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Étiquette : panafricanisme

  • Série sur les héros africains: Modibo Keïta, le pharaon moderne

    Série sur les héros africains: Modibo Keïta, le pharaon moderne

    Modibo Keïta voit le jour le 4 juin 1915 à Bamako. Le pays ne s’appelle pas encore Mali mais Soudan français. De 1925 à 1931, il commence sa scolarité à l’École primaire urbaine de Bamako. C’est ensuite le lycée Terrasson de Fougère (devenu depuis lycée Askia Mohamed) qui l’accueille en 1931. Trois ans plus tard, il entre à l’École normale supérieure William Ponty de Dakar don’t il sort major de sa promotion. Il débute sa carrière d’instituteur en septembre 1938. Son bulletin portait les observations suivantes : “instituteur d’élite, très intelligent mais anti-français, agitateur de haute classe à surveiller de près.”

    Modibo Keïta était-il vraiment anti-français ? Non. Il était plutôt anti-colonialiste et nationaliste, C’était un homme digne qui souffrait de voir l’Afrique sous domination coloniale. À cette époque, les Africains ne sont pas autorisés à faire de la politique. Modibo Keïta va contourner l’obstacle en créant avec Mamadou Konaté l’Association des lettrés du Soudan. Dans “L’œil de Kénédougou”, journal qu’il met sur le marché en 1943, il ne se prive pas de critiquer le pouvoir colonial. Que ce soit à Bamako ou à Sikasso, il attaque l’assimilation coloniale, éveille les consciences. Avec son collègue et ami, le Voltaïque Ouezzin Coulibaly, il crée le syndicat des enseignants de l’Afrique occidentale française (AOF). Les colons, qui le voient comme un homme dangereux, ne tardent pas à l’arrêter. Modibo Keïta est condamné à six mois d’emprisonnement. Il purge la moitié de sa peine à la prison de la Santé (Paris) en 1946. L’année suivante, il devient le secrétaire général du premier bureau de la section soudanaise du RDA (Rassemblement démocratique africain). En 1956, il est élu maire de Bamako. C’est dans la même année qu’il intègre l’Assemblée nationale française. Il en sera le premier vice-président africain. Il participe alors à l’élaboration de la loi-cadre Defferre. En juin et en novembre 1957, il est secrétaire d’État dans les gouvernements Bourgès-Maunoury et Gaillard. En 1958, il devient président de l’Assemblée constituante de la Fédération du Mali qui comprend le Sénégal et le Soudan français, puis le chef de gouvernement de la fédération du Mali, le 20 juillet 1960. Mais des divergences naissent entre Modibo Keïta et Senghor. Elles conduiront à la mort de la fédération. Le 22 septembre 1960, le Soudan français accède à l’indépendance et change de nom. Modibo Keïta est le tout premier président de la nouvelle République du Mali. L’échec de la fédération du Mali ne le décourage pas. Avec Sékou Touré et Kwame Nkrumah, il fonde l’Union des États Africains (UEA), participe à la constitution du Groupe de Casablanca qui milite pour une monnaie, une banque centrale et une armée communes. Mieux encore, il fait inscrire dans la Constitution que le Mali est disposé à abandonnner partiellement ou totalement sa souveraineté pour l’unité de l’Afrique. Ce panafricanisme assumé mais aussi sa volonté de traiter d’égal à égal avec la France et son soutien au Front de libération nationale algérien sont mal vus à Paris et à Abidjan mais Modibo Keïta n’en a cure. Il critique les essais nucléaires menés par la France dans le Sahara. Sur le plan interne, il donne au Mali une monnaie, utilise l’argent du Prix Lenine qui lui a été décerné en 1963 pour offrir à Bamako son premier Centre de protection maternelle et infantile (PMI). En 1966, il cède à la jeunesse malienne son champ de Moribabougou. Son salaire mensuel est de 62 500 F CFA. On lui doit une quarantaine de sociétés et entreprises d’État. Les Programmes d’ajustement structurel (PAS) les feront disparaître toutes. Modibo Keïta avait coutume de reverser au Trésor public le reste de ses frais de mission. Le 20 janvier 1961, il demande l’évacuation des troupes françaises du territoire malien. C’est l’affront de trop pour Paris qui organise un coup d’État contre lui le 19 novembre 1968 et installe Moussa Traoré à la tête du pays. Modibo Keïta est conduit au camp de Kidal (au Nord-Est du pays). Les conditions dans lesquelles il est détenu sont épouvantables. Il y rendra l’âme, le 16 mai 1977. Ses geôliers auraient empoisonné la bouillie de mil qu’il avait réclamée à sa nièce et un médecin, Faran Samaké, lui aurait administré de force une piqûre. Le médecin en question se donnera la mort en 1978, emportant son secret avec lui.

    Modibo Keïta était écouté sur la scène internationale. Il était estimé et respecté par son peuple parce qu’il était intègre, digne et patriote, parce qu’il vivait simplement. L’Afrique digne et combattante se souviendra toujours de lui parce que la souveraineté du continent lui tenait à cœur. Pour Issoufou Saïdou Djermakoye, ancien secrétaire général adjoint de l’ONU et ex ministre nigérien de la Justice, Modibo “s’inscrit parmi les géants de l’histoire de l’indépendance africaine”. Il ajoute que “l’Afrique reconnaissante ne l’oubliera jamais, qu’elle continuera toujours à raconter ses hauts faits et le sacrifice qu’il a consenti pour qu’elle aspire à de meilleures destinées”. Pour sa part, Mamadou Dia, ancien président du conseil de gouvernement du Sénégal, le présente comme “un de nos pharaons modernes, qui aura consacré toute son intelligence et toute son énergie à la grande œuvre de reconstruction de l’unité africaine”. De là où il se trouve, il doit certainement être fier d’Assimi Goïta et de Choguel Maïga qui tiennent courageusement tête à la France et sont déterminés à conquérir la vraie indépendance de leur pays.

    Jean-Claude Djéréké 

  • Série sur les héros africains: Barthélemy Boganda, l’élu de Dieu et l’élu du peuple

    Série sur les héros africains: Barthélemy Boganda, l’élu de Dieu et l’élu du peuple

    Barthélemy Boganda a terminé sa vie comme il l’a commencée, c’est-à-dire de manière tragique. Nous sommes dans la moitié des années 1910. Boganda n’a pas encore 10 ans. Les populations africaines sont soumises aux travaux forcés organisés par les colons et les sociétés concessionnaires françaises pour la collecte du caoutchouc. Quiconque s’y soustrait ou n’apporte pas ce qui est exigé par le colon est sévèrement châtié. C’est ce qui arrive aux parents du jeune Boganda. Ils sont battus à mort par des miliciens de la Compagnie forestière Sangha-Oubangui (CFSO) pour n’avoir pas apporté suffisamment de caoutchouc.

    Devenu orphelin, Boganda est recueilli par le lieutenant Meyer, administrateur de Mbaïki (Sud-Ouest de Centrafrique). Il atterrit ensuite chez Gabriel Herriau, prêtre spiritain dont le champ d’apostolat allait jusqu’à Mbaïki. Après ses études primaires à Mbaïki, Boganda est envoyé au petit séminaire de Kisantu (Congo belge). En octobre 1931, il arrive au Cameroun pour poursuivre sa formation au grand séminaire Saint-Laurent de Mvolyé-Yaoundé. Il y aura pour compagnons André-Marie Mbida, futur Premier ministre camerounais, et l’abbé Fulbert Youlou qui sera le premier président du Congo-Brazzaville. L’ordination sacerdotale de Boganda a lieu en 1938. Il est, à 28 ans, le premier prêtre autochtone d’Oubangui-Chari. À Bambari, il va s’appliquer à démontrer en actes que l’évangélisation est inséparable de l’éducation et de l’action sociale. Les actes qu’il pose en faveur des populations attirent de plus en plus de monde dans son église. Ce “succès” n’est pas vu d’un bon œil par les spiritains français de Bambari, parce que Boganda est en train de réussir là où eux ont lamentablement échoué. Cette jalousie vient s’ajouter au racisme des prêtres blancs qui préféraient voir Boganda manger à la cuisine avec le cuisinier plutôt qu’à leur table. Les mêmes prêtres blancs ne se privaient pas de l’appeler “sale cochon de nègre”.

    En juin 1946, il quitte Grimary pour la mission Saint-Pierre-Claver de Bangassou. Cette affectation, qui ressemble à une sanction, avait été décidée par les PP. Hemme et Morandeau dont tout le monde connaissait les accointances avec les milieux coloniaux. C’est le début de la rupture de Boganda avec les spiritains installés en Oubangui. Mgr Marcel Grandin, qui a vite perçu chez lui la volonté d’améliorer les conditions de vie des populations, l’encourage à se lancer en politique. En novembre 1946, Boganda se présente aux élections législatives du 2e collège à l’Assemblée de l’Union française sous l’étiquette du Mouvement républicain populaire (MPR). C’est l’abbé Pierre (Henri Grouès de son vrai nom) qui l’accueille dans le groupe parlementaire démocrate chrétien du MPR. Il est élu député. À l’Assemblée, il défend les intérêts des indigènes tout en critiquant la politique coloniale française en Afrique. Mais la politique française en Outre-Mer ne change pas. Boganda décide alors de créer la Société coopérative de l’Oubangui-Lobaye-Lessé (Socoulolé) dont le but est d’obtenir une meilleure rémunération des produits des indigènes. Les députés et administrateurs coloniaux font bloc contre ce projet. En 1949, Boganda crée son propre parti politique, le MESAN, qui ambitionne de “nourrir, vêtir, guérir, instruire, loger” les Africains. La hiérarchie catholique locale et le monde politique français commencent à s’inquiéter de la forte personnalité et de l’influence grandissante de ce jeune prêtre. En 1947, Mgr Grandin trouve la mort dans un accident de la circulation. Mgr Cucherousset lui succède. Très vite, Boganda se rend compte qu’il ne peut s’entendre avec le nouvel évêque. Boganda adresse au Vatican un long courrier où il attaque le célibat des prêtres. Il estime notamment que maintenir cette règle dans les Églises africaines est à la fois absurde et dangereux. Mgr Pietro Parolin, ambassadeur du Vatican au Venezuela et futur numéro deux du Saint-Siège donnera raison à Boganda en affirmant, dans ‘El Universal’ du 11 septembre 2013, que le célibat des prêtres “n’est pas un dogme mais un précepte dont il est possible de discuter car c’est une tradition ecclésiastique qui date du XIIe siècle”. En 1949, il fait part à ses supérieurs de son intention d’épouser son assistante parlementaire, la Française Michelle Jourdain. Le 25 novembre 1949, Mgr Joseph Cucherousset le sanctionne de la peine de suspense a divinis qui lui interdit d’exercer tout ministère presbytéral et de porter la soutane. La rupture avec le diocèse est consommée. La réponse de Boganda à Mgr Cucherousset ne se fait pas attendre. Dans une missive, il considère que la décision prise contre lui est politique, raciste et arbitraire. Il ajoute que “vivre avec une femme est plus digne que faire un vœu auquel on manque constamment”. La missive se termine par ces mots : “L’habit ne fait pas le moine, la soutane ne fait pas l’apôtre ni le prêtre. Je reste l’apôtre de l’Oubangui et de l’Église.” En 1950, Barthélemy Boganda prend ses distances avec le MRP. En 1956, il devient maire de Bangui. Bien que le MESAN ait raflé la totalité des 50 sièges, il refuse d’entrer dans le premier gouvernement local issu de ce scrutin. L’année suivante, il est réélu député par 31631 voix sur les 65641 suffrages exprimés, loin devant les 21637 voix du candidat du Rassemblement du peuple français (RPF) soutenu par l’administration et les missions catholiques. Commentant sa victoire, Boganda fera remarquer que “l’administration, l’Église et les colons s’acharnent contre lui, afin de l’empêcher de dénoncer les injustices et les abus dont sont victimes les Oubanguiens”. Son journal ‘Terre africaine’, édité à Bangui, dénoncera aussi les fraudes commises par l’administration pendant le scrutin pour faire gagner son adversaire.

    Défenseur du panafricanisme, il rêve des États-Unis de l’Afrique latine qui devaient comprendre les pays de l’Afrique équatoriale française plus l’Angola et le Congo belge mais son projet suscite peu d’enthousiasme. Youlou et les autres y étaient opposés. Partisan des grands ensembles fédéraux, il accepte que le MESAN participe, en juillet 1958, au congrès de Cotonou qui aboutit, sous l’impulsion de Senghor, à la naissance du Parti du regroupement africain (PRA). C’est le Professeur Abel Goumba qui conduisait la délégation du MESAN. Le parti de Boganda s’affilie à ce rassemblement fédéraliste qui sera aussitôt accusé de faire concurrence au RDA d’Houphouët. Le 1er décembre 1958, l’indépendance de l’Oubangui-Chari est proclamée mais Boganda ne pourra pas diriger la nouvelle République parce qu’il meurt dans un accident d’avion, le 29 mars 1959, entre Berbérati et Bangui. Les conditions de sa mort demeurent suspectes jusqu’aujourd’hui. Beaucoup de Centrafricains se demandent s’il n’a pas été éliminé par la France dont il avait commencé à s’éloigner. Même en France, on n’exclut pas la thèse de l’assassinat. Ainsi, Pierre Kalck, ancien administrateur colonial français, affirme que Boganda aurait reçu, début 1959, des lettres de menaces de mort postées depuis le Congo belge, qu’un colis piégé aurait été déposé par un jeune homme dans l’avion avant son décollage et qu’une explosion serait survenue en plein vol selon les enquêteurs venus de Paris (cf. ‘Barthélemy Boganda’, Paris, Sépia, 1995).

    Quoi qu’il en soit, Boganda n’aura pas eu le temps d’appliquer ses idées généreuses. Lui qui voulait “libérer l’Afrique et les Africains de la servitude et de la misère”, lui qui mettait ses compatriotes en garde contre “la division, le tribalisme et l’égoïsme”, lui qui était attaché au principe selon lequel “tout être humain est une personne” ou “un homme en vaut un autre” (Zo kwe zo en sango), ne put diriger la République centrafricaine pour laquelle il se dépensa sans compter. Comme Moïse, il ne put entrer dans la terre promise après avoir affronté Pharaon et après avoir fait passer son peuple de l’esclavage à la liberté. Quelle triste fin pour une si belle âme ! À ses obsèques, c’est à juste titre que le père Charles Feraille disait de lui : “Avant de devenir l’élu du peuple, Barthelémy Boganda avait été l’élu de Dieu.” Boganda n’est plus là physiquement mais il demeure présent dans les valeurs qui étaient les siennes. C’est en incarnant ces valeurs que les Centrafricains pourront mieux honorer sa mémoire car telle est la signification de son nom : “Je suis ailleurs, je ne suis nulle part.

    Jean-Claude Djéréké