières privent les États des moyens d’agir», fait-il encore observer. De telles pratiques pourraient inciter ceux des transporteurs qui s’efforcent encore de respecter la réglementation en vigueur à suivre les mauvais exemples. Ainsi, et ne serait-ce que pour arrêter la saignée de recettes, le Cameroun et le Tchad devraient prendre des mesures urgentes pour faire cesser ces comportements qui impactent de façon négative le transit en Afrique centrale.

Théodore Ayissi Ayissi (stagiaire)

Douala – Bangui

Permis de nuire le long du corridor

Entre la capitale centrafricaine et le port de Douala, la corruption se déploie à grande vitesse avec le flux des véhicules et des postes de contrôle.

 

Le trafic a repris cette semaine après quelques jours de blocage. Aladji Hassana qui confirme cette information à Cameroon Tribune dit se réjouir que la situation ubuesque entretenue par des rebelles centrafricains ait connu une issue favorable pour l’ensemble des transporteurs et usagers de ce corridor long d’environ 1500 km. Selon le président régional du Groupement des transporteurs terrestres du Cameroun (GTTC) de l’Est, deux semaines de blocus, «ça été horrible».

Si la sortie médiatique du syndicaliste ne fait aucune mention de la tragédie vécue sur cet axe routier, des drames de corruption continuent néanmoins de se nouer chaque jour. Pour dénoncer cet état de chose, cinq centrales syndicales de transport qui assurent le transport des biens entre la RCA et le Cameroun avaient fait entendre leurs voix en janvier 2019. En effet, la Confédération générale des syndicats des transporteurs du Cameroun (CGSTC), le Syndicat national des transporteurs routiers du Cameroun (SNTRC), le Syndicat national autonome des transporteurs routiers du Cameroun (SYNATROCAM), le Réseau professionnel des transporteurs routiers du Cameroun (REPTROC) et l’Organisation patronale des syndicats des transporteurs routiers et auxiliaires du Cameroun (OPSTAC) souhaitaient voir l’application des mesures relatives à la suppression des postes de contrôle en territoire camerounais.

Ils dénonçaient des pratiques qui induisent des coûts supplémentaires, rallongent les délais d’acheminement des marchandises en transit, ternissent l’image du service tout en impactant, négativement, sur les rapports avec des partenaires privilégiés. Ils déploraient notamment qu’un camionneur débourse environ 1,5 millions de F (sur ces axes, ont-ils calculé, tout camionneur verse une « motivation» oscillant entre 1000 et 5000 FCFA par poste de contrôle) en dépit des notes des autorités camerounaises ordonnant la suppression des postes de contrôle. Leurs doigts sont pointés sur des agents «qui continueraient de s’illustrer par les mauvaises pratiques au quotidien, notamment à travers l’exigence aux transporteurs de frais indus». Ces agents appartiennent à diverses administrations publiques (ministère des Travaux publics, gendarmerie, police, douanes…)

Étude
Un rapport récent de la Banque africaine de développement (BAD), publié en avril 2019 sur le corridor, a révélé qu’il existait plus de 60 points de contrôle le long des 1500 km de route et l’accord existant prévoit 60% de camionneurs camerounais et 40% de transporteurs d’Afrique centrale par poids lourds. Mais, selon la BAD, seuls cinq transporteurs centrafricains opèrent sur cet axe. Cela signifie que les 4 995 restants sont tous camerounais.

Le rapport indique en outre que chaque chauffeur de camion paie en permanence 3500 FCFA et 5 500 FCFA chaque fois qu’ils sillonnent la route. Il a expliqué que cette mesure faciliterait la circulation des marchandises dans le corridor, qui jouent un rôle essentiel dans les échanges commerciaux entre les deux pays. Cela signifie que les 4 995 camionneurs camerounais paient entre 17,4 millions FCFA et 27,4 millions FCFA par trajet, même s’il n’y a pas d’aire de repos pour les transporteurs, ce qui augmente le risque d’accident.

Jean-René Meva’a Amougou

 

Nous avons été taxés de diable lorsque nous avons commencé à dénoncer ces mauvaises pratiques qui impactent négativement le transit en Afrique centrale

Le président de la Fédération des transports de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (FETRANS-CEEAC) s’exprime sur certaines dérives constatées sur l’axe routier Ngaoundéré-
Moundou. Il s’alarme sur les conséquences que cela peut avoir sur l’état du patrimoine routier ainsi que sur le budget des États.

Ibrahim Yaya

Il a été donné de constater que sur l’axe Ngaoundéré-Moundou, les transporteurs roulent constamment en surcharge, mais arrivent à destination sans être inquiétés. Est-ce le même constat que vous faites?
Je voudrais d’entrée de jeu indiquer que le constat des surcharges sur l’axe Ngaoundéré-Moundou est un constat vrai. Effectivement, beaucoup de transporteurs se rendent coupables de la pratique de surpoids. Et pour l’organisation socioprofessionnelle du mouvement des transports au niveau du Cameroun, cela est intolérable. Nous avons donc dénoncé, à maintes reprises, ces différents cas et ces mauvaises pratiques. Ils ont malheureusement la peau dure. Même si certains nous ont taxés de diable quand on a commencé à dénoncer cela, nous comptons poursuivre dans la même lancée, et nous ne baisserons pas la garde.

Nous sommes au parfum de tout ce qui se passe. Nous sommes au courant qu’il y a des camions qui portent des marchandises en violation non seulement des obligations inhérentes à la protection du patrimoine routier, mais également de la réglementation en vigueur. C’est d’ailleurs aussi le cas à la frontière avec le Nigéria. Les camions chargent un tonnage normal au Nigéria et une fois au Cameroun, ils doublent leurs charges.

Avec tous les postes de contrôle, péage et pesage installés le long de l’axe, comment cela est-il possible?
Je pense bien évidemment que la complicité de certaines administrations est avérée dans ce cas. Cela dit, avec la sensibilisation, les consciences peuvent se réveiller et les gens peuvent ainsi prendre conscience de la gravité des actes qu’ils posent et revenir à la raison. Ceci pour dire que notre objectif principal est de sensibiliser davantage les différents acteurs du secteur des transports afin de changer ces comportements. En effet, ces dérives affectent non seulement les routes en les détruisant, mais peuvent également freiner l’intégration sous-régionale en matière de transport.

Est-ce un phénomène nouveau ou a-t-il seulement pris de l’ampleur ces dernières années?
Ce n’est pas un phénomène nouveau. Nous sommes au parfum de tout ce qui se passe. Nous sommes au courant qu’il y a des camions qui portent des marchandises en violation non seulement des obligations inhérentes à la protection du patrimoine routier, mais également de la réglementation en vigueur. C’est d’ailleurs aussi le cas à la frontière avec le Nigéria. Les camions chargent un tonnage normal au Nigéria et une fois au Cameroun, ils doublent leurs charges. Nous avons d’ailleurs maintes fois décrié cet état des choses et adressé à plusieurs reprises des correspondances aux administrations concernées, dont le ministère des Travaux publics.

Parlant des conséquences, à quels niveaux les envisagez-vous ?
Je pense surtout qu’il s’agit de la destruction du patrimoine routier qu’on a dû acquérir au prix d’énormes sacrifices et de beaucoup de sueur. Partant de Ngaoundéré pour Moundou, on peut observer, du côté droit, que la dégradation de la route est déjà bien avancée. Et il faudra de gros moyens financiers pour la reconstruire. Mais les manques à gagner qui sont partagés entre le Tchad et le Cameroun concernent aussi les pertes considérables de recettes que ces deux pays enregistrent. Ce qui est encore plus ennuyeux, c’est que ce sont certaines administrations (Douane, Police…) de ces mêmes États qui sont complices de cela, ne serait-ce que parce qu’elles ne sanctionnent pas ces comportements le long de la route, mais aussi à cause de la corruption. Les pertes sont donc réelles et palpables. Cependant, les transporteurs ne sont pas les seuls à endosser cette responsabilité. La chaîne est trop vaste et il faut sensibiliser toutes les parties.

On le sait, la compétitivité d’un corridor passe obligatoirement par le transit. À ce titre, tant que l’on ne remédie pas à certains manquements que certains partenaires et confrères du Tchad et de la Centrafrique ont toujours décriés, on risque de compromettre la compétitivité de nos corridors. Mais sur ce point, il y a eu de grandes avancées en ce qui concerne par exemple les tracasseries policières, depuis les travaux de la dernière Commission mixte Tchad-Cameroun qui s’est tenue à Yaoundé.

Puisque vous faites allusion à une chaîne, que prévoient en réalité les règles en matière de transit en Afrique centrale?
Il faut savoir qu’en matière de transport des marchandises en transit, et particulièrement entre le Cameroun, le Tchad et la République centrafricaine, il existe une convention. Et cette convention ne favorise pas les surcharges. Bien au contraire. Si vous avez déclaré une marchandise en surcharge et si vous êtes en transit, la douane est fondée à ne pas vous délivrer le titre de transit. Bien mieux, les responsables des différentes administrations impliquées dans le contrôle du trafic et dans la répartition du fret, notamment le BGFT, le BARC, le BNFT, ne doivent pas non plus vous délivrer la lettre de voiture internationale, un document essentiel.

Quel rôle joue la FETRANS-CEEAC dans cette chaîne pour freiner cette dérive?
Notre association, la Fédération des transports de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (FETRANS-CEEAC), réfléchit à trouver des solutions définitives à ces indélicatesses et à cette recrudescence des surcharges au niveau de la sous-région. Nous travaillons pour cela avec des partenaires, des organisations socioprofessionnelles du Tchad, de la Centrafrique et même du Congo-Brazzaville. Le but est de sensibiliser au maximum et même, de proposer des sanctions exemplaires aux différents États. Notre association est donc à pied d’œuvre dans ce sens et nos actions vont bien au-delà de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), pour concerner toute la CEEAC.

Comment, de votre point de vue, se porte le transit dans la CEEAC, au moment où l’Afrique centrale fait face au Covid-19?
Malgré tout, le transit dans la sous-région est en plein développement, pour ce qu’il est du Cameroun en tout cas. On le sait, la compétitivité d’un corridor passe obligatoirement par le transit. À ce titre, tant que l’on ne remédie pas à certains manquements que certains partenaires et confrères du Tchad et de la Centrafrique ont toujours décriés, on risque de compromettre la compétitivité de nos corridors. Mais sur ce point, il y a eu de grandes avancées en ce qui concerne par exemple les tracasseries policières, depuis les travaux de la dernière Commission mixte Tchad-Cameroun qui s’est tenue à Yaoundé. Toutefois, nous déplorons encore certains manquements du côté du Tchad pour ce qu’il est des contrôles tracassiers et la multiplicité des postes de contrôle. Nous avons d’ailleurs écrit au gouvernement tchadien à travers notre partenaire tchadien du GTTC qui est UNATRANS, afin d’attirer l’attention sur ce comportement. Qu’à cela ne tienne, le transit se porte bien, malgré cette situation de crise imposée par le Covid-19. Cette pandémie inquiète tout le monde et chacun doit faire le nécessaire à son niveau pour non seulement sensibiliser ses proches, mais aussi ses collaborateurs.

Interview réalisée par
Théodore Ayissi Ayissi (stagiaire)

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