Vente de faux médicaments : des centres de santé aux abonnés présents
Plusieurs de ces structures se ravitaillent dans des circuits sous-terrain au détriment de canaux officiels.
«Le faux médicament se trouve dans la rue», indique un rol up du ministère de la Santé mis en évidence mardi en guise de sensibilisation. Dans le vécu des Camerounais, cette déclaration renvoie à des kiosques à médicaments d’origine douteuse tenus par des personnes sans formation en lien avec la santé. Entre consultation, prescription de médicaments et de posologie, ces commerçants réussissent à se taillent une identité fictive de docteur. Pourtant à divers lieux, l’activité étend ses tentacules jusque dans des lieux insoupçonnés. Les faux médicaments ont trouvé place dans les tiroirs de plus d’un centre de santé à Nkolmesseng, chef-lieu du cinquième arrondissement de Yaoundé.
Plusieurs formations hospitalières privées préfèrent s’écarter des canaux d’approvisionnement agréés pour se tourner vers les circuits parallèles. Un en particulier. Celui de «Docta». Un homme d’une quarantaine d’années qui réussit depuis plus d’une décennie à étendre son influence dans la zone. «Le type-là est bien implanté ici. Non seulement, toute la population achète chez lui, il fournit les centres de santé des environs, mais c’est lui aussi qui approvisionne la plupart des détaillants de médicaments du coin», explique Rolland, riverain. Le secret de sa réussite repose sur une grille de tarification très basse.
La prestation offerte aux centres de santé est bien connue dans le quartier. Tant est-il que les transactions se font à ciel ouvert au point de vente de ce fournisseur. «on va faire comment? si vous ouvrez les armoires de la pharmacie-là. Presque tout vient de son réseau. Actuellement on a des solutions pour perfusion, Les vermifuges pour les enfants, les remèdes de paludisme, les antibiotiques, les antiinflammatoires, les ovules, tout ce que vous voyez-là.
Quand il nous manque un truc, le client par acheter lui-même à la pharmacie. La mère s’assure quand même de ne prendre que les médicaments qui ne sont pas interdits», confie sous anonymat une infirmière en service dans un centre médical de la place. Selon cette source, les opérations commerciales entre sa structure et le grossiste improvisé sont antérieures à sa prise de service, il y a près de quinze ans. «Nous sommes tous des professionnels et chacun ici sait que ces médicaments viennent en grande partie du Nigeria ou de l’Inde. C’est de la contrebande et pourtant certains préfèrent vendre cela au lieu de chercher le bon médicament. Les mentalités ne changent pas malgré que régulièrement il y a des descentes ici pour saisir ses stocks», grogne un professionnel de la santé à Nkolmesseng.
Les commandes ne souffrent d’aucune procédure chez Docta. «On établit juste la liste des produits à acheter et on se rend sur place. S’il y a des produits qui ne sont pas disponibles, on passe la commande et on va récupérer après», explique-t-elle. Le procédé est le même pour tous les clients de Docta. Il faut se rendre sur le lieu de vente situé en bordure de route pour se procurer des médicaments. Son espace n’offre pourtant pas grand-chose à voir. Juste quelques emballages de médicaments empilés ci et là sur les étagères poussiéreuses d’un kiosque en bois de fortune. L’habit ne faisant pas le moine, la réalité ici peut prêter à confusion. «Il a un magasin derrière la maison où il loue son espace et c’est là qu’il dissimule sa marchandise. Les gens des impôts avaient commencé à le déranger. Donc maintenant, il laisse tout derrière et quand tu veux quelque chose, il part prendre», croit comprendre Gaëlle, riveraine.
Défaut d’agrément
Pour tous les promoteurs d’institutions hospitalières privées, la procédure d’approvisionnement reste la même. Ils sont tenus de déposer les commandes au niveau du district. Celui-ci se réfère au Centre d’approvisionnement pharmaceutique de la région. Lesdits Centres font partir des clients autorisés de la Centrale nationale d’approvisionnement en médicaments et produits médicaux essentiels (Cename). La redistribution se fait au niveau du district. L’autre canal reconnu reste le recours aux fournisseurs agréés. Tout cela est adossé à la présentation préalable d’un agrément du ministère de la Santé.
La procédure en la matière requière entre autres une copie certifiée conforme de l’arrêté d’autorisation de création en cours de validité, une liste détaillée du matériel d’exploitation et d’équipement technique, l’autorisation d’exercer en clientèle privée de chaque personnel technique, une attestation d’inscription de chaque personnel technique au tableau de leurs ordres professionnels respectifs, renseigne-t-on au Centre d’approvisionnement de Yaoundé. «Le constat est que beaucoup de centres de santé n’ont pas d’agréments et ne peuvent pas se tourner vers le district parce qu’on ne les connait pas. Ils vont donc se tourner vers le marché noir pour beaucoup. Mail y a aussi que certaines fois, les centres veulent juste de petits stocks pour tourner. Les commandes au niveau du district ce n’est pas pour faire dans le détail. On prend les grosses commandes. Donc quelques fois les gens prennent le raccourci», souligne Pauline Manga, infirmière diplômée d’Etat. De quoi assurer à «Docta» des ventes journalières chiffrées à des centaines de milliers de FCFA.
Louise Nsana