PANORAMAPORTRAIT DÉCOUVERTE

Yaoundé 4e : dans les repaires de bons vivants

Immersion dans les lieux de consommation des espèces protégées de la capitale.

En face, les propriétaires de ces motos dégustent…

Au quartier Kondengui (Yaoundé 4e), Sophie A. a trouvé sa place à la tête du restaurant familial, après le décès de son père survenu il y a deux ans. En nous recevant ce 9 septembre 2023, rien ne semble pouvoir perturber sa routine et celle de son commerce au fronton duquel l’on peut lire «viande en vente ici». Et alors même que tout se sait très vite dans un lieu où seuls les habitués se reconnaissent, Sophie A. a l’étrange impression que personne n’est prêt à chercher quel type de viande elle commercialise. Au bout d’une multitude de non-dits, elle lâche (par inadvertance): «Je vends de la viande de brousse». L’endroit ressemble à une cabane; on ne sait pas vraiment si c’est ouvert, si c’est fermé. La terrasse donne sur une rue calme. On n’est pas dérangé par les voitures. En cuisine, deux filles, employées de Sophie A. préparent de bonnes choses qui appellent la famine: de la viande de gorille. Au programme des condiments, des épices fournies par des braconniers. Mention spéciale pour les plantains pilés. «À 5000 francs CFA le plat à emporter ou à consommer sur place, c’est un compromis parfait pour mettre nos clients en appétit afin de bien aborder leur samedi».

«Monsieur Panthère»
Comme à Kondengui, divers lieux gourmands de la capitale sont spécialisés dans la commercialisation des plats des espèces protégées. Au lieu-dit Awaè Escalier (Yaoundé 4e), l’image donne des haut-le-cœur à certains. Elle en enthousiasme (étrangement) d’autres. Ce tableau, c’est celui d’un plat dans lequel figure une patte de panthère, parfaitement comestible, et surtout proposée en mets de choix dans un restaurant enfoui au milieu des mansardes. En raison de la difficulté d’approvisionnement en viande de panthère, «ici les clients sont servis à la commande», fait savoir le propriétaire de l’établissement, le bien nommé «Monsieur Panthère». Selon ses dires, préparer de la panthère nécessite beaucoup de discrétion. «C’est une viande qui dégage son odeur à des kilomètres», explique-t-il. «Pour ne pas attirer les gars des eaux et forêts, un long travail en cuisine s’impose. Il faut nettoyer l’animal qui arrive souvent déjà dépecé, puis le frotter avec de l’alcool et un mélange d’épices, gingembre et ail. On braise ensuite les morceaux pendant deux heures», étale «Monsieur Panthère». Au final, le processus justifie un certain prix: 15000 francs CFA le plat! Les clients qui voudraient tenter l’expérience doivent s’inscrire sur une liste d’attente, puis prendre leur mal en patience. Les réservations sont complètes tous les samedis au soir, apprend-on.

«Tradi et cool»
Dans sa maison sise au quartier Nkondongo (toujours dans le 4e arrondissement), Lucienne Avouzoa a le cœur tranquille. «Je fais des plats de viande d’éléphant depuis au moins 15 ans et je n’ai jamais eu d’ennuis», dit la dame vieille de 65 ans, selon elle-même. Ce 2 septembre 2023, on dirait que le stress de la rentrée scolaire n’a pas déferlé dans son restaurant, à l’intérieur de son domicile d’habitation. Sur les visages d’une dizaine de clients trouvés ici, les mines portent joliment les effets de la succulence de la viande d’éléphant. «On vient ici chaque samedi soir pour manger les choses de chez nous. On y vient pour manger de belles assiettes fraîches, à la fois tradi et cool. Et parce que c’est bon, la rentrée scolaire n’est qu’une parenthèse», s’exprime quelqu’un. Ici, les volets sont fermés, la porte est entrebâillée. «Il ne faut pas que des gens viennent nous déranger avec des questions», lance un homme affalé sur un long canapé. Sur sa table, une grosse carafe de vin de palme. «Tout ça, le vin, la viande d’éléphant, ça vient de l’Est», renseigne Lucienne Avouzoa. Son business tourne bien; les plats sont tarifés de 10000 à 20000 FCFA. «Si vous êtes nombreux, il est conseillé de réserver», nous dit-elle.

«Mamy Bafia»
Caché dans les ruelles du lieu-dit «Pakita» à Mvog-Ada, se trouve le petit restaurant «des connaisseurs», d’où s’élèvent, chaque dimanche matin, d’exquises odeurs de pangolins. Ici une femme communément appelée «Mamy Bafia» propose une expérience qui sort de l’ordinaire: reproduire un plat de pangolin que ses clients ont en mémoire, mais dont la recette est depuis longtemps oubliée. «Nous venons ici retrouver des plats d’antan, dont nous nous souvenons avec nostalgie et qui réveillent nos papilles et nos souvenirs et suscitent une émotion», apprécie un monsieur aux cheveux de hérisson qui salue des prix raisonnables au regard de la qualité des denrées. «Chacun fait sa commande la veille et je m’occupe du reste», dit la tenancière. Des personnes se rendent dans ce restaurant qui essaye volontairement de ne pas être trop visible. En conséquence, une réclame très lacunaire, sans adresse, ni numéro de téléphone, et sur place aucune enseigne. En prime, pas de menu. C’est que dans ce restaurant, on sait choyer ses clients et surtout, les plats sont tout à l’initiative de la cheffe, elle-même ancien agent des eaux et forêts.

«KGB»
À peine la porte d’entrée franchie, le charme désuet des lieux est saisissant. Il y a d’abord le décor: une immense salle grand-style de 20 places, avec ses dizaines de tables recouvertes de nappes en papier, ses chaises bistro en bois, ses murs tapissés de miroirs et sa gigantesque hauteur sous plafond. Et puis il y a l’ambiance: ce ballet incessant des serveurs, en gilet noir et tablier blanc, zigzaguant entre les tables.

À la carte, uniquement de la viande de chimpanzé. 20000 FCFA le plat. Bienvenue au «KGB» à Emonbo. C’est, semble-t-il le plus vieil établissement de ce type dans le quartier. D’ailleurs, intervenant en lieu et place de son patron en voyage d’approvisionnement dans la région du Sud, une servante présente l’endroit comme «l’unique et authentique restaurant camerounais». Le message est martelé jusque sur les serviettes. Le restaurant fait des émules… «Même parmi les touristes», selon notre interlocutrice.

Jean-René Meva’a Amougou

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